3.3 Les déterminants de la sélectivité
3.3.3 Le milieu intracellulaire : rôle dans la sélectivité
Le milieu intracellulaire peut conférer une sélectivité pour un métal donné à
une voie métabolique. Par exemple, quand la protéine NmtR de Mycobacterium
tuberculosis lie Ni
(II)ou Co
(II), elle devient active. D’après l’étude de Cavet et
al. [Cavet et al., 2002], quand cette protéine est exprimée dans une cyanobactérie,
elle perd toute sensibilité au Ni
(II)qui est pourtant son effecteur allostérique le plus
puissant. Elle est produite, accumulée dans le cytoplasme, fonctionnelle, compétente
pour détecter la présence de cobalt(II), néanmoins totalement incapable de détecter
le nickel, même à des concentrations létales. Cette observation révèle l’existence
d’une sélectivité pour le nickel induite par le cytosol hôte. Clavet et al. propose
l’existence d’une métallochaperone à Ni
(II), cytosolique, partenaire de NmtR, qui
3.3. Les déterminants de la sélectivité 35
permet à NmtR de complexer le métal. Cette métallochaperone est absente du
cytosol de la cyanobactérie.
La sélectivité du magnésium par rapport au zinc procède également en partie du
milieu cellulaire. De nombreuses protéines ont opté pour Mg
2+comme cofacteur car
il est extrêmement abondant dans la cellule. Pourtant, ce ne sont pas les protéines
qui ont évolué pour sélectionner le magnésium des autres cations car Zn
(II)peut, par
exemple, facilement le déplacer des sites où il est lié.
A la place, c’est la machinerie cellulaire qui s’est développée pour contrôler la
sé-lectivité des protéines pour les métaux en régulant les concentrations de Mg
2+et
Zn
2+et en adressant les cations métalliques vers les protéines et les compartiments
intracellulaires où ils sont nécessaires [Dudev et Lim, 2001].
Chapitre 4
Objectifs de la Thèse
P
lusieurs structures tridimensionnelles de métallochaperones et de domaines
de liaison des métaux de leurs ATPases cibles sont désormais disponibles. Ces
structures ont été résolues dans diverses conditions, en présence ou en absence
d’ion métallique chélaté. Il est intéressant de noter que parmi les holoprotéines dont
la structure est connue, plusieurs ne comportent pas le métal qu’elles transportent
in vivo. Ainsi, on dispose de structures d’Atx1 liées au Cu
(I), mais aussi au Hg
(II), ou
d’Hah1 complexant un ion Cu
(I), Hg
(II)ou Cd
(II).
Le chapitre 2 a montré l’existence d’une grande homologie de séquence et de
structure entre les diverses métallochaperones à cuivre, mais également à mercure.
La question de la sélectivité des métallochaperones se posent donc. Plusieurs aspects
de la sélectivité des métalloprotéines pour un métal ont été abordé au chapitre 3 et
conduisent à se demander comment des protéines aussi proches dans leurs structures
primaires, secondaires et tertiaires que les métallochaperones de la famille d’Atx1 et
de MerP, peuvent transporter spécifiquement du Cu
(I)ou du Hg
(II)dans la cellule, et
complexer, a priori aussi facilement (du moins in vitro), des métaux sans lien avec
leur fonction biologique.
L’étude qui suit a ainsi cherché à déterminer quelles propriétés pouvaient
suppor-ter la sélectivité de la complexation du Cu
(I)et du Hg
(II)par les protéines Atx1, Hah1
et MerP. Une étude de type structure-dynamique-sélectivité a donc été entreprise.
L’intérêt d’étudier ces trois protéines permet d’effectuer une analyse croisée de la
sélectivité : Atx1 et Hah1 sont des métallochaperones à cuivre, alors que MerP en
est une à mercure. Les méthodes mises en œuvre sont la simulation de dynamique
moléculaire pour une grande part, et l’absorption de rayons X.
