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2.2 Le label collectif comme forme de réputa-tion collective

Notre second cadre d’analyse concerne les labels collectifs et en particulier leur gestion au sein des des coopératives agricoles. Dans les secteurs agricole et agroalimentaire, il existe plusieurs signes collectifs de qualité. Certains relèvent de "marques collectives" gérées par des groupements de producteurs ; d’autres sont mis en place par l’État mais peuvent être utilisés par les acteurs privés. Les labels collectifs sont souvent utilisés par les coopératives agricoles et plus par-ticulièrement par les plus petites d’entre elles. Ainsi, les Appellations d’origne Protégée (AOP) et les Appellations d’origines contrôlées (AOC) sont utilisées par 38% des petites coopératives, d’après l’enquête sur les petites coopératives agri-coles françaises de l’Institut national des statistiques et des études économiques (INSEE) pour l’année 2010.

D’après Magrini et al. (2012), les coopératives suivent deux stratégies de si-gnal de la qualité : développer une marque propre reposant sur une réputation privée et/ou utiliser les signes officiels de qualité certifiés par des organismes pro-fessionnels, tels que les indications géographiques et les labels collectifs reposant alors sur une réputation collective.

La stratégie collective de qualité est une source de gain pour les pro-ducteurs impliqués, mais aussi une source potentielle de conflit (Raynaud et Sauvée (2000)). Chaque producteur est individuellement incité à maximiser ses gains au détriment des autres à travers des comportements opportunistes.

Ces comportements détèriorent alors la réputation collective du label utilisé par la coopérative. Ainsi lorsqu’une coopérative utilise un label de qualité, l’ensemble de ses membres, qui vont l’adopter, doivent respecter le standard de certification. Le label est alors géré collectivement au sein de la coopérative au sens où un membre qui respecte le standard participe positivement à la

30 Chapitre2. Les labels privés et les labels collectifs : état de la littérature réputation collective du label de la coopérative. Un membre qui ne respecte pas le standard détèriore cette réputation. Collectivement les membres ont intérêt à participer à la réputation collective mais individuellement ils ont intérêt à tricher et produire une qualité inférieure au standard du label, détèriorant par conséquent la réputation. Ce problème de passager clandestin est lié à la nature de bien public de la stratégie d’offre de qualité de la coopérative.5

L’analyse du problème de réputation s’est longtemps focalisée sur la répu-tation individuelle où la répurépu-tation se forme sur la base du comportement des agents individuels6. Si la plupart des contributions dans la littérature sur la répu-tation traite principalement de la répurépu-tation individuelle, plusieurs travaux ont cependant analysé la formation et le développement de la réputation collective.

Il faudra attendre les travaux deTirole (1996) pour que les bases de la litté-rature sur la reputation collective soient posées. Dans cet article, Tirole (1996) montre que la réputation collective est définie par la somme des réputations individuelles des agents. Il suppose trois types d’agents dans son modèle : des malhonnêtes, des honnêtes et des opportunistes. Son modèle permet d’expliquer la corruption dans les groupes sociaux et aussi l’effort en qualité des entreprises.

Ce modèle comprend deux variantes : d’abord l’incitation à préserver la réputa-tion résulte par la crainte d’une exclusion directe par le partenaire de l’échange, ensuite l’incitation à préserver la réputation résulte d’une crainte d’une exclusion directe par l’ensemble des partenaires. Il montre que l’incitation à la préserva-tion de la réputapréserva-tion collective est une foncpréserva-tion croissante de l’incitapréserva-tion à la préservation de la réputation individuelle. La