• Aucun résultat trouvé

PARTIE 2 LA LIBERATION DES DROITS D’AUTEUR : UNE POLITIQUE

4. L ES MOYENS DE FACILITER LA LIBERATION DES DROITS

4.2. Le recours aux systèmes de métadonnées juridiques

4.2.1. Métadonnées juridiques, DREL et MTP

Nous venons de voir que la libération des droits nécessitait de pouvoir collecter et exploiter un grand nombre d’informations à caractère juridique. Notre stage à BAnQ nous a permis de constater qu’une bonne maîtrise de l’information juridique est indispensable pour gérer de manière efficace et dynamique une collection numérique.

Or il est clair que la complexité de ces questions et la lourdeur des procédures exigées par la loi condamnent à plus ou moins court terme la gestion papier des affaires juridiques. Lorsqu’une collection, à l’instar de celle de BAnQ, comporte plusieurs centaines de milliers de documents, la gestion des licences sous format papier peut devenir hautement aléatoire. Les informations juridiques se dispersent, s’égarent, se déclassent et il devient très difficile d’entreprendre des recherches efficaces sans déployer des efforts considérables. Si la libération des droits est avant tout une question « diplomatique », comme nous l’avons vu plus haut, elle constitue aussi au final un défi en terme d’organisation des services, car c’est de la capacité de la bibliothèque à savoir manier l’information juridique que dépendra le coût réel de la numérisation des œuvres protégées.

Heureusement, les problèmes liés à l’environnement numérique sont souvent susceptibles de trouver des solutions grâce aux technologies numériques. En matière de droits d’auteur, un traitement automatisé des informations paraît aujourd’hui envisageable, grâce à l’utilisation de systèmes de métadonnées juridiques193.

Jusqu’à présent, dans la tradition classique du catalogage lié à l’environnement papier, les bibliothécaires se sont peu préoccupés de la collecte des informations liées à la propriété intellectuelle. Les standards ISBD/MARC comprennent très peu d’informations pertinentes de ce point de vue et on peut même dire qu’il existe une certaine interférence entre la notion de responsabilité intellectuelle et celle de

192 Cette partie condense les résultats d’une étude que nous avons menée lors de notre stage, à la demande du directeur des projets spéciaux en technologie de l’information. Cette étude complète figure à l’Annexe 4. Notre responsable de stage a par ailleurs soumis ce texte à la revue Les cahiers de propriété intellectuelle, qui l’a retenu. Une version remaniée paraîtra dans le numéro de janvier 2007.

193 On distingue traditionnellement plusieurs catégories de métadonnées : les métadonnées administratives ou de gestion, les métadonnées descriptives, les métadonnées structurales et les métadonnées de conservation. Les métadonnées juridiques sont des métadonnées administratives.

propriété intellectuelle, qui gêne considérablement l’appréhension par les bibliothèques des questions de droit d’auteur194.

Avec le développement des ressources numériques et l’apparition des métadonnées, le besoin s’est fait sentir en bibliothèque d’arriver à décrire de manière plus rigoureuse les questions de propriété intellectuelle. Une des grandes originalités du Dublin Core en 1995 fut justement d’inclure à côté d’élément de Contenu et d’Identification des éléments relatifs à la Propriété intellectuelle. Ces données restent cependant assez frustres et aussi bien dans leur définition que dans l’usage qu’en font les bibliothèques, elles demeurent fortement dans la dépendance des questions de responsabilité intellectuelle195, ce qui limite leur intérêt pratique.

C’est finalement en dehors des bibliothèques, dans la sphère commerciale, que des systèmes de métadonnées juridiques performants ont été mis en place. Certaines firmes, soucieuses d’arriver à créer des environnements sécurisés afin de favoriser le commerce en ligne, ont produit de véritables langages permettant l’expression des droits rattachés à des ressources (en anglais Digital Rights Expression Language ou

« DREL »). A l’heure actuelle, on peut dire qu’il existe trois modèles différents de DREL, utilisables par une bibliothèque numérique.

Les premiers, directement nés des besoins du commerce en ligne, peuvent être dits systèmes « répressifs ». Il s’agit d’ensembles développés et performants de métadonnées196, capables de décrire de manière très fine le statut juridique de ressources numériques. Leur but principal est cependant de constituer des environnements numériques sécurisés au moyen de DRM, automatiquement mis en application à partir des informations juridiques sur les œuvres. Conçus à l’origine pour être utilisés par des services de vente en ligne, ces systèmes peuvent tout à fait être utilisés par une bibliothèque numérique, bien que cela puisse soulever plusieurs questions délicates.