La dynamique moléculaire est une méthode qui permet d’analyser des propriétés
structurales et dynamiques des molécules simulées de façon très précise. Des
potentiels d’interaction entre un Cu
(I)ou un Hg
(II)ont été développés au laboratoire
[Fuchset al., 2005], et utilisés dans les simulations. Chaque protéine a été simulée
sous trois formes : apo, liée au Cu
(I)et liée au Hg
(II). A partir de ces simulations,
une étude comparative entre les divers états d’une même protéine, et entre les
trois protéines a été menée pour tenter d’identifier des propriétés fondamentales
38 4. Objectifs de la Thèse
pouvant être reliées à la sélectivité pour le Cu
(I)ou le Hg
(II)dans Atx1, Hah1 et MerP.
On dispose de données précises sur l’environnement du Cu
(I)dans Hah1 grâce
aux expériences d’absorption de rayons X de Ralle et al. [Ralle et al., 2003]. On sait
que dans certaines conditions, le Cu
(I)est dans une géométrie linéaire quand il est
complexé par Hah1. A l’inverse, CopZ de Bacillus subtilis ne chélate le Cu
(I)que
dans un environnement trigonal [Banciet al., 2003b]. Concernant Atx1, depuis les
expériences d’absorption de rayons X de Pufahl et al. [Pufahl et al., 1997], un doute
subsiste sur le site de chélation du Cu
(I). Il est supposé trigonal, mais cette
géomé-trie est certainement imposée par un réducteur (le DTT) dans le milieu. De plus,
le criblage de structures organo-métalliques dans la Cambridge Structural Database
[Allen et al., 1979] montre que le Cu
(I)tend préférentiellement à développer des
coor-dinations avec 3 ou 4 ligands, moins souvent avec 2. Par conséquent, afin de statuer
sur le mode de coordination du Cu
(I), de nouvelles expériences d’absorption de RX
ont été réalisés et confrontées aux résultats des simulations. Cela a conduit à proposer
un modèle de sélectivité du Cu
(I)pour Atx1, in vitro etin vivo.
Deuxième partie
Outils & Méthodologies
Chapitre 5
La Dynamique Moléculaire
Sommaire
5.1 La mécanique moléculaire . . . . 43
5.1.1 Principe . . . . 43
5.1.2 Le champ de forces . . . . 44
5.1.3 Paramétrisation de charmm . . . . 47
5.1.4 Nouveaux paramètres pour l’interaction cystéine–métal . . . 50
5.2 La dynamique moléculaire . . . . 54
5.2.1 Dynamique newtonienne . . . . 54
5.2.2 Dynamique de Langevin . . . . 56
5.3 Techniques numériques de dynamique moléculaire . . . . 57
5.3.1 Intégration du temps . . . . 57
5.3.2 Conditions initiales . . . . 58
5.3.3 Durée du pas de temps . . . . 59
5.3.4 Conditions aux limites . . . . 59
5.3.5 Traitement des interactions à longue distance . . . . 60
5.3.6 Contrôle de la température . . . . 65
5.3.7 Contrôle de la pression . . . . 66
5.4 Protocole de simulation . . . . 67
5.5 Analyse des simulations de dynamique moléculaire . . . 69
5.5.1 RMSD et RMSF . . . . 69
5.5.2 Carte des corrélations croisées dynamiques . . . . 70
5.5.3 Liaisons hydrogène . . . . 71
5.5.4 Repliement des protéines . . . . 71
5.5.5 Accessibilité au solvant . . . . 73
5.5.6 Estimation de l’erreur statistique sur une moyenne . . . . . 73
42 5. La Dynamique Moléculaire
L
a cristallographie de rayons X (RX) et la résonance magnétique nucléaire
(RMN) permettent aujourd’hui d’obtenir de nombreuses structures de
molé-cules de complexes biologiques (protéines, acides nucléiques, complexes
nu-cléoprotéiques, etc). Ces structures dont le nombre croît rapidement, sont librement
disponibles sur le site de la Protein Data Bank
1[Berman et al., 2000]. Résoudre une
structure consiste à déterminer les coordonnées tridimensionnelles des atomes de la
molécule d’intérêt. Néanmoins, il ne faudait pas considérer les molécules biologiques
comme des édifices figés. L’image statique des structures suggérée par les positions
atomiques(x, y, z)doit être abandonnée au profit d’une représentation dynamique des
molécules où les atomes sont en mouvement constant. Ces mouvements peuvent être
locaux et rapides, ou collectifs et plus lents, impliquant ainsi des groupes d’atomes
voire des domaines entiers de la molécule. Ils créent donc un ensemble de
conforma-tions possibles pour la molécule donnée à une température donnée. Le tableau 5.1
adapté de [McCammon, 1984] donne une classification de l’ensemble des mouvements
internes des protéines.
