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Le principe

Dans le document La faute nautique (Page 98-101)

114. – Généralités. - La jurisprudence française semble rejoindre, sur ce point, la plupart des jurisprudences étrangères. Elle se révèle particulièrement bienveillante à l’égard des transporteurs. Aussi, elle fait pleinement jouer la faute nautique.

Nous résumerons ci-dessous deux récentes affaires exposant la solution retenue par elle : les arrêts Darfur et Eugenio.

115. – L’arrêt navire Darfur. – Le 20 novembre 1995, le navire Darfur et le navire Happy Fellow entrent en collision dans le chenal de la Seine. 326 S’en est suivie une

assistance portée au navire Darfur, ainsi que l’ouverture d’une procédure d’avaries communes. Afin d’être indemnisés des pertes et avaries à la marchandise ainsi que de leur contribution d’avaries communes, les ayant-droits à la cargaison assignent conjointement devant le tribunal de Commerce du Havre les armateurs, propriétaires du navire, sur un fondement délictuel (la règle D d’York et d’Anvers), ainsi que le transporteur, affréteur à temps, sur la base du connaissement.

Le jugement déclare les demandeurs irrecevables. Ayant interjeté appel, les intérêts-marchandises finissent par voir accueillir en partie leurs prétentions : la Cour d’appel de Rouen, dans un arrêt du 2 octobre 2008, infirme partiellement les premiers juges.

D’abord, concernant l’action diligentée contre l’armateur, propriétaire, lequel avait armé le navire Darfur, la Cour maintient les constatations du Tribunal relatives à la cause de l’abordage survenu entre les deux navires. La fausse manœuvre provient bien d’une perte de l’usage de la barre du navire Darfur,

325 Contrairement à l’avarie commune, l’avarie particulière consiste en des dommages survenus par accident à la

marchandise en cours de transport.

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« résultant d’un court-circuit causé par un serrage défectueux du fil de raccordement » - aussi, « l’appareil à gouverner aurait pu fonctionner à nouveau normalement en faisant usage de l’interrupteur situé à droite de la barre et permettant de mettre en service le deuxième moteur considéré comme moteur auxiliaire dont était doté le navire ».327 La Cour relève ainsi que la

collision était imputable à ce navire. Considérant que l’équipage du navire Darfur ignorait l’existence dudit interrupteur, la Cour estime alors qu’ « indépendamment d’une faute nautique de navigation proprement dite, la faute personnelle de l’armateur dans l’administration du navire ayant consisté à ne pas donner à l’équipage de consigne écrite concernant la faculté de se servir du moteur auxiliaire en cas de panne est établie et a contribué à la réalisation du dommage en ne mettant pas le personnel de bord en capacité de réagir à une panne, quelque soit son origine, affectant le moteur principal ».328 En conséquence, les armateurs voient

leur responsabilité engagée sur un fondement extracontractuel dans la mesure de leur faute personnelle.

Surtout, il sera intéressant de constater que relativement à l’action des intérêts-cargaison contre le transporteur, affréteur à temps du Darfur , la Cour considère que la fausse manœuvre révélant la faute de navigation était bien établie, et exonérait a priori le transporteur maritime vis-à-vis des ayant droits aux marchandises. Toutefois, la Cour d’appel tenait à vérifier que le transporteur n’avait pas ici failli à son devoir de due diligence pour mettre le navire en état de navigabilité, ce qui aurait privé d’effets le cas excepté tiré de la faute nautique.329

Selon les magistrats, aucun élément n’est de nature à établir la négligence du transporteur dans l’entretien et la sécurité du navire. Le transporteur est par conséquent fondé à s’exonérer par la faute nautique - laquelle joue ainsi pleinement, que ce soit par rapport à l’action en indemnisation des dommages à la marchandise ou concernant l’action en restitution de la contribution d’avaries communes. Le transporteur « ne peut être tenu pour responsable et de ses conséquences au regard tant des dommages causés aux marchandises que de ceux résultant de l’obligation pour les assureurs de contribuer aux frais d’assistance ». 330

116. – L’arrêt navire Eugenio. – L’arrêt navire Eugenio331 établit une solution

similaire qui se révèle plus explicite encore que celle donnée par les magistrats rouennais dans le cadre de l’affaire Darfur.

