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Le sacrifice d'Archambaud, seigneur de Navailles (1387-1419)

I. Grailly, guerre et chevalerie

3. Le sacrifice d'Archambaud, seigneur de Navailles (1387-1419)

Archambaud de Foix-Grailly, seigneur de Navailles et troisième fils d'Archambaud de Grailly, captal de Buch et comte de Foix, s'est mis au service du duc de Bourgogne. Il est son chambellan et un de ses conseillers96. Et c'est au service de Jean sans Peur qu'il va mourir le

10 septembre 1419 en même temps que son maître97.

En août 1419, une rencontre est organisée à Montereau-Fault-Yonne entre le dauphin Charles et le duc de Bourgogne Jean sans Peur dans l'espoir de mettre fin au conflit qui les oppose. Pour l'occasion, le Dauphin ordonne que le château de Montereau soit « baillé et délivré98» au

93 Ibidem, p. 595 : « lo inclit princep et egregi senhor mossen Johan, comte de Foix, frayre del dit cardenal, ajustet grande armada de gens d'armas et de gens à pé en gran nombre, am lo quals s'en anet en Venissia ». 94 Arnaud Esquerrier, Chronique, in PASQUIER Félix (éd.) ; COURTEAULT Henri (éd.), Chroniques romanes

des comtes de Foix composées au XVe siècle par Arnaud Esquerrier et Miègeville, Toulouse, Privat ; Paris ;

Picard, 1895, p. 68 : « Touts se metten en la obediencia del papa et son vicari per forsa de guerra que Mosseigneur lo comte de Foix lor fec ab sa poissansa ».

95 FLORI Jean, Chevaliers et chevalerie au Moyen Âge, Librairie Arthème Fayard, 2010, p. 214-215.

96 MOLIS Robert, « Comminges et Bourgogne. Un client insoupçonné de Philippe le Bon : Mathieu de Foix- Grailly, comte de Comminges. », Annales de Bourgogne, vol. 40, 1968, p. 192.

97 Miguel del Verms, Cronique dels comtes de Foix et senhors de Bearn, op. cit. …, p. 591 : « le seigneur de Navailles alla au service du duc de Bourgogne, lequel mourut pour lui et avec lui » (« lo senhor de Noalhas anet al servizi del duc de Borgonha, loqual morit per luy e ab luy ensems »).

98 Jean Juvénal des Ursins, Chronique de Charles VI, in BUCHON Jean-Alexandre C., Choix de chroniques et mémoires sur l'Histoire de France, Paris, Mairet et Fournier, 1841, p. 556.

duc. Bien que cette rencontre ait été prévue pour le 26 août, le duc n'arrive au lieu de rendez- vous que le 10 septembre. L'entrevue doit se faire au milieu d'un pont, dans un lieu clos, un « parc99» et chacun des protagonistes est escorté par quelques compagnons qui ne sont que

légèrement armés100. Parmi les hommes du Dauphin se trouve Tanguy du Chastel, les

seigneurs de Barbasan et de Couvillon, le vicomte de Narbonne et Bataille. Jean sans Peur, lui, est notamment accompagné par le seigneur de Saint-Georges, Thoulangeon, le seigneur de Montagu et le seigneur de Navailles101. Chacun a également placé des gardes à l'entrée du

pont. Jean Jouvenel des Ursins, notable et chroniqueur, partisan du dauphin, précise dans sa

Chronique de Charles VI, que plusieurs versions circulent concernant les faits qui se sont

déroulés lors de cette rencontre102. L'entrevue dégénère rapidement et il existe deux

principales versions de ce qui s'est passé. La première, celle de « ceux qui estoient affectés et attachés au party du duc de Bourgogne103» , affirme que le duc de Bourgogne commence par

s'agenouiller devant le Dauphin, lui fait la révérence, et se met à son service. Le Dauphin le remercie en enlevant son chapeau et lui demande de se relever. Il fait alors signe à ses hommes et Tanguy du Chastel s'avance près du duc, le bouscule, lui dit « Passez outre104» et le

tue d'un coup de hache sur la tête. Archambaud, de Navailles est lui aussi tué lors de cette altercation : « Si y en a un autre nommé le seigneur de Nouailles, qui fut aussi frappé à mort, tellement que au bout de trois jours il alla de vie à trespassement.105» L'autre version des faits,

propagée par les partisans du Dauphin Charles, soutient que le Dauphin a pris la parole en premier. Il commence par reprocher au duc son retard qui, selon lui, ne fait qu'empirer la situation du royaume. Puis il lui fait part de la nécessité de trouver un accord afin de pouvoir combattre les Anglais. C'est alors que se serait approcher le seigneur de Navailles, déclarant au dauphin : « Monseigneur, quiconque le veuille voir, vous viendrez à présent à vostre pere106». En effet, le duc de Bourgogne souhaitait, par cette entrevue, amener le dauphin

auprès de son père, le roi, et le faire ainsi « rentrer dans le rang », car en présence de son père, celui-ci n'aurait rien pu faire comme l'explique Jean Favier dans son ouvrage sur la guerre de Cent Ans107. Archambaud de Navailles essayait donc ainsi de faire la volonté de son seigneur.