Types de mouvements Etendue Amplitude Temps
spatiale caractéristique
(nm) (nm) (s)
Vibration relative d’atomes liés 0.2-0.5 0.001-0.01 10
−14-10
−13Vibration élastique de région globulaire 1-2 0.005-0.05 10
−12-10
−11Rotation des chaînes latérales en surface 0.5-1 0.5-1 10
−11-10
−10Libration torsionnelle de groupes enfouis 0.5-1 0.0.5 10
−11-10
−9Mouvement relatif de différentes régions 1-2 0.1-0.5 10
−11-10
−7globulaires (charnière et courbure)
Rotation de chaînes latérales de taille 0.5 0.5 10
−4-1
moyenne à l’intérieur de la protéine
Transitions allostériques 0.5-4 0.1-0.5 10
−5-1
Dénaturation locale 0.5-1 0.5-1 10
−5-10
Tab.5.1– Caractéristiques de quelques mouvements de protéines (adapté de [McCammon, 1984]).
En italique, les mouvements accessibles en dynamique moléculaire.
Ces fluctuations structurales, issues de la superposition de mouvements de vitesse
et d’amplitude très différentes, contribuent à l’activité biologique des protéines et
influent sur leur capacité à lier un substrat, une protéine partenaire ou un cofacteur.
Les mouvements internes créent une variation d’une part, du volume du site de
liaison du ligand et, d’autre part, de la disposition des groupements impliqués
dans sa liaison. Ils modulent ainsi les interactions (électrostatiques, hydrophobes
et liaisons hydrogène) au sein du site de liaison de manière à rendre la protéine
plus élastique. L’exemple de l’aptitude de la myoglobine à lier O
2et CO en est l’un
des plus connus. Dans cette protéine, la réorientation de trois chaînes latérales par
un mouvement de rotation locale permet au substrat de s’échapper de la protéine
[Karplus et McCammon, 1983].
5.1. La mécanique moléculaire 43
Il est possible d’étudier expérimentalement les propriétés dynamiques des
molé-cules biologiques. En plus des coordonnées atomiques, la diffraction de rayons X
renseigne sur une certaine dynamique des atomes grâce au facteur de Debye-Waller
(ou facteur de température), B :
B = 8π
2
3 h(∆r)
2i. (5.1)
Le déplacement quadratique moyen apparent h(∆r)
2i des atomes inclut une
contri-bution à la fois du réseau cristallin, en traduisant le désordre intrinsèque du cristal,
et des mouvements atomiques dépendant de la température (fluctuations
confor-mationnelles et vibrationnelles). Le facteur B n’apporte donc que des informations
partielles et moyennées sur l’ensemble des mailles du cristal concernant la dynamique
interne de la protéine cristallisée.
Différentes techniques expérimentales (spectroscopies de fluorescence, de RX,
neutrons, RMN etc) permettent de sonder la dynamique des protéines sur des
échelles de temps allant de la femtoseconde à la microseconde. Pour la gamme
entre la femtoseconde et la nanoseconde, une comparaison est alors possible avec la
dynamique moléculaire.
Cependant, la caractérisation expérimentale de la dynamique des protéines à
l’échelle atomique demeure difficile et incomplète tant les échelles de temps des
di-vers mouvements sont différentes, allant de la femtoseconde à la seconde, voire à
plusieurs dizaines de secondes. Une méthode alternative à l’étude in vitro des
mou-vements des protéines consiste à simulerin silico la dynamique des protéines grâce à
la modélisation moléculaire. Plusieurs approches existent, dont celle de la dynamique
moléculaire.
5.1 La mécanique moléculaire
Dans le document
Structure, dynamique moléculaire et sélectivité de métallochaperones à cuivre et à mercure
(Page 56-65)