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Juan de Herrera, 2003

Thème 5. Le patrimoine en pisé de la région Auvergne-Rhône-Alpes

Problématique et questions de recherche

La terre, en tant que ressource disponible à peu près partout, est utilisée depuis tout temps par l’homme comme matériau de construction et ce sous des formes diverses, liées à la fois aux conditions physique des lieux, au climat, mais aussi en fonction des connaissances des hommes et des échanges qui ont eu lieu entre eux. Les techniques de construction se sont développées et affinées pour arriver à des édifices de plus en plus durables. En l’état des connaissances actuelles, on pense que ce sont les carthaginois329 qui ont élaboré la technique du pisé puis les romains qui l’ont largement diffusée tout autour de la méditerranée, et peut-être au-delà, en Asie ou toutefois une technique similaire330 existe depuis aussi très longtemps.

Plus tard, à l’aube du 19e siècle, la construction en pisé a connu un fort regain d’intérêt et un très large développement en partie grâce aux publications de l’architecte et arpenteur juré lyonnais François Cointeraux, mais aussi dans un contexte porteur qui suit la Révolution française, favorisant l’accès à la terre (droit au sol), pour s’installer, et donc aussi pour bâtir, avec des efforts des populations rurales de l’époque de mettre en commun leurs forces dans des systèmes d’entraide. Cette période vit un changement radical de la qualité du bâti rural, décrit précédemment comme des masures de bois et de torchis à bâtières de chaume et qui devient progressivement ces grandes fermes que l’on voit toujours aujourd’hui, mais aussi des bâtiments publics (écoles, mairies) des églises, …

Ce bâti était d’une qualité telle que c’est sans peine qu’il a franchi les siècles. Ainsi on trouve aujourd’hui en France de nombreuses constructions en pisé réparties de manière régionale, mais principalement dans la vallée du Rhône, le Val de Saône et le Dauphiné. La Région Rhône-Alpes-Auvergne possède en effet une base géologique propice à ces constructions en pisé - terres remaniées des lits majeurs des fleuves et rivières, et terres également remaniées de moraines glaciaires - et hérite directement des cultures constructives méditerranéennes. Pour exemple, 75% de l’habitat traditionnel dans les communes du nord du département de l’Isère est bâti en pisé. Cette concentration de

329 Hubert Guillaud in : Actes des deuxièmes rencontres transdisciplinaires sur les constructions en terre crue, 2005

330 En Chine, une technologie très simple de banchage avec des troncs de peuplier ligaturés permet de faire de nombreuses réalisations qui vont de l’aménagement paysagé à la construction de murailles et enfin de mur de maisons.

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constructions en terre est unique en Europe de l’Ouest, non seulement d’un point de vue qualitatif, mais aussi de l’histoire dont elle est porteuse.

Ce patrimoine, base de la réflexion et de très nombreuses connaissances du laboratoire CRAterre, et même de sa création, mérite en retour toute notre attention. Ceci est plus particulièrement pertinent aujourd’hui car des initiatives (DRAC-ABF, Communautés de communes, Parc régionaux, associations,…) se multiplient dans la région pour assurer sa valorisation avec des actions de promotion, dans certains cas de sauvegarde, mais aussi d’accompagnement d’une nécessaire mise aux normes de ce patrimoine, notamment du point de vue énergétique. Dans ce cadre aussi, certains élus nous soutiennent pour tenter de monter un dossier de nomination au Patrimoine mondial de ce patrimoine en pisé de la région qui présente un véritable intérêt culturel et technique, qui constitue une marque identitaire forte de nombreux paysages des territoires et un potentiel touristique à exploiter.

Ceci dit, nous partageons avec les différents organismes avec lesquels nous travaillons les questions de recherche suivantes :

Comment répondre aux nouvelles attentes et exigences de confort des habitants (plus de lumière, plus de confort, meilleure isolation, espaces plus grands) sans dénaturer les habitations, et sans risquer de les affaiblir voire même de les détruire ou de les mettre en danger (des cas nous sont rapportés régulièrement) ?

Comment répondre au souci des élus et des associations de sauvegarde du patrimoine d’une conservation du paysage culturel que représente ces constructions aux tons ocres, elles-mêmes placées proches des champs aux couleurs avoisinantes ?

