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D. Les spécificités de l’HPCD à l’hôpital général

3) Le risque d’assimilation à l’urgence médico-chirurgico-obstétricale

Une des limites de la psychiatrie aux urgences de l’hôpital général concerne le risque d’assimilation plutôt que d’intégration à l’urgence MCO. Comme le souligne Chaltiel, « l’indispensable collaboration avec les urgences générales doit être conçue en termes d’échanges dialectiques et non d’inféodation ou d’assimilation. C’est à cette condition que le secteur de psychiatrie peut exercer, à l’égard des soins généraux, une pédagogie subversive à l’encontre des tendances urgentistes à une automatisation ultra-technicisée, source de déshumanisation des pratiques soignantes et de stigmatisation des troubles psychiques, aggravant, à leur encontre, la tendance à la contrainte ou au rejet. » [69]. En effet la psychiatrie d’urgence et le travail de crise en particulier présente des spécificités qui la distinguent fortement de l’urgence MCO. Cette dernière privilégie la recherche du diagnostic et le traitement de sa cause selon une démarche linéaire extrêmement protocolisée. A l’inverse, le travail de l’urgence psychiatrique nécessite un temps plus long pour apaiser les symptômes, réunir les différents acteurs, établir une alliance minimale qui permettra d’engager des soins. Elle n’impose pas non plus de solution unique, définitive, de manière unilatérale mais s’attache à faire circuler la parole et trouver l’orientation qui bénéficiera d’un consensus minimal, tout

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en gardant une position humble mais suffisamment protectrice pour le patient. L’HPCD au lits- portes est très représentative de ces différences du fait de la cohabitation des équipes somatique et psychiatrique (par exemple le temps d’HPCD est de 72h maximum, alors que pour les situations somatiques, il est de 12h renouvelable). Ces différences peuvent mener à des incompréhensions entre les équipes psychiatriques et somatiques. Un cadre de travail préalable tenant compte de ces différences et le dialogue permanent avec l’équipe somatique sont des conditions indispensables que les spécificités de la psychiatrie soient respectées et que la collaboration reste fructueuse entre les deux équipes.

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CONCLUSION

Cette thèse s’est intéressée à l’hospitalisation psychiatrique de courte durée dans un contexte d’urgence. Elle existe en France sous des formes diverses depuis les années 1980, utilisée principalement dans le modèle de l’intervention de crise qui a accompagné le processus de désinstitutionalisation. Le travail présenté ici privilégie une approche quantitative qui ne rend évidemment pas compte de la richesse clinique et de la profondeur humaine qui existent dans un service d’urgence et dans le travail de crise.

A partir d’un échantillon de données collectées sur une période d’un an d’octobre 2011 à septembre 2012, nous avons mis en évidence des facteurs cliniques et socio-démographiques associés de manière significative (p<0,05) au retour à domicile ou au contraire à l’hospitalisation psychiatrique suite à une prise en charge en HPCD. Certains de ces facteurs étaient déjà connus dans le contexte de la prise en charge des urgences psychiatriques en général (c’est-à-dire sans HPCD). Ce sont notamment la notion de conflit avec l’entourage sous-tendant la crise (OR=0,41) ou de diagnostic de trouble de la personnalité (OR=0,31), prédictifs d’un retour à domicile, mais aussi une demande de consultation émanant de l’entourage (OR=2,89), un antécédent d’hospitalisation en psychiatrie (OR=2,71), prédictifs d’une hospitalisation en psychiatrie.

Le facteur le plus prédictif d’une hospitalisation concerne la demande initiale du patient (OR=4,28): nous avons constaté qu’une demande d’hospitalisation lors du premier entretien aux urgences était prédictive d’une hospitalisation en psychiatrie à l’issue de l’HPCD. Ce phénomène est en partie explicable par le profil social et clinique « fragile » de ces patients demandant directement l’hospitalisation. Il rend probablement en compte des facteurs liés aux caractéristiques de l’équipe soignante et souligne ainsi les améliorations que nous pouvons apporter dans notre pratique du travail de crise. Elles portent en particulier sur l’alliance et la renégociation de la demande avec le patient et son entourage.