99 Ibidem, p. 556-557

100 Ibidem, p. 556 : « et n'avoient pas plus l'un que l'autre de harnois, ou armures, c'est à sçavoir seulement haubergeons et espée. »

101 Ibidem.

102 Ibidem : « on en dit et raconte diversement de plusieurs manieres de paroles et de langages ». 103 Ibidem.

104 Ibidem. 105 Ibidem. 106 Ibidem.

Mais dans un excès de zèle il porta sa main gauche sur le dauphin tout en tirant à moitié son épée de sa main droite108. C'est alors que la situation dégénère : considérant que le futur roi de

France était menacé, Tanguy du Chastel l'emporte en dehors du lieu de la rencontre. C'est alors que certains compagnons du Dauphin s'attaquent au duc de Bourgogne et au seigneur de Navailles qui meurent tous deux sous leurs coups109. Cet assassinat déplu fortement au

dauphin et à plusieurs de ses fidèles. Et, selon Jean Jouvenel des Ursins, quelque soit les versions, « il n'y eut oncques personne qui chargeast monseigneur le dauphin qu'il en fust consentant, n'y que avant l'entrée au parc y eut aucune deliberation à ce dessein, ny que aucuns de ceux qui entrerent avec luy eussent volonté de faire ce qui fut fait.110» En effet, s'il

souhaitait véritablement une trêve dans la guerre civile qui sévissait alors en France pour pouvoir concentrer les forces du royaume sur la menace anglaise, l'assassinat de Jean sans Peur ne lui aurait servi à rien. Au contraire, cet acte n'aurait fait qu'envenimer la situation, ce qui ne manque pas de se produire : tout comme le duc d'Orléans n'a pas oublié le meurtre de feu son prédécesseur, Philippe le Bon ne peut pardonner facilement celui de père, ce qui le poussera vers les Anglais. Tanguy du Chastel se défendit d'avoir participé à la mort du duc. Toutefois trois chevaliers reconnurent s'être attaqué à celui-ci : Bataille, Robert de Loire et le vicomte de Narbonne. Ils justifièrent leurs actes en affirmant qu'ils avaient craint pour la sécurité du dauphin en voyant le duc de Bourgogne et le seigneur de Navailles avancer avec l'épée à moitié tirée. Mais certains de leurs contemporains ont donné une autre raison à leur action : ils ont prémédité le meurtre du duc de Bourgogne pour venger la mort de leur ancien seigneur le duc Louis d'Orléans, assassiné sur l'ordre de Jean sans Peur. Parmi les hommes du dauphin, celui qui porta le coup fatal à Archambaud de Foix-Grailly fut Frottier111. Ce dernier

reconnut les faits et justifia son geste, expliquant qu'il s'en est prit à au seigneur de Navailles parce « qu'il luy vit tirer l'espée, en disant Sainct-George !112», le cri de guerre des Anglais. Ce

qui est intéressant dans cet événement, c'est que certains ont blâmé les compagnons de Jean sans Peur pour sa mort car il n'y eut qu'Archambaud de Foix-Grailly qui tenta de protéger le duc contre ses assaillants, ce qu'il paya de sa vie113. Le seigneur de Navailles a fait preuve ce

108 Jean Juvénal des Ursins, Chronique de Charles VI, ...op. cit., p. 257 : « luy cuidant mettre la main gauche sur luy, et de l'autre tira son espée comme à moitié ».

109 Ibidem, p. 257 : « Puis y en eut qui frapperent sur le duc de Bourgongne, et sur ledit seigneur de Nouailles, qui allerent tous deux de vie à trespassement. »

110 Ibidem.

111 Ibidem, p. 558 : « Au regard du seigneur de Nouailles, frere du captal de Buch, Frottier le frappa et navra. » 112 Ibidem.

113 Ibidem, p. 557 : « les autres donnoient le blasme à ceux qui estoient avec le duc de Bourgongne : car il n'y eut oncques celuy qui se mit en peine de defendre son maistre, sinon ledit seigneur de Nouailles, qui y fut tellement blessé qu'il en mourut. »

jour-là d'une grande loyauté envers son seigneur en sacrifiant sa vie pour essayer de défendre celui-ci. Un sacrifice qui ne sera pas oublié puisque les ambassadeurs du roi de France lors des négociations du traité d'Arras en 1435 le mentionne nommément dans leurs offres. En effet, il propose la commande de messes et la fondation de plusieurs établissements religieux « pour l'âme de feu monseigneur le duc Jehan de Bourgongne, de feu messire Achenbault de Foix, conte de Noailles, qui fu mort avec lui, et de tous aultres trepassés à cause des divisions et guerres de ce royaume114».

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