Dans un univers où les techniques de construction ont particulièrement évoluées et dans lequel aucune formation spécifique n’existe, quelles sont les techniques qui doivent être employées ? Quand elles existent, comment diffuser les bonnes pratiques de restauration de ce patrimoine ? Quelles sont les bonnes méthodes de mise à niveau en matière de performance énergétique qui conservent bien les qualités intrinsèques du matériau et ne risquent pas d’engendrer des pathologies ? Lesquelles d’entre elles sont crédibles (techniquement et financièrement) ? Quelles nouvelles filières peut-on lancer pour diffuser de nouvelles pratiques à base de matériaux locaux ? Lesquelles vont intéresser les professionnels de la région et les propriétaires ? Quelles sont les sources actuelles d’informations ? Comment les alimenter ? Quels seraient les bons médias à utiliser ? Quelle place pour les NTIC dans les actions d’inventaire comme de valorisation ?

195 Hypothèses de recherche

Le patrimoine bâti en pisé en Rhône-Alpes-Auvergne est la principale ressource architecturale faite avec le matériau terre à la fois en France et en Europe. Sa conservation est bien entendu essentielle mais surtout, sa mise en valeur et sa promotion sont toutes deux les solutions incontournables pour le futur du pisé et l’identité de nombreux territoires de la région.

Il semble tout à fait crédible de penser qu’une forte valorisation du patrimoine en pisé dans la région et plus largement en France, pourrait permettre de conserver une identité forte du territoire, mais aussi attirer des visiteurs toujours plus avides d’une diversité culturelle marquée.

Il s’agit aussi de faire (re)découvrir cette richesse architecturale au grand public de lui faire prendre conscience de son intérêt (pas seulement à titre individuel, mais aussi collectif : un patrimoine à partager) et de collaborer autour de ces constructions avec un public de professionnels. Ce dernier point est un rouage essentiel à la bonne conservation de ce patrimoine. C’est avec les professionnels que nous pourrons orienter les choix et développer les solutions idoines permettant de répondre aux différents critères (espaces, lumière, isolation, patine de surface et traces de l’histoire, présence dans le paysage du village (ou de la ville) d’un projet de réhabilitation d’un patrimoine en pisé, dont certains peuvent déboucher sur des options contradictoires.

Il faut profiter du marché existant (une demande qui se développe pour des travaux plus respectueux de ce patrimoine et qui le mettent en valeur) pour créer des échanges entre tous les acteurs, établir une formation spécifique de nouveaux professionnels et accentuer la conservation, voire initier de nouvelles constructions.

Bibliographie de référence

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économique et de médecine rurale et vétérinaire. Paris : [s.n.], 1786.

COINTERAUX, François. École d’architecture rurale et économique. [s.l.] : Impr. de N.-H. Nyon, 1790. CAUE de l’Ain. (1983).Le pisé, entretien et restauration. Bourg en Bresse : CAUE de l’Ain, octobre 1983.

GUILLAUD, Hubert. Une grande figure du patrimoine régional Rhône-Alpes : François Cointeraux

(1740-1830) : pionnier de la construction moderne en pisé. Villefontaine, France : CRATerre-EAG,

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JEANNET, Jacky, POLLET, Gérard. Pisé, terre d’avenir ? Clermont-Ferrand : Ecole d’Architecture de Clermont-Ferrand, juin 1983.

JEANNET, Jacky, PIGNAL, Bruno, POLLET, Gérard, et al. Le pisé : patrimoine, restauration, technique

d’avenir. 3ème édition. Nonette : Créer, 2003. 122 p.

NEGRE, Valérie. « La “Théorie-pratique” du pisé. » Techniques & Culture. Revue semestrielle

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PIGNAL, Bruno. Terre crue: technique de construction et de restauration. Paris : Eyrolles, 2005. ISBN: 9782212113181.

BRUSQ, Soline, PACCOUD, Grégoire. La restauration du bâti en pisé en Dauphiné. Mémoire de DSA Terre. Grenoble : école nationale supérieure d’architecture de Grenoble, juin 2006. 137 p.

LE TIEC, Jean-Marie, PACCOUD, Grégoire. Pisé H2O: de l’eau et des grains pour un renouveau du pisé

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GUILLAUD, Hubert (dir), ANGER, Romain, FONTAINE, Laetitia, et al. Terra Incognita. Découvrir et

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2008. 224 p. ISBN : 978-972-8479-52-7.