En réaction à ces systèmes d’origine commerciale, le monde des bibliothèques a commencé à développer ses propres solutions en matière de métadonnées juridiques.

Il s’agit de modèles «descriptifs » qui se contentent en général de rendre compte du

194Sur cette question Cf. Annexe 4, p. 151.

195 Certaines BU, par exemple, utilisent l’élément Contributor du Dublin Core pour indiquer le nom du directeur de thèse. Si cet usage a un sens du point de vue de la responsabilité intellectuelle, il n’en a pas du point de vue de la propriété intellectuelle, les directeurs de thèse ne pouvant revendiquer aucun droit d’auteur sur les travaux qu’ils dirigent. Voilà donc un exemple flagrant dans lequel un élément de propriété intellectuelle est « contaminé » par une approche typiquement bibliothéconomique en termes de responsabilité intellectuelle.

statut juridique des ressources. Le volet Propriété Intellectuelle du Dublin Core a ainsi été récemment enrichi de nouveaux éléments197. La Bibliothèque du Congrès a quant à elle ajouté un développement spécifique à son système de métadonnées METS : METSRights198. Sans être encore capable de rivaliser avec leurs homologues commerciaux, ces DREL permettent d’ores et déjà d’envisager un traitement intéressant de l’information juridique en bibliothèque numérique.

Une dernière piste intéressante, aux antipodes de la logique répressive des systèmes de DRM, est celle proposée par les licences libres, du type Creative Commons199. Ces licences modulables peuvent constituer les pièces centrales de systèmes « permissifs », qui indiquent aux utilisateurs les usages autorisés plutôt que d’interdire, voire de réprimer, les usages illicites.

Le choix que peut faire une bibliothèque entre ces différents systèmes n’est absolument pas « neutre ». Il reflète et influe directement sur la politique de diffusion de l’établissement et sur le profil de sa collection numérique.

4.2.2. Métadonnées juridiques et besoins des bibliothèques numériques

Bien que les métadonnées juridiques puissent rendre de grands services aux bibliothèques, il faut reconnaître qu’à l’heure actuelle aucun de ces systèmes ne satisfait encore complètement les besoins d’une collection numérique200.

Les DREL « répressifs » issus de la sphère commerciale sont trop marqués par leur origine. Même s’ils sont potentiellement puissants, leur utilisation présente certains risques non négligeables pour une bibliothèque. Conçus pour des œuvres sous licence, ils peuvent avoir du mal à gérer les ressources appartenant au domaine public ou libres de droit. L’emploi des DRM qu’ils proposent, voire impliquent nécessairement, est également susceptible de perturber le fonctionnement d’une

196 On peut citer par exemple les langages MPEG-21/5 ou ODRL (Open Digital Rights Language). Pour une description plus détaillée Cf. Annexe 4, p. 164.

197 Cf. Annexe 4, p. 154.

198 Cf. Annexe 4, p. 156.

199 Cf. Annexe 4, p. 160.

200Dans le cadre du stage, nos responsables nous ont demandé d’étudier les possibilités d’implanter un système de métadonnées juridiques qui permettrait de traiter la masse toujours croissante d’informations relatives aux droits d’auteur. BAnQ possèdait déjà dans son registre de métadonnées certains champs réservés aux questions de droits d’auteur. Ces champs avaient été développés en adaptant les éléments du Dublin Core aux besoins internes. A l’heure actuelle, ce système n’a jamais donné entière satisfaction, notamment parce qu’il s’est avéré extrêmement difficile de récupérer l’information juridique relative aux œuvres de la collection, qui était dispersée dans l’établissement sous forme de registres papier et de bases de données propres à chaque service. Un nouveau système de métadonnées devait permettre à terme de pouvoir disposer d’une base de données, servant à la fois à collecter, conserver et réutiliser les informations juridiques de manière simple et efficace. La Direction des affaires juridiques souhaitait également pouvoir mettre en place des applications facilitant la gestion de la collection. On peut ainsi imaginer un système d’alertes automatiques, prévenant les gestionnaires lorsqu’une œuvre est sur le point de tomber dans

bibliothèque numérique. Ils peuvent ainsi priver les usagers du bénéfice de certaines exceptions législatives, comme le fair use au Canada201.

