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Le rejet des déchets : geste et assainissement

Chapitre 1 : Cadre théorique et conceptuel

1.4 Le Dépotoir comme élément du schème d’établissement

1.4.3 Le rejet des déchets : geste et assainissement

1.4.3.1 Un geste raisonné, un acte social

Les découvertes d’artéfacts et écofacts en contexte archéologique résultent de deux comportements humains que sont le rejet et l’abandon (Murray 1980 : 490). Les dépôts archéologiques sont la matérialisation d’une pratique répétée et le reflet d’une récurrence dans le comportement humain (Joyce 2008 : 28). Les éléments rejetés dans les dépotoirs sont déposés intentionnellement parce qu’ils sont désormais considérés comme inutilisables. Nous souhaitons ici distinguer le rejet hasardeux ou accidentel et celui qui dépend d’une action raisonnée dans le cadre d’activités humaines. Lorsque Needham et Spence définissent le dépotoir, il précise que l’accumulation du déchet dans un même lieu est délibérée et séquentielle (Needham et Spence 1997 : 80). C’est-à-dire que dans le cadre d’une sédentarité croissante ou établie, une communauté va choisir un emplacement précis pour y déposer ses déchets pendant une longue période. Le choix de l’emplacement du dépotoir n’est pas un acte anodin. Il s’inscrit dans l’organisation du schème d’établissement. Il doit répondre à une problématique organisationnelle, sanitaire et de praticité. Ce geste commun partagé par tous, plusieurs personnes ou maisonnées, va amener à la formation d’amas. Le rejet, comme geste, est un acte pensé et consenti. Il est aussi un geste social et culturel. On remarque que les habitants ont tendance à jeter leurs déchets secondaires là où leurs prédécesseurs ont laissé les leurs. Ce phénomène est appelé le « Arlo Guthrie trash-magnet effect » (Guthrie 1967). En fait, il semble simplement plus logique de constituer un gros tas d’ordures au lieu de créer plusieurs petits tas (Timmins 1997 : 169). La relation d’une population au rejet des déchets est dépendante de son fonctionnement social et culturel (Gifford-Gonzalez 2014 : 341-342).

Le rejet est un geste, une action sociale, qui, s’il est judicieusement étudié peut fournir un bon nombre d’informations sur l’organisation sociale et économique d’une communauté.

1.4.3.2 Assainissement du schème d’établissement

L’installation de populations dans des établissements permanents ou semi-permanents contraint les communautés à mettre en place des méthodes efficaces pour l’élimination des

déchets (Timmins 1997 : 168). Rapidement, des dépôts secondaires se développent dans des zones spécifiques. Nous avons vu qu’une communauté villageoise iroquoienne déménage régulièrement. Plusieurs raisons l’y obligent comme la détérioration des maisons et des palissades, la colonisation des réserves de nourriture par les rongeurs, l’épuisement des sols et de l’environnement ainsi que l’insalubrité croissante au sein et autour du village (Tremblay 2006 : 28). L’assainissement de l’espace d’occupation et la gestion des déchets constitue donc un point important dans la permanence d’une communauté à un même endroit pour une longue période.

Dans les zones de travail, les déchets sont régulièrement nettoyés pour ne pas gêner les activités en cours (Timmins 1997 : 167). Murray (1980) remarque que les déchets dans les espaces de vie sont entretenus et nettoyés sur une base régulière, y compris chez les populations nomades (Murray 1980; Schiffer 1987 : 59). L’assainissement des aires d’habitation n’est donc pas un schéma réservé aux groupes sédentaires. Toutefois, la sédentarité vient accentuer les problèmes sanitaires et le besoin de gérer le rejet des déchets adéquatement. La question sanitaire apparait comme centrale dans l’implantation des habitations dans les schèmes d’établissement, tout particulièrement dans les cas des villages palissadés (Rowlands 1972 : 459-460; Warrick 1984 : 29). Dans les villages iroquoiens, les ordures et les déchets organiques produits sont clairement éliminés des zones d’habitations vers des aires de dépôt (Bellhouse and Finlayson 1979; Trigger 1981; Warrick 1984). Certaines catégories de déchets, tels que les déchets lithiques ou les restes de boucherie, reçoivent un traitement d’élimination particulier (Arnold 1990 : 916; Timmins 1997 : 169). Les débris sont parfois évacués immédiatement et déposés dans des fosses spécialement creusées à cet effet. Après leur rejet, les déchets, comme les restes de boucherie, peuvent être soumis à un certain nombre de traitement comme le compactage ou l’incinération (Schiffer 1987 : 70). De son côté, Christian Gates-St-Pierre observe que sur le site Hector- Trudel les plus gros tessons de poterie rejoignent les dépotoirs. Les tessons les plus fragmentés restent à l’intérieur des maisons et dans les zones hors dépotoirs (Gates St- Pierre 2006 : 65). Ce phénomène s’explique sans doute par le fait que les petits tessons pénètrent plus facilement dans le sol alors que les gros tessons peuvent constituer une gêne.

Le rejet des déchets dans des espaces prévus à cet effet est donc une précaution pratique afin de ne pas encombrer l’espace inutilement. La création des dépotoirs a également une vertu sécuritaire. Néanmoins, l’accumulation des ordures directement à proximité des habitations est un schéma culturel que l’on retrouve souvent. On peut donc imaginer que tout était fait pour que les dépotoirs ne représentent pas de danger direct pour la santé. On retiendra également que lorsque l’intensité d’occupation d’un site augmente alors la liberté d’abandonner ou de jeter des déchets n’importe où diminue proportionnellement et oblige à organiser l’espace (Boone 1987 : 337; Gates St-Pierre 2010; Schieffer 1987). La gestion des déchets est conditionnée à la fois par la taille de l’occupation, le nombre de maisonnées et la durée probable de l’occupation (Arnold 1990 : 915).

En conclusion, nous retiendrons qu’un dépotoir est une accumulation en un même lieu de déchets. L’existence des dépotoirs est étroitement liée à la sédentarisation. Ce dépôt est séquentiel et intentionnel. Il résulte d’un geste raisonné de la part des habitants d’un village. Les déchets se composent essentiellement de matériaux dont l’utilisation à cesser. On observe un traitement différentiel en fonction du type de déchet. L’emplacement d’un dépotoir est choisi avec précision et s’intègre dans l’organisation du schème villageois. Le nettoyage et le choix de l’emplacement des dépotoirs répondent à une problématique sanitaire. On distingue les dépôts primaires et les dépôts secondaires ainsi que des étapes intermédiaires dans le traitement des déchets.

Chapitre 2 : Méthodologie