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Le seuil de mobilisation révolutionnaire

Introduction

La participation des individus lors de mouvements sociaux dépend à la fois de leur propre préférence (Kuran, 1989), du comportement des autres et aussi des caractéristiques sociales (Yin, 1998).

Une façon de modéliser cela est d’étudier le seuil de comportement collectif de Granovetter (1978). Dans ce modèle, chaque agent a besoin d’avoir un niveau « seuil » de

participation avant de rejoindre un mouvement social. Lorsqu'un nombre suffisant

d’individus rejoint la foule, l’action sociale se déclenche et le mouvement révolutionnaire

verra sa probabilité de succès augmenter. Les décisions des individus ont des effets collectifs (Wildschut et al., 2014).

Les modèles de comportements collectifs développés sur les acteurs de l’organisation

révolutionnaire ont deux alternatives : des coûts et/ou bénéfices. Elles dépendent du nombre

d’acteurs qui prennent part à la révolution. Shelling (1978), Marwell & Olivier (1993) ont

utilisé le principe de la « masse critique » pour parvenir à l’équilibre du comportement

collectif.

En poursuivant dans le même cadre d’étude, Granovetter a trouvé « le concept clé »

qui est le seuil. Il a examiné les effets des perturbations mineures des distributions des

seuils pendant les émeutes. Ces modèles ont fait l’objet de nombreuses études empiriques

dans différents domaines de la science sociale.

Kuran (1988-1989- 1991- 1995a-1995b) a démontré que l’écart entre les attentes

politiques et les préférences privées d’un individu peut atteindre un seuil au-delà duquel une révolution émerge. Dans le même contexte, il a stipulé que le succès imprévisible de certains mouvements sociaux était dû à cet écart défini comme une falsification des préférences.

Kaempfer & Lowenberg (1992) ont étudié l’impact des chocs externes sur la distribution interne du seuil. L’effet contagieux des manifestations, est l’exemple le plus

répandu.

Toutefois, le succès de la révolution tunisienne et sa grande visibilité sur les médias sociaux, ce qui permet d’influencer les autres pays voisins à manifester.

Comme l’a expliqué Lohmann (1994), les manifestations à Leipzig à l’est de l’Allemagne sont dues aux cascades informationnelles qui révélaient des informations

restées longtemps inconnues sur le régime.

Granovetter (1978) et Yin (1998) ont souligné l’importance de la distribution des seuils dans l’identification et la réussite d’un mouvement social.

Ginkel & Smith (1999) ont appliqué la théorie des jeux afin de modéliser l’interaction

entre le gouvernement, les rebelles et la foule. Dans ce jeu, les dissidents ont un rôle déterminant au sein de la foule, et peuvent influencer le succès du mouvement social.

Ross (2003) a étudié le rôle des « annonces », en informant le public sur la crédibilité

d’un mouvement. Myatt & Wallace (2008), quant à eux ont appliqué le modèle de seuil

dans un jeu de coordination avec l’ajout du concept de la « pomme pourrie » qui peut

déstabiliser un mouvement social. Récemment des travaux sur le modèle seuil ont mis

l’accent sur les réseaux sociaux (Borge-Holthoefer et al., 2013).

1. Les modèles seuils

Le seuil est défini comme la proportion minimale d’individu dans la population totale

qui doit protester. Par conséquent, chaque société est composée de « n » individus et

possède sa propre distribution de seuil. (Yin, 1998). Granovetter l’a défini comme le point

où les bénéfices nets surpassent les coûts nets pour un individu donné.

Le modèle traite le comportement distinct et exclusif d’un individu face à deux

alternatives : participer ou non à un mouvement révolutionnaire. La décision peut être

considérée comme le choix entre une action positive ou négative. Granovetter l’a décrit comme le résultat de plusieurs combinaisons de coûts et d’avantages.

Le modèle seuil met en évidence deux propriétés du comportement collectif :

l’individu et la taille du groupe.

