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II. Do Androids Dream Of Electric Sheep?

6.3 Le moment de fusion

L'ultime moment fusion de Rick Deckard avec Wilbur Mercer se produit, curieusement, en dehors de l’empathy box. Mercer en sort grâce à John Isidore, le chickenhead qui entre dans un état de crise à la suite de la nouvelle de Buster Friendly à propos de laquelle Wilbur Mercer n'existerait pas.

In the depression caused by the sagging of the floor, pieces of animals manifested themselves, the head of a crow, mummified hands which might have once been part of monkeys. A donkey stood a little way off, not stirring and yet apparently alive. At least it had not begun to deteriorate. [...] Mercer, he said aloud. Where are you now? This is the tomb world and I am in it again, but this time you're not here, too. The Wind blew, cracking and splintering the remaining bones, but he sensed the presence of Mercer. Come here, he said to Mercer55.

Cette apparition impromptue du tomb world de Wilbur Mercer se terminera par l’aveu de ce dernier que la supercherie est bel et bien vraie, mais ce que Mercer est devenu aux yeux de John Isidore est ce qu'Isidore a cru la vérité. La décision d’Isidore de refuser de continuer de croire en son idole conduit naturellement à la disparition de sa foi. Cependant, cette crise de foi, cette rage qui a provoqué une

apparition du tomb world aura envoyé Wilbur Mercer vers sa destination finale, le corps de Rick Deckard.

Lorsque le chasseur de prime entre dans le repère de John Isidore, Roy Baty, Irmgard Baty et Pris Stratton, il entre alors dans un lieu fortement marqué par la présence de Wilbur Mercer qui a réussi à traverser le Tomb World grâce à la crise de foi qu'a subie John Isidore. Mercer et Deckard se retrouvent face à face, sans l'aide de l’empathy box, à la grande confusion de Deckard, qui lui, était venu dans l'idée de compléter son travail. C'est cependant cette brève rencontre avec Mercer qui le pousse à agir sur son environnement direct et à retirer Priss Stratton, son existence s'opposant aux principes du Mercerisme :

Leave me alone; Mercer told me I've got to do it.' And then he saw that it was not quite Rachael. ''For what we've meant to each other'' the android said as it approached him its arms reaching as if to clutch at him. The clothes, he though, are wrong. But the eyes, the same eyes56.

Contrairement à ce que nous avons pu analyser chez Palmer Eldritch, le sujet dans la situation décrite ici cherche la motivation à l'extérieur de lui-même. Un fait extérieur à sa propre subjectivité influence sa position. Le lecteur peut comprendre que Wilbur Mercer a commencé à concrètement transcender sa réalité fabriquée (qu'il soit une fraude ou à l'intérieur d'une boite, il reste dans le domaine du fabriqué) pour pouvoir toucher le réel avec Deckard. Cependant, le télé-messie ne s'arrête pas là. Au-delà du mentorat spirituel qu'il apporte au chasseur de prime, il viendra à ne faire qu'un avec lui.

En tuant les derniers androïdes, il rétablit l'harmonie en éliminant les éléments belligérants de la société et gagne l'argent nécessaire pour acheter son bouc, un animal vivant, conforme aux principes du Mercerisme. En fin de roman, lorsque

Deckard rentre chez lui, son travail terminé, il se met à parler comme ce sujet situé dans le temps, cherchant à combattre l'état monolithique du monde autour de lui. Le lecteur comprend bien l'effet de Mercer sur lui :

Once, he though, I would have seen the stars. Years ago. But now it's only the dust; no one has seen a star in years, at least not from Earth. Maybe I'll go where I can see stars, he said to himself as the car gained velocity and altitude; it headed away from San Francisco, towards the uninhabited desolation to the north. To the place where no living thing would go. Not unless it felt that the end had come57.

Après que Mercer soit venu à lui pour l'aider à finir son travail, c'est lui qui viendra à Mercer pour la fusion finale entre les deux êtres. Il quitte les lieux où se trouvent les gens de son environnement immédiat pour entreprendre un voyage transcendantal dans un no man's land désertique. C'est le dernier pas que Rick Deckard franchit dans son processus de fusion. Ce qu'on peut ressortir ici de leur première rencontre dans l'immeuble de John Isidore, c'est que Mercer, sorti de l’empathy box est apparu à un fidèle pour ensuite disparaître. C'est maintenant, au cours du dernier chapitre que le contraire viendra à se matérialiser, que Rick Deckard disparaîtra aux yeux de son environnement pour aller porter une main secourable à son mentor et lui donner corps dans le monde réel.

Deckard ne se rend tout d'abord pas compte de la totalité du changement :

Thereupon he resumed his trudge up the slope, the lonely and unfamiliar terrain, remote from everything; nothing lived there except himself. The heat. It had become hot now; evidently time has passed. And he felt the hunger. He had not eaten for god knew how long. […] a step from almost certainly fatal Cliffside fall – falling humiliatingly and helplessly, he thought; on and on […]. At the moment the first rock – and it was not rubber or soft foam plastic -struck him in the inguinal region. And the pain, the first knowledge of absolute isolation and suffering, touched him throughout in its undisguised actual form.[...] « Wilbur Mercer! » Is that you? My god, he realized it's my shadow58.

On voit ici, dans ce passage, le processus de métamorphose de Rick Deckard en cette entité Deckard-Mercer. Malgré le caractère ambigu de la prose dans cette

57 Ibid., p. 227. 58 Ibid., p. 230-231.

situation, on peut voir que, finalement, tout ce qui s'est passé dans l’empathy box est devenu partie de la réalité environnante. L’apport de Deckard, sa preuve finale de bravoure aura été d’éliminer une représentation des ennemis du gourou. Wilbur Mercer, dans une autre métaphore religieuse de Dick, a transcendé son état pour se faire homme et vivre dans un monde loin de ce qu'il avait dans l’empathy box et pour pouvoir contribuer à un effort évolutif basé sur une croyance religieuse. Maintenant que le processus de fusion a été bien décrit et décodé, reste ici à comprendre sa signification et en quoi, elle constitue un pas en avant dans la littérature de Philip K. Dick et dans sa construction d'un sujet transcendant, dans le processus évolutif qui mènera à l'établissement du concept de posthumanité.