Les DREL « descriptifs » développés par les bibliothécaires, comme MESTRights, permettent de rendre compte convenablement du statut juridique des œuvres de la collection et de conserver des informations utiles relatives aux titulaires de droits. Mais ils ne permettent guère encore de développer des applications informatiques susceptibles d’exploiter au mieux cette information202.

Les DREL « permissifs » issus de la Culture Libre, comme les Creative Commons, offrent des perspectives intéressantes, notamment parce qu’ils permettent une régulation des usages plus « pédagogique » que répressive, et une connexion des bibliothèques avec les créations de la Culture Libre. Mais ils ne sont pas adaptés à tous les établissements et ils sont très loin de couvrir tous les besoins.

Au final, cette inadéquation globale des DREL aux collections numériques s’explique largement par le fait qu’ils sont pour l’instant développés surtout par le secteur commercial, qui a d’autres priorités que celles des bibliothèques. Il est primordial que le monde des bibliothèques prenne conscience de l’importance des DREL et des DRM, dont l’usage pourrait un jour leur être imposé par la loi203. Le risque est d’être obligé d’utiliser dans l’avenir des standards développés par la sphère commerciale, mal adaptés aux besoins des bibliothèques, voire gênants pour l’accomplissement de certaines missions.

Plusieurs auteurs estiment que les bibliothécaires devraient réfléchir et exprimer clairement leurs besoins en matière de métadonnées juridiques, afin qu’ils soient pris en compte par les développeurs. Nous pensons de notre côté que les bibliothécaires pourraient participer directement à leur développement. Plutôt que de s’opposer globalement à l’usage des DRM204, il est certainement plus stratégique pour les bibliothèques de commencer à mettre au point leurs propres systèmes. Les

le domaine public, lorsqu’une licence arrive à son terme ou quand il est nécessaire de verser à nouveau une redevance périodique. De telles tâches, simples en apparence, peuvent s’avérer extrêmement fastidieuses sans traitement automatisé.

201 Un système informatique étant par définition incapable d’appréhender des notions aussi subtiles et compréhensives que l’utilisation « équitable ».

202 BAnQ, qui ne veut pas mettre un système de DRM pour gérer sa collection, va ainsi certainement être obligé de développer en interne ces applications informatiques, à partir du logiciel SDX.

203 S’il avait été adopté, le projet C-60 de réforme de la Loi sur le Droit d’Auteur canadien aurait ainsi certainement contraint à terme les bibliothèques à employer des systèmes de DRM. Cf. supra p. 39.

204 Il convient en effet de ne pas confondre DRM (Digital Rights Management) et MTP (Mesures techniques de protection) qui sont souvent donnés pour synonymes. Ces dernières sont des procédés de verrouillage, qui, de l’avis de bien de bibliothécaires, sont susceptibles d’entraver le fonctionnement des établissements. Mais le terme DRM a une signification plus large quil englobe tous les systèmes informatiques permettant de gérer les questions de propriété intellectuelle. On peut ainsi être

bibliothécaires pourraient, par exemple, élaborer une ontologie susceptible de servir de support à des applications concrètes en matière de droits d’auteur, un peu à l’instar de ce qui a été accompli avec le modèle FRBR205 pour la bibliothéconomie générale

fondamentalement contre l’emploi des MTP en bibliothèque, mais continuer à réfléchir sur la possibilité d‘utiliser les DRM pour améliorer la gestion des collections numériques.

205 Car si les DREL sont pour l’instant tous assez insatisfaisants pour les bibliothèques numériques, c’est parce qu’ils reposent selon nous sur des « ontologies implicites » trop pauvres. Il serait intéressant d’essayer de formaliser une ontologie explicite, capable d’exprimer le statut juridique de tous les types de ressources que l’on peut rencontrer dans une collection numérique.

Ce serait aussi l’occasion pour les bibliothécaires de réfléchir à la distinction à opérer entre responsabilité intellectuelle et propriété intellectuelle, préalable indispensable selon nous, afin que les catalogues puissent mieux prendre en compte l’information juridique. Les ontologies déjà produites par les bibliothèques, comme le modèle FRBR(Functional requirements for bibliographic records), sont déjà susceptibles de recevoir des applications juridiques. Cf. IFLA. FRBR Bibliography :

Applications to rights management [en ligne]. Disponible sur :

http://infoserv.inist.fr/wwsympa.fcgi/d_read/frbr/FRBR_bibliography.rtf (Consulté le 28 décembre 2006).

Partie 3 Les droits d’auteur en question :