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Le licenciement illégitime en France et en Italie

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A - La Cour constitutionnelle italienne et l’inconstitutionalité du Jobs Act Un peu plus de quatre mois après l’entrée en vigueur du décret-loi n° 87/2018, a été publié le jugement de la Cour constitutionnelle italienne n° 194 de 201848 statuant sur une question de constitutionnalité soulevée par le Tribunal de Rome concernant l’art. 3, alinéa 1, du décret n° 23/2015.

La Cour constitutionnelle a déclaré illégitime l’art. 3, alinéa 1, précité, dans la partie – non modifiée par le décret-loi n° 87/2018 – qui prévoit un mécanisme de calcul automatique, fondé sur l’ancienneté du salarié, des dommages et intérêts causés par la rupture injustifiée.

Le premier motif de saisine de la Cour constitutionnelle portait sur la violation de l’article 3 de la Constitution italienne (principe d’égalité). En effet, selon les requérants, et le Tribunal de Rome, la loi instaurant deux systèmes juridiques différents en fonction de la date d’embauche des salariés portait atteinte au principe d’égalité. La disparité de traitement entre anciens et nouveaux embauchés était considérée comme privé de justification. Le Tribunal de Rome avait ainsi indiqué que « la date d’embauche apparaît comme une donnée accidentelle » et qu’aucun élément ne pouvait justifier une telle différence de traitement.

La Cour constitutionnelle a cependant refusé cette argumentation. Selon la Cour le critère de détermination de l’application dans le temps du décret législatif n° 23/2015 « ne s’oppose pas au principe du « raisonnable » (« ragionevolezza »). La Cour estime que le but (« scopo ») poursuivi par le législateur de renforcer les opportunités d’entrée dans le monde du travail permet de justifier un droit du licenciement différent entre anciens et nouveaux embauchés.

La Cour s’est ici limitée à l’examen du caractère apparemment raisonnable et non sur le fond. Elle a ainsi précisé qu’« il n’appartient pas à cette Cour d’entrer dans l’appréciation des résultats que la politique de l’emploi menée par le législateur cherche à obtenir ».

Le jugement d’illégitimité constitutionnelle s’est donc centré sur l’art. 3, alinéa 1, du décret législatif n° 23/2015 (soit dans son texte originaire, soit dans le texte modifié par l’art. 3, alinéa 1, du décret-loi n° 87/2018).

Dans l’affaire au principal devant le Tribunal de Rome, le licenciement infligé à la travailleuse plaignante – quelques mois après son embauche avec un contrat à protections croissantes – se basait sur la motivation suivante : « suite à des problématiques croissantes à caractère économique et de production ne permettant pas la poursuite régulière de la relation de travail, son activité professionnelle ne peut plus être fructueuse pour l’entreprise ».

L’employeur avait en outre mentionné l’absence de reclassement possible, et licencié pour motif juridique objectif la salariée. Les juges du Tribunal de Rome ont considéré que la 48 Cour const. 8 novembre 2018, n° 194, Dejure, p. 1 ss. Cf., notamment, V. Speziale, « La sentenza n° 194 del 2018 della Corte costituzionale sul contratto a tutele crescenti », Rivista giuridica del lavoro, n° 1/2019 ; S. Giubboni, « Il licenziamento del lavoratore con contratto “a tutele crescenti”

dopo l’intervento della Corte costituzionale », Foro Italiano, n° 1/2019 ; A. Perulli, « Il valore del lavoro e la disciplina del licenziamento illegittimo », Libro dell’anno del diritto Treccani, Rome, 2018, p. 339 ; M. T. Carinci, « La Corte costituzionale n. 194/2018 ridisegna le tutele economiche per il licenziamento individuale ingiustificato nel “Jobs Act”, e oltre », WP “Massimo D’Antona”, n° 378/2018 ; R. De Luca Tamajo, « La sentenza costituzionale 194 del 2018 sulla quantificazione dell’indennizzo per licenziamento illegittimo  », Diritti Lavori Mercati, 2018, p. 633  ; P. Saracini,

« Licenziamento ingiustificato : risarcimento e contenuto essenziale della tutela », op. cit., p. 643.