ATHEBA. Connaissance du bâti ancien. [s.l.] : Maisons paysannes de France, 2010. 4 p. MOEVUS, Mariette, ANGER, Romain, FONTAINE, Laetitia. État de l’art. Caractéristiques

hygrométriques, mécaniques et thermiques de la terre crue. Grenoble : CRAterre-ENSAG, 2011. 74 p.

CHABRIAC, Pierre-Antoine, MOREL, Jean-Claude, HAMARD, Erwan. Isoler sa maison en pisé ? [En ligne]. [s.l.] : ENTPE/CNRS, 2012. 2 p.

DJAHANBANI, Keivan, HEBERLE, Elodie, BURGHOLZER, Julien, et al. Étude de la réhabilitation

hygrothermique des parois anciennes: HYGROBA. Cahier n°1:murs en terre crue [En ligne]. [s.l.] :

[s.n.], février 2013. 35 p.

Résumé de mes apports dans le domaine

Le patrimoine de la région a été pour moi une source d’inspiration et un véritable sujet de recherche. Toutefois, sans moyens affectés directement pour aborder ce patrimoine, c’est surtout à l’occasion de missions spécifiques, puis dans le cadre de l’aspect pratique des enseignements du DSA terre que j’ai eu à l’aborder.

Ce sera tout d’abord à l’occasion de la construction de la halle de vente de l’association « Le panier fermier » que la mairie de St Rambert d’Albon nous commanda un inventaire des bâtiments remarquables en pisé et galets de la commune. Ce sera l’occasion de tester une première fois la réalisation d’un inventaire avec un premier niveau de participation que nous avons réutilisé par la suite en Afrique, notamment au Cameroun, à l’échelle du pays.

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Ce sera aussi à l’occasion d’expertises que j’ai réalisé à la fin des années 1980 avec Pascal Odul, qui entre autres avaient pour vocation de réfléchir à une méthodologie applicable plus largement, et qui nous servit de base pour les exercices pratiques des cours PAT organisés avec l’ICCROM successivement en 1989, 1990 et 1992. L’idée était alors de bien équilibrer les critères patrimoniaux et techniques, et d’avoir une vision large du patrimoine, dans son contexte environnemental : les abords, les bâtiments voisins servant de référence, …

Par la suite, j’ai poursuivi ce travail dans le cadre du développement de l’enseignement du DSA terre sur cette thématique. En m’inspirant des travaux faits sur les questions d’identification des valeurs et de planification stratégique , notamment dans le cadre du programme Africa 2009, j’ai développé une méthode d’approche de ce patrimoine qui apportait des compléments plus culturels, historiques et paysagés et de réponses structurées, à celle, plus classique, de simple étude de l’état et de réponses techniques. C’est cette méthode qui servait de base de travail pour le déroulement de la partie pratique de cette section patrimoine du DSA architecture de terre.

Récemment, avec l’obtention du LabEx que nous avons pu relancer le travail de façon formelle sur ce patrimoine en allouant des moyens tout d’abord à Grégoire Paccoud qui plancha sur les question de mise à niveau de ce patrimoine des points de vue énergétique et avec qui nous avons développé une plaquette de sensibilisation à destination du grand public, centrée sur la communauté de communes de Chatillon sur Chalarone.

Nous avons en parallèle alloué des moyens aujourd’hui sous forme de bourse de doctorat à Léa Genis qui pour sa part travaille sur les questions de critères d’appréciation de ce patrimoine par ses occupants, sur les critères de décisions et surtout sur les circuits de diffusion d’information, y compris ceux des organismes d’aide (CAUE, ADEME, etc.). Actuellement Léa Genis est suivie par Hubert Guillaud. Pour ma part, je l’aide surtout dans ses relations avec les organismes travaillant sur le terrain, notamment les communautés de communes du Pays voironnais et des Vallons de la Tour. L’idée est de voir comment son travail peut être déjà valorisé comme aide à la décision, et en retour, enrichi par des remontées d’expériences menées sur le terrain.

