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Le patient difficile et sa relation aux secteurs

PARTIE 2 : LE PATIENT DIFFICILE ET SA PLACE DANS LE SYSTEME DE SOIN

A. Le patient difficile et sa relation aux secteurs

"La psychiatrie a les malades difficiles qu'elle mérite", tels sont les premiers mots de Senninger dans l'une de ses publications, pointant du doigt non pas le malade difficile mais l'institution le prenant en charge [71]. Mais cette dernière est-elle si responsable ?

Cujo, en 1978, a tenté de définir le terme "difficile" qualifiant les patients orientés vers les UMD comme "un terme qui recouvrait l'idée et la crainte d'un danger que le malade faisait encourir aux autres malades, aux soignants, ou encore à l'idéologie thérapeutique de l'équipe psychiatrique de secteur et à son propre narcissisme" [72].

Dès lors, le patient renvoyait une image de "danger", de "dangerosité", termes à la définition complexe qui n'ont jamais obtenu de consensus franc que ce soit des points de vues juridiques, médicaux ou sociologiques [2]. En soi, il est légitime de se poser la question de la distinction entre patient difficile, tirant directement son nom des UMD et patient dangereux, indication principale des UMD dans la législation passée et actuelle *2+, d’autant que ces dernières ne sont pas les seules à prendre en charge ce type de patient.

Nous observons que les avis des divers auteurs convergent à ce sujet : l'institution, ainsi que les soignants, jouent un rôle important dans l'émergence du malade difficile, la psychopathologie du malade n'en est plus la seule cause [1, 2, 72, 71].

80 La sectorisation a amenée plusieurs changements dans l'organisation institutionnelle qui ont pu compliquer la situation ou tout du moins être des facteurs facilitateurs, voire précipitants, parmi lesquels [72] :

- la féminisation de la discipline avec l'instauration d'une mixité dans les équipes soignantes

- la libéralisation des hôpitaux psychiatriques avec l'ouverture de certaines unités de secteurs

- l'apparition des visites à domicile avec l'intervention psychiatrique directement chez le patient, loin des murs contenant de l'institution

- la mutation globale des établissements de soins avec un déclin des conditions de travail

- la situation ambigüe des patients hors-secteurs ou sans domicile fixe avec un enkystement de leur problématique

L'ensemble de ces aspects ont pour effet d'accroître les tensions dans les unités de soins, d'en tester les limites et de créer un "état dangereux", comme a pu le souligner Cujo : "Dans une unité de soin, la tolérance du milieu n'est compatible qu'avec une proportion très limitée de malades présentant un danger potentiel, au delà de ce seuil, il y a rupture." [72]. Et en effet, c'est souvent dans ces situations que les patients sont orientés vers un UMD, lorsque l'équipe soignante se situe dans une impasse thérapeutique et institutionnelle. Cette analyse, en 1978, aurait pu recadrer le débat et améliorer le système, l'auteur qualifiant même ces difficultés de "maladie de jeunesse des secteurs" et proposant plusieurs solutions pour "la traiter" telles que [72] :

- « la prévention et la conduite à tenir vis-à-vis de malades difficiles est avant tout fonction du nombre et de la qualité de l’équipe psychiatrique de secteur, un effort tout particulier devrait être fait pour élargir ce qu’est une authentique psychiatrie de secteur et assurer une véritable formation des divers membres de l’équipe, psychiatres et infirmiers » ;

- « la proportion du personnel infirmier homme et femme devrait être définie : 1/3 d’hommes pour un service mixte paraît souhaitable » ;

- « des dispositions précises devraient être prises en ce qui concerne les malades hors et sans secteur » ;

- « dans chaque service d’hospitalisation, il est nécessaire de disposer d’une zone de soins où pourraient, entre autres, être gardés et soignés des malades posant un problème aigu de dangerosité ».

Malheureusement, le système chronicisa sa "maladie de jeunesse" et l'optimisme de Cujo fut rattrapé par le pragmatisme de Senninger [71].

81 Ce dernier définit, dès 1998, une triade de protagonistes qui influencent l'émergence du patient difficile, à savoir le malade, les soignants et l'institution [71] :

Figure 5 : Triade du patient difficile

Il publia aussi une étude dans un même temps dont le but était de confirmer l'influence de la sectorisation sur le profil des malades difficiles et de caractériser les secteurs demandant des hospitalisations en UMD [71]. Il ressortira de celle-ci, malgré quelques biais épidémiologiques, qu'au-delà de la psychopathologie du patient, les difficultés vécues par les services se portent aussi sur un manque de moyens institutionnels et humains [71]. Ces derniers se retrouvent définis comme un manque quantitatif en terme de postes, ainsi que qualitatif, les équipes soignantes étant moins formées à la pathologie et aux prises en charge en psychiatrie qu'auparavant [71].

Ces manques sont à-même de pérenniser les situations complexes dans un cercle vicieux, ayant pour conséquence une crise institutionnelle avec un sentiment général d'insécurité pour les soignants et les patients [2].

Les dernières réponses trouvées par les équipes de psychiatrie dans cette situation d'impasse, sont soit l'abandon de la prise en charge et du patient, soit le rejet du patient avec une tentative de renvoi hors de l'institution, de transfert vers un autre secteur ou en UMD [1, 71, 72]. Au final, l'impasse thérapeutique va venir ternir l'idéalisation du soin et écorcher le l'image positive qu'ont les équipes d'elles-mêmes, comme a pu le souligner Cujo [72].

Le malade difficile existera toujours, il peut se présenter sous plusieurs formes : l'agressivité, la résistance aux soins, la dangerosité institutionnelle... etc. [2, 73]. Il est à l'image de la propre conception de "malade difficile" de chaque psychiatre réalisant une demande de transfert vers une UMD [2]. Et en réalité, le malade difficile n'est que le reflet des limites des équipes de psychiatrie dans leur savoir-faire, dans les moyens dont ils disposent et dans leur narcissisme [1, 2, 72].

Il n'est pas à exclure que dans les futures années, avec l'avancée dans les domaines pharmacologique, psychothérapeutique, étiologique ou diagnostique, le malade difficile prenne une tout autre forme, autre que le patient psychotique chronique résistant aux

82 neuroleptiques, autre que le patient présentant un état limite grave accumulant les passages à l’acte ou bien autre que le patient détenu manifestant des troubles du comportement majeurs.

La notion de la dangerosité, quant à elle, bien qu'admise et acceptée par le Conseil Constitutionnel lors de son intervention en 2013, a été supprimée par le Conseil d’Etat des indications d'admissions en UMD, axant la législation autour de la notion de soins intensifs et de sécurité.

Il n’en reste pas moins que les secteurs doivent composer avec des patients dits difficiles dont la définition reste floue notamment en raison de l’hétérogénéité des causes. Il est de ce fait, nécessaire, de trouver des solutions afin de soutenir les secteurs et d’adapter les prises en charge des patients difficiles, quelque soient leurs profils.