En l’espèce le transporteur maritime avait pris en charge à bord du navire Eugenio deux conteneurs contenant une cargaison de homards congelés pour un

327 Idem.

328 Idem.

329 Cf supra, p. 74 et s.

330 CA Rouen 2 octobre 2008, navire Darfur, DMF, Nº 711, 1er février 2010, obs. M.-N. Raynaud.

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transport entre Tolagnaro (Madagascar) et Tokyo (Japon). Peu de temps après le début du voyage, le navire tente d’éviter une épave et s’échoue. Devant être remorqué jusqu’au port de Durban (Afrique du Sud), le navire fait l’objet d’une assistance, laquelle entraine l’ouverture d’une procédure d’avaries communes. L’assureur-facultés subrogé dans les droits du destinataire assigne le transporteur en indemnisation des avaries particulières constatées sur la marchandise et, d’autre part, en remboursement de la contribution d’avarie commune qu’il avait dû verser.

Le Tribunal de Commerce de Marseille rejette ses prétentions.

La cour d’Appel d’Aix en Provence, le 5 novembre 2012, confirme le jugement, « estimant, au regard de l’action en avarie particulière, que l’assureur ne renversait pas la présomption de livraison conforme ; et, vis-à-vis de l’action en remboursement de la contribution d’avarie commune, que l’assureur ne démontrait pas une faute quelconque de l’armateur dans la mise en état de navigabilité du navire ayant causé l’échouement, lequel était entièrement imputable à la faute nautique commise par le capitaine du navire ».332

Se pourvoyant en cassation, les assureurs soutiennent que le transporteur est responsable en qualité de commettant de son préposé, le Capitaine - « la faute nautique n’ayant, selon eux, d’effet exonératoire que dans le cadre du contrat de transport maritime, pour les seuls pertes ou dommages subis par la marchandise », à l’exclusion du cadre de la contribution à l’avarie commune.

Considérant au contraire que les effets exonératoires de la faute nautique ayant causé l’avarie commune ne se limitent pas au seul cadre du contrat de transport, la Juridiction Suprême, dans un arrêt en date du 4 mars 2014, rejette le pourvoi. La Cour de Cassation rappelle en effet qu’il résulte de la règle D des règles d’York et Anvers qu’en cas d’avaries communes, lorsque l’événement qui a donné lieu au sacrifice ou à la dépense aura été la conséquence d’une faute commise par l’une des parties engagées dans l’aventure, il n’y aura pas moins lieu à contribution, mais sans préjudice des recours ou des défenses pouvant concerner cette partie à raison d’une telle faute ».333

117. – Bilan. - Il apparait en définitive de manière assez limpide que s’agissant d’une faute dans la navigation du navire exonérant in fine le transporteur, les intérêts-cargaison ne sont pas fondés à obtenir restitution de la contribution d’avarie commune versée par eux plus tôt.

Notons toutefois qu’il reste pour les ayant-droits aux marchandises la possibilité de démontrer que l’acte d’avaries communes a pour origine une faute dans la navigabilité, laquelle priverait la faute de navigation de causalité directe et exclusive avec l’accident. Dans ce cas, le transporteur verrait sa responsabilité engagée et ne saurait s’exonérer ni de l’action en indemnisation de l’avarie

332 Idem.

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particulière, ni de l’action en restitution de contribution d’avarie commune.

Le droit français n’est pas le seul système à adopter une solution aussi favorable aux intérêts du transporteur maritime. En effet, devant la plupart des juridictions dans le monde, le transporteur se verra in fine accorder le bénéfice des contributions d’avaries communes à partir du moment où sa faute l’exonère de toute responsabilité selon la loi applicable au contrat de transport. Ainsi, la règle D des règles d’York et d’Anvers est généralement interprétée de la manière suivante : le recours intenté contre celui auquel la faute est imputable en indemnisation de la contribution est voué à l’échec, si ladite faute constitue un cas excepté exonératoire de responsabilité pour cette partie engagée dans l’aventure.

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