2. Les individus

Les individus dans ce modèle sont supposés rationnels, ils agissent de manière à maximiser leur utilité. Les différences individuelles sont les principaux axes de ce modèle. Granovetter a supposé que chaque individu a un objectif différent de son engagement dans

une action sociale. Les variations des besoins individuels sont liées aussi à la variation des

avantages octroyés pour leur participation. Le modèle de seuil permet d’expliquer cette

variation de tendance.

A partir de l’examen de la valeur seuil, Granovetter a démontré qu’il existe différents types d’individus. Un niveau seuil bas (qui tend vers 0%) pour les radicaux. Pour cette catégorie d’individus les bénéfices à rejoindre un mouvement social sont élevés et les coûts

d’arrestation sont faibles. Ce groupe minoritaire est considéré comme celui des «

instigateurs » (Granovetter, 1978).

La deuxième catégorie est celle dont les avantages attendus de leurs participations sont insignifiants ou même négatifs, et les conséquences de leur arrestation très élevées. Le niveau de seuil associé est très élevé (compris entre 80% et 90%). Les individus inactifs forment la dernière catégorie. Leur niveau de seuil avoisine le 100%.

Comme il le sera démontré ultérieurement, même si deux individus ont le même niveau de seuil, ils peuvent ne pas avoir les mêmes convictions politiques. Ce paradoxe a

été traité dans l’étude de Kuran (1987a) sur les préférences privées et publiques des individus. Il a démontré que ces préférences peuvent diverger. L’apport de Kuran est d’avoir déterminé un coût à cette divergence, c’est le coût de falsification des préférences.

Nous détaillerons plus loin le modèle de Kuran (1987a-1989).

3. La taille du groupe

Yin (1998) a suggéré que les stratégies peuvent être différentes selon que les individus cherchent à réduire ou à développer la composition de la population.

Le modèle de seuil traité par Yin met la taille de la foule au centre de son

raisonnement. Il examine l’interdépendance des comportements de masse et explique la

formation de l’opposition collective. Lichbach (1995) a montré lors de ses travaux portant

sur la rébellion, que « le nombre de dissidents est essentiel pour le choix de la tactique du groupe » (p. 60).

Deux arguments fondamentaux définissent le modèle de Yin: celui de la sécurité, et

celui de la force retrouvé dans les nombres. Ces arguments sont la source d’inspiration de

plusieurs chercheurs. Tullock, Berk et DeNardo (Tullock, 1971; Berk, 1974; Becker, 1968; DeNardo, 1985) ont été les premiers à aborder cette approche dans les relations entre le

crime et la punition. Ils ont confirmé la notion de “sécurité” dans les nombres. Lors de l’augmentation de la protestation, le coût pour un individu de rejoindre la foule baisse car la

Concernant la « force » des nombres, des chercheurs ont établi que plus le nombre des protestants est élevé plus il est perturbateur au niveau du gouvernement. Le mouvement de protestation a plus de chance de renverser le gouvernement dans ce cas de figure. Face à cette montée de protestations, le gouvernement est prêt à «faire des concessions politiques pour calmer la foule » (DeNardo, 1985, p. 35). Yin a stipulé que la sérénité du pouvoir est mesurée par le nombre.

Sur la même thématique, Chong (1991) a affirmé que du point de vue des individus, les avantages de la participation dépendent du succès de l'action collective, et que le succès de l'action est subordonné à la taille du mouvement.

D’après Yin, le coût associé à la participation à la protestation est également une

fonction de nombre. Un grand nombre de manifestants peuvent inciter d’autres personnes à

se joindre au mouvement même des partisans du gouvernement. Cette théorie est basée sur

la reconnaissance d’autrui (Kuran, 1987-1988-1995a). En outre, Lohmann (1993-1994) a

utilisé l’information en cascade pour “développer des modèles de signes de participation

global au fil du temps. Les gens identifient les informations sur les bénéfices/coûts à partir du nombre de participation "(Lohmann, 1994, p. 91).