Nous avons aussi confié à Sébastien Moriset la coordination de la préparation d’un ouvrage sur la Réhabilitation des bâtiments en pisé de la région Auvergne-Rhône-Alpes sur lequel j’ai apporté un regard extérieur en effectuant plusieurs relectures.

Un récent résultat de ces efforts a été la collaboration que nous avons établie avec la CAPEB - Confédération de l'Artisanat et des Petites Entreprises du Bâtiment - de la région Auvergne-Rhône-Alpes pour la production d’un livret d’information à destination des artisans intitulé « Pisé vivant » en

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appui à leur chef de projet – édition : René Tardy. Celui-ci sera lancé officiellement fin 2016, premier numéro de la nouvelle série qui est lancée avec le rapprochement des deux fédérations suivant la nouvelle géographie de nos régions.

Aujourd’hui ma réflexion est sur un approfondissement de la partie diagnostic de ce patrimoine, avec la recherche du meilleur équilibre possible entre différents critères de valeur, plus ou moins mis en avant par les différents interlocuteurs que nous retrouvons sur le terrain et ce en fonction de leur nature / organisme de tutelle. Ces critères sont :

. aspects culturels : repérage des éléments porteurs de valeurs culturelles (traces de l’histoire, de l’usage,…)

. architecture et paysage : quelle(s) qualité (s) du bâtiment, pour les usagers, mais aussi quelle importance dans le paysage. Définition du potentiel est des contraintes en matière d’intégration ; . usage : quel potentiel du bien versus quels besoins / souhaits, avec quelles contraintes pour diverses parties du bien considéré;

. aspects techniques : étude de l’état, compréhension des circonstances et processus des éventuelles dégradation, hiérarchisation des priorités ;

. aspects énergétiques : quelle performances, quels besoins pour quelles parties du bâtiments ; . social / professionnel : les compétences sont-elles réunies, à réunir ? qui va pouvoir faire quoi dans le projet ?

. financier : solutions techniques possibles, planning d’intervention.

Avec plusieurs soutiens locaux, nous travaillons actuellement à l’idée du montage d’un dossier de nomination au patrimoine mondial du Pisé de la région. Les éléments techniques sont désormais réunis, et même si le recensement complet des éléments les plus proéminant de ce patrimoine reste à finaliser, un premier jet de dossier est en cours d’élaboration dans le cadre du travail de mémoire d’un de nos étudiants de DSA, Felipe Gutiérrez. Une grande réunion de parties prenantes de la région sera organisée début 2017 avec la DRAC. Celle-ci sera déterminante pour les suites qu’il sera possible de donner à une telle initiative.

Bibliographie personnelle sélective

JOFFROY, Thierry, SAPERE, D., BALDUSSI, Alessandro, 1991. Patrimoine architectural en pisé et en

galets en pays de Valloire-Galaure. Repérage de bâtiments typiques et particuliers. Saint Vallier,

Grenoble : GICAM, CRATerre-EAG. 56 p.

JOFFROY, Thierry, 1991b. Le mai du patrimoine architectural. Gicam, pays Valloire-Galaure. Saint Vallier, Grenoble : GICAM, CRATerre-EAG. 6 p.

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JOFFROY, Thierry, 1994a. Analyse de l’état d’un groupe de maisons en terre à Ouzilly Vignolles (86) et

propositions pour leur restauration. Rapport d’expertise. Grenoble : CRATerre-EAG. 24 p.

ALEX, Dorothée, GANDREAU, David, GUILLAUD, Hubert, JOFFROY, Thierry, MORISET, Sébastien, ANGER, Romain, FONTAINE, Laetitia, RAKOTOMAMONJY, Bakonirina, MISSE, Arnaud, 2012. Petit guide

des architectures en pisé à Lyon [en ligne]. Grenoble : CRAterre-ENSAG. 37 p. Disponible sur : <

https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00953665 > (consulté le 7 septembre 2015).

GUILLAUD, Hubert, JOFFROY, Thierry, 2013. « La construction en terre de France : techniques et architectures, prospective ». In : Les cours publics 2012-2013: histoire et actualité des architectures

rurales dans leur paysage [en ligne]. Paris : Cité de l’architecture et du patrimoine - Ecole de Chaillot.

Disponible sur : < http://webtv.citechaillot.fr/video/12-construction-terre-france > (consulté le 12 novembre 2014).