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motivation adoptée « est extrêmement générique et adaptable à n’importe quelle situation, et donc inapte à atteindre le but auquel devrait aboutir la charge de la motivation » ; « face au caractère on ne peut plus général de la motivation adoptée (…) ce vice est le plus grave de ceux indiqués, à savoir l’absence des « conditions requises du licenciement pour motif justifié objectif ». Ils ont ajouté que si la salariée avait été embauchée avant le 7 mars 2015, elle aurait eu droit à la réintégration et à une indemnité de douze mois (ex art. 18, alinéa 7, L. n° 300/70) ou – en application de l’alinéa 5 de l’art. 18 – une indemnisation comprise entre douze et vingt-quatre mois de salaires, et qu’elle n’a eu en l’espèce droit qu’à quatre mois de salaire. En définitive, il subsistait pour le Tribunal un vice de motivation tellement grave qu’il y avait « inexistence du fait ». Mais le système de protection visé à l’art. 3 du décret législatif n° 23/2015 ne permettait pas de reconnaître à la travailleuse plaignante une protection compensatoire du préjudice réellement subi. Au contraire l’acceptation de la question de constitutionnalité permettrait – selon le Tribunal – de reconnaître à la plaignante une protection compensatoire du préjudice réellement subi, qui, dans ce cas, serait constitué par la protection spécifique prévue à l’art. 18, alinéas 4 et 7 de la Loi n° 300/70 (et, à titre subsidiaire, une protection mineure ex alinéa 5). Le juge de Rome a enfin indiqué que l’employeur a, « de toute évidence, voulu profiter des avantages accordés en matière de cotisation sociale en embauchant une travailleuse dont il s’est ensuite débarrassé avec un licenciement pseudo motivé ».

La Cour a opté, après un raisonnement assez long, pour la déclaration d’illégitimité de l’art. 3, alinéa 1, dans la partie où il fixe l’indemnité pour licenciement injustifié en un

« montant équivalent à deux mensualités du dernier salaire de référence pour le calcul du trattamento di fine rapporto (t.f.r.) pour chaque année de service ».

La prévision d’une indemnité augmentant en raison de la seule ancienneté de service est – selon la Cour – contraire au principe d’égalité et en violation des articles 4 (« droit au travail ») et 35 (« protection du travail sous toutes ses formes et applications ») de la Constitution italienne, ainsi que des articles 76 et 117 (en relation avec l’art. 24 de la Charte sociale européenne révisée).

L’arrêt est « ablatif », et non « additif » dans le sens où il n’ajoute pas les critères que le juge doit respecter, éliminant juste la formule mathématique, la considérant comme insuffisante. Dès lors, on ne sait pas, à l’heure actuelle, comment appliquer cette décision aux litiges à venir.

Cependant, l’arrêt donne des indications. L’élimination des mots « montant équivalent à deux mensualités du dernier salaire (…) pour chaque année de service » s’est accompagnée, dans la motivation du jugement, par des précisions utiles. Il est indiqué que le juge doit, dans le respect des limites minimales et maximales prévues par l’art. 3, al. 1, du décret n° 23/2015, pour calculer l’indemnité dédommageant le licenciement illégitime (indennità risarcitoria), tenir compte avant tout de l’ancienneté du salarié (en application de l’art. 1, al. 7, de la Loi n° 184/2014), mais aussi d’autres critères prévus par l’art. 8 de la Loi n° 604/66 (prévus pour le calcul de l’indemnisation dans les entreprises de moins de 16 salariés), c’est-à-dire « le nombre de salariés, la dimension de l’activité économique, ou encore le comportement et la condition de chaque partie ».

Le choix de la Cour constitutionnelle italienne d’éliminer du texte de l’art. 3, al. 1, la précision sur l’ancienneté du salarié, et d’ajouter à ce paramètre d’autres critères dans sa motivation, pourrait permettre au juge d’évaluer librement quels critères de dédommagement adopter et quelle valeur financière attribuer à chacun d’entre eux. La

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gravité de l’infraction pourra être, elle aussi, évaluée par le juge, car pouvant être tout de même déduite du « comportement (…) des parties », dans la limite du plafond de 36 mensualités.

B.- Les risques de contradiction avec le droit international

Il existe également un risque que les droits français et italien soient contraires à certaines dispositions de droit international. En France, actuellement, certains conseils de prud’hommes ont ainsi refusé d’appliquer le barème, et, surtout, le plafond des indemnités de licenciement sans cause réelle et sérieuse car cela serait contraire à la Convention n° 158 de l’OIT, et à l’article 24 de la Charte sociale européenne révisée (Cser)49. Concernant cette dernière, des réclamations collectives ont été déposées par des syndicats français50 et italiens51 devant le Comité européen des droits sociaux (Ceds) pour que celui-ci se prononce sur son éventuelle violation, à la suite de la décision sur le fond rendue par le Ceds concernant la réclamation présentée par la Finnish Society of Social Rights contre la Finlande (recl. 106/2014)52.

