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1.2 Le retournement temporel

1.2.3 Le retournement temporel en régime de diffusion multiple

Nous voulons maintenant montrer deux effets spectaculaires liés à l’utilisation du retournement temporel en régime de diffusion multiple, et discuter un aspect fondamental concernant la sensibilité du retournement temporel à des perturbations.

Compression temporelle

Comme nous l’avons vu, le signal retrouvé à la source à l’issue d’une opération de retournement temporel correspond à l’autocorrélation h ? h de la réponse impulsionnelle h (si la source émet un signal d’excitation infiniment bref). Or, dans le cas d’un milieu multiplement diffusant, cette réponse impulsionnelle s’étale en général sur une durée très grande devant la durée d’émission, de par une distribution très étalée des longueurs des chemins parcourus par l’onde. L’autocorrélation conduit alors à un très fort signal au temps t = 0, et donc à une très grande amplitude à la source à l’issue du retournement temporel. Physiquement, cette très grande amplitude correspond à l’interférence constructive à la source de tous les chemins repris par l’onde en chronologie inverse.

Nous présentons brièvement l’expérience historique qui a prouvé que même dans le régime de diffusion multiple, le retournement temporel fonctionnait, i.e. qu’une brève impulsion émise par une source ponctuelle était capable de retourner à sa source, même après de nombreux événements de diffusion dans le milieu.

(a)

(b)

Figure 1.9 – Retournement temporel d’une onde acoustique multiplement diffusée par une assemblée de tiges cylindriques immergées dans l’eau.(a)Une brève impulsion est émise grâce à un transducteur (S, à droite). L’onde créée est alors multiplement diffusée par les tiges et enregistrée par un réseau de transducteurs (miroir à retournement temporel, « TRM » sur la figure) situé de l’autre côté du milieu (voir figure1.10(a) pour un exemple de signal transmis).(b) Les signaux sont alors retournés tempo-rellement et tronqués tempotempo-rellement, puis émis par chacun des éléments du miroir à retournement temporel. Le transducteur source S enregistre alors le signal reçu, et peut être translaté pour étudier la variation spatiale du champ recréé. Figure extraite de [Der95].

Le dispositif expérimental (figure1.9) se compose d’une assemblée de tiges cylindriques métalliques, immergées dans l’eau. Le libre parcours moyen est le ' 9 mm, et le milieu a une épaisseur de L = 45 mm, ce qui assure d’être en régime de diffusion multiple. Un transducteur ultrasonore S placé d’un

CHAPITRE 1. NOTIONS FONDAMENTALES

côté de l’échantillon et un réseau de 96 transducteurs (miroir à retournement temporel, « TRM » sur la1.9(a)), permettent d’envoyer de recevoir des signaux.

Dans un premier temps (phase aller, figure1.9(a)), une brève impulsion (durée d’environ 1 µs) est alors émise par le transducteur S et on enregistre le champ transmis sur le miroir à retournement temporel. On obtient alors un signal beaucoup plus long que le signal source (la figure1.10(a)montre le signal reçu par un élément du miroir), ce qui confirme le régime de diffusion multiple.

Dans un second temps (phase retour, figure1.9(b)), les signaux enregistrés sont tronqués, retournés temporellement puis ré-émis grâce au miroir à retournement temporel et le champ créé est alors enregistré à la source S. Le transducteur S peut alors être translaté le long de l’axe parallèle à l’échantillon de façon à observer la focalisation spatiale de l’onde.

(a)

(b)

Figure 1.10 – Recompression temporelle d’un signal multiplement diffusé par une assemblée de tiges métalliques. (a) Le signal traversant l’assemblée des tiges (figure 1.9) est beaucoup plus long que le signal source (1 µs), signe que l’onde incidente est multiplement diffusée.(b)Le signal reçu à la source

S après l’opération de retournement temporel présente un pic de très grande amplitude et de durée très brève (environ 1 µs) : c’est la recompression temporelle. Figure extraite de [Der95].

La figure1.10(b)montre le signal temporel enregistré alors à la source S (axe temporel arbitraire). Nous constatons que ce signal présente un pic d’amplitude importante et de durée très brève (de l’ordre de la micro-seconde), signe que tous les signaux émis par les éléments du miroir à retourne-ment temporel arrivent en phase à la source à cet instant. Ce signal correspond en fait à la somme des autocorrélations introduite précédemment (équation (1.32)) et forme le pic de recompression tempo-relle.