Au plan clinique, nous confirmons l’intérêt d’une HPCD sur l’évolution symptomatologique des patients avec notamment une diminution de la proportion de diagnostics de troubles dépressifs ou psychotiques en fin de prise en charge.

Au plan quantitatif, il ressort que, dans le contexte particulier du service d’urgences d’un hôpital général, la création de lits d’HPCD en 2005 avait permis une diminution de plus de 50% du

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nombre d’hospitalisations vers l’unité du secteur sur la période 2007-2012 comparée à la période 2002-2005. Nous avons montré que la grande majorité des hospitalisations en psychiatrie étaient décidées à l’issue d’une prise en charge par ce dispositif, véritable « filtre » permettant de travailler des solutions alternatives pour maintenir les patients dans la communauté. Par ailleurs, le taux d’hospitalisation en psychiatrie à partir du département des urgences pendant la période de l’étude était de 17,8%, largement inférieur à celui relevé dans des études précédentes où il dépasse souvent les 40% [25]. Cela reflète l’effet de l’ensemble des moyens disponibles du service des urgences psychiatriques du CHG de Rambouillet, c’est- à-dire non seulement l’HPCD, mais aussi la consultation de post-urgence et les liens avec l’ensemble du réseau ambulatoire de soins. Sans une intégration au sein d’un dispositif pensé au plan structurel, théorique et humain, l’HPCD montrerait ses limites : problèmes de compétence, burn-out des professionnels chargés du travail de crise, difficulté à trouver des solutions d’aval, entre autres. Il serait intéressant, dans de futures études, que le rôle de l’HPCD dans la réduction des hospitalisations en psychiatrie soit réévalué spécifiquement dans différents contextes en France en incluant une évaluation médico-économique (analyse coût- efficacité) pour confirmer son intérêt.

L’HPCD à l’hôpital général, au sein d’une unité de lits-portes partagés avec le somatique, représente une initiative encore rare en France. Elle existe cependant depuis plusieurs années à l’étranger et notamment à l’hôpital universitaire de Bruxelles où elle a été portée par De Clercq. Les résultats de notre étude suggèrent qu’elle peut avoir également sa place aujourd’hui en France. L’intérêt de ce modèle porte peut-être sur la position non stigmatisante de l’accueil psychiatrique à l’hôpital général, la volonté d’être en première ligne au plus près de l’urgence en accueillant une population la plus large possible, et la collaboration avec les collègues somaticiens dans les nombreuses situations où se mêlent le psychiatrique et le somatique. En particulier, une relation de travail constructive entre l’équipe psychiatrique et l’équipe somatique a le potentiel d’améliorer la prise en charge des patients aux urgences, notamment par un meilleur repérage des situations qui nécessiteraient une consultation psychiatrique voire un travail de crise en HPCD, mais aussi par une meilleure prise en charge somatique conjointe des patients étiquetés « psychiatriques ». Il existe cependant des limites à l’HPCD au sein d’une unité mixte aux urgences. Elle concerne le risque d’assimilation plutôt que d’intégration de la psychiatrie à l’urgence médico-chirurgico-obstétricale. En particulier, l’HPCD symbolise le passage du temps de l’urgence à celui de la crise : il reste donc plus étalé que celui des urgences somatiques, et la conduite à tenir, qui dépend du contexte, n’est le plus souvent pas

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protocolisable. Ces différences peuvent mener à des incompréhensions voire des conflits entre les équipes psychiatriques et somatiques si les spécificités de la psychiatrie dans le contexte de l’urgence ne sont pas respectées et protégées.

Enfin, l’HPCD a également un rôle important à jouer, en lien avec le reste du dispositif et notamment la consultation de post-urgence, pour initier et promouvoir le suivi ambulatoire des patients souffrant de pathologies psychiatriques à partir des urgences, mais aussi éviter l’institution psychiatrique à des patients qui traversent une crise ponctuelle, en les accompagnant sur le court terme.

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ANNEXES