L’étude de ce contentieux nécessiterait un article à part entière. Notons cependant, en guise de conclusion, que la sécurisation des licenciements voulue par les législateurs italien et français de 2014-2015 et 2017 est gravement remise en cause, et que les mois à venir seront d’une grande incertitude juridique. En voulant limiter et plafonner les indemnisations de licenciement illégitime, les législateurs ont peut-être fabriqué des normes non plus dissuasives, mais incitatives au licenciement, risquant de se heurter à des normes constitutionnelles ou de droit international du travail. Pour dire la même chose autrement, à vouloir trop sécuriser l’employeur, on l’aurait plongé dans la totale insécurité.

C - L’enjeu spécifique du contrôle du motif économique de licenciement Enfin, aborder la logique de sécurisation uniquement du point de vue des sanctions, et pas de celui du contrôle du motif, serait incomplet. La notion de sécurisation doit aussi être évaluée du point de vue de la justification du licenciement (notamment le licenciement économique), et de son appréciation par les juges.

49 Voir, entre-autres, CPH Lyon du 7 janvier 2019 ; CPH Lyon du 21 décembre 2018 ; CPH Amiens du 19 décembre 2018 ; CPH Troyes du 13 décembre 2018.

50 Recl. n° 160/2018 CGT-FO c. France ; recl. n° 171/2018 CGT c. France ; recl. n° 174/2019 CGT YTO France c. France.

51 L’arrêt de la Cour constitutionnelle italienne n° 194/2018 a été publié alors même que reste pendante la réclamation collective déposée le 26 octobre 2017 par la Confédération Générale Italienne du Travail (CGIL) c. l’Italie devant le Ceds (recl. n° 158/2017). Celui-ci va se prononcer prochainement sur cette même question. En particulier la CGIL souligne dans sa réclamation la contrariété avec l’art. 24 de la CSER de la réglementation italienne de licenciement contenue dans le décret n° 23/2015. Il convient de signaler que le gouvernement français est intervenu dans cette procédure (acte 31 mai 2018).

52 J. Mouly, « Le plafonnement des indemnités de licenciement injustifié devant le Comité européen des droits sociaux », op. cit., p. 745 ; J. Mouly, « L’indemnisation du licenciement injustifié à l’épreuve des norme supra-légales », Droit ouvrier, juillet 2018, p. 435.

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En France, la Cour de cassation a consacré, dans les années 1990, le principe d’un contrôle approfondi du motif économique53, malgré un revirement partiel effectué en 2000 par l’arrêt SAT54.

En Italie, le juge devait également, traditionnellement, contrôler les motifs économiques.

Cependant, depuis 2016, une nouvelle jurisprudence est applicable55, indiquant que la suppression du poste de travail, et donc le choix de gestion de l’organisation, constitue en soi un motif objectif justifié de licenciement. Cette jurisprudence exclut que dans le concept de motif justifié objectif fixé par l’art. 3 de la Loi n° 604/66 (« raisons inhérentes à l’activité productive, à l’organisation du travail et à son fonctionnement régulier ») soient intégrées les raisons à l’origine de la décision organisationnelle56, ainsi que les évaluations de fond relatives à la rentabilité, opportunité, efficacité, etc., du choix de l’employeur de réorganiser sa propre structure.

Cette jurisprudence entérine donc le principe, dans les licenciements économiques italiens, d’un fort pouvoir de l’employeur de réorganiser comme il le souhaite son entreprise. On peut ainsi douter que la Cour de Cassation italienne ait réalisé une pesée raisonnable entre un droit social fondamental (celui à la stabilité au poste de travail, intégré dans le droit au travail – fixé par l’art. 4 de la Constitution italienne) et un droit économique soumis à des limites (celui du libre usage du pouvoir d’organisation et de management de l’entrepreneur, basée sur l’art. 41, alinéa 1, de la Constitution).

Il y aurait ici la nécessité de revenir sur l’orientation jurisprudentielle d’origine, qui indiquait que le licenciement pour motif justifié objectif de type économique est un choix de gestion extrême (extrema ratio) en présence d’une crise économique ou de graves raisons organisationnelles.