Il est remarquable de constater que même dans un régime fortement diffusant, l’onde est capable de revivre sa vie passée et de reprendre en sens inverse tous les chemins suivis dans la phase aller. Bien que théoriquement possible, une telle réversibilité est en pratique impossible à obtenir dans le cas de particules, comme nous l’expliquerons par la suite.

Hyperfocalisation

En translatant le transducteur source S durant la phase retour, le profil du champ recréé peut être obtenu (figure1.11, trait épais). Nous constatons alors que le champ est focalisé sur la source S, et ce de façon beaucoup plus fine que les lois de la diffraction en milieu homogène ne l’autorisent (trait fin). En effet, la présence du milieu multiplement diffusant permet au miroir à retournement temporel de capter plus de vecteurs d’ondes de la source que ce qu’il capterait en l’absence du milieu (comparer

1.2. LE RETOURNEMENT TEMPOREL

Figure 1.11 – Hyperfocalisation induite par l’utilisation du retournement temporel en milieu multiple-ment diffusant (trait épais). Le retournemultiple-ment temporel dans l’eau mène à une tache focale plus grande (trait fin), conforme à la théorie de la diffraction. La diffusion multiple permet d’enrichir le spectre angulaire perçu par le miroir à retournement temporel, et donc de focaliser sur une zone beaucoup plus petite que ce qui est permis par la diffraction (voir figure1.12). Figure extraite de [Der95].

les ouvertures en vert et en orange sur la figure1.12). Tout se passe alors comme si l’onde qui revient à la source avait été émise par une source beaucoup plus grande qu’elle ne l’est vraiment. La taille de la tache focale n’est alors plus donnée par la limite de la diffraction mais par la taille du milieu diffusant [Tou99b].

Ouverture

physique

Ouverture

virtuelle

Figure 1.12 – La diffusion multiple permet d’enrichir le spectre angulaire perçu par le miroir à retournement temporel, et tout se passe alors comme si on utilisait une source d’ouverture bien plus grande (en orange) que l’ouverture réelle du miroir à retournement temporel (en vert). Cela mène alors a une tache focale dont la taille dépend de la taille du milieu diffusant, et plus petite que la limite de diffraction en milieu homogène. Figure adaptée de [Der95].

CHAPITRE 1. NOTIONS FONDAMENTALES Sensibilité aux perturbations

Le dernier point que nous aimerions discuter concernant le retournement temporel en régime de diffusion multiple est la sensibilité aux perturbations.

En effet, nous venons de voir qu’il était possible de faire revivre aux ondes leurs vies passées, et ce même lorsque ces dernières subissent un grand nombre de diffusions. Il a été montré que même en présence de perturbations dans le milieu entre la phase aller et la phase retour, l’onde était toujours capable de revenir à sa source [Tou99a, Tou01]. Cela est en opposition radicale avec l’irréversibilité du mouvement de particules. En effet, il est connu que malgré le caractère réversible de la seconde loi de Newton, il est en pratique impossible de faire revivre à une particule sa vie passée, à cause de l’extrême sensibilité aux conditions initiales [Bal96,Sni98].

En revanche, une onde est beaucoup moins sensible qu’une particule aux perturbations du milieu. Deux arguments physiques vont dans ce sens. Le premier est que contrairement à une particule, qui n’emprunte qu’un seul chemin pour aller d’un point du milieu à un autre, une onde emprunte en général une multitude de chemins (d’autant plus en régime multiplement diffusant). Ainsi, lorsqu’une perturbation est introduite dans le milieu, l’influence de cette dernière est beaucoup plus grande sur une particule que sur une onde. Le second argument est que contrairement au cas particulaire, l’opérateur d’évolution d’une onde est linéaire. Ainsi, une petite erreur faite lors de la propagation (à cause d’une perturbation dans le milieu ou d’une erreur sur les conditions initiales du champ retourné) se propage de façon linéaire sans s’amplifier. On peut en fait montrer quantitativement qu’une particule est sensible de façon exponentielle aux perturbations, alors qu’une onde est sensible de façon algébrique [Sni98].

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