Conclusion

Quel bilan comparé tirer de ces tentatives italiennes et françaises de sécurisation ? Tant du côté de l’employeur que du salarié, dans les deux droits, le bilan est négatif.

Concernant les employeurs, la sécurité est souvent un leurre : en Italie, les plafonds d’indemnisation sont inconstitutionnels, générant une incertitude sur les litiges à venir. En France, malgré le plafonnement pour l’instant valide, un réel contrôle judiciaire, notamment

53 L’arrêt Brinon (Cass. Soc 31 mai 1956, Bull. Civ. V. 1956 n° 499) indiquait que l’employeur était le seul juge du choix de licencier. Dans les années 1990, la Cour de Cassation a opéré un revirement de jurisprudence, pour contrôler de manière exhaustive les motifs économiques. Voir par exemple Cass. Soc. 2 avril 1997, n° 94-43165. Voir, pour une explication et une justification de cette orientation jurisprudentielle, Ph. Waquet, « Le juge et l’entreprise », Droit sociale, 1996, p. 472.

54 Cass. Ass. Plén. 8 décembre 2000, Bull. Ass. Plen. n° 11. Voir notamment G. Couturier, « Licenciement économique : le choix de l’employeur et rôle du juge », Liaisons Soc. Mag, février 2001 p. 58. La Cour de Cassation a indiqué que si les juges du fond devaient contrôler le caractère réel et sérieux du motif économique, ils ne devaient pas contrôler le choix effectué par l’employeur entre les diverses solutions possibles. En l’espèce, l’employeur envisageait initialement plusieurs types de restructurations, avec un impact plus ou moins important sur l’emploi.

55 Voir Cass. n° 25201 du 7 décembre 2016. Dans le même sens Cass. 15 février 2017, n° 4015 ; Cass.

20 octobre 2017, n° 24882 ; Cass. n° 10435/2018 ; Cass. n° 16702/2018.

56 Cass. 7.12.2016, n. 25201 ; Cass. 15.2.2017, n. 4015 ; Cass. 20.10.2017, n. 24882.

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des licenciements économiques, demeure. Cependant, toujours en France, le risque de contradiction des plafonds avec de droit international demeure très important à l’heure actuelle, faisant courir des risques financiers substantiels à l’employeur licenciant.

Du côté des salariés, dans les deux pays, la situation est encore pire. En Italie, l’employeur peut très facilement motiver le licenciement pour mjo de type économique, rendant toute indemnisation illusoire pour les salariés (la sanction de la réintégration ayant disparue pour les travailleurs embouchés après le 7 mars 2015). En France, pour tous les licenciements, les plafonds sont faibles, et dédommagent donc très insuffisamment les salariés injustement licenciés. L’insécurité est, à l’heure actuelle, générale, dans les deux pays, pour toutes les parties.

 

ANDREA ALLAMPRESE

Professeur en droit du travail, Université de Modène et Reggio Emilia

Thèmes de recherche : Droit du licenciement, droit syndical, droit social européen, détachement des travailleurs, droit de la propriété intellectuelle.

Publications :

~ A. Allamprese, « L’associazione in partecipazione con associato d’opera : un tipo contrattuale sospetto », Lavoro e diritto, 2017, n° 2, p. 325.

~ « La protezione dei lavoratori in una Europa in crisi : le potenzialità della Carta Sociale Europea », E. Falletti, V. Piccone (par le soin de), Il filo delle tutele nel dedalo d’Europa, ES, Naples, 2016, p. 127.

RAPHAEL DALMASSO

Maître de conférence en droit privé, Université de Lorraine, Laboratoire de recherche IFG.

Thèmes de recherche : Droit comparé, droit des restructurations, formes modernes de travail indigne.

Publications :

~ R. Dalmasso, « La protection contre les formes modernes de travail indigne en France après la ratification du protocole OIT contre le travail forcé », Droit Ouvrier, 2017 p. 585.

~ R. Dalmasso, « Flexibiliser par la procédure : les réformes divergentes des licenciements économiques en France et en Italie », Travail et emploi, avril-juin 2015, p. 55. « Procedural Flexibilisation of economic redundancy in France and Italy : diverging reforms with a common objective », Travail et Emploi, 2017/5 (traduction anglaise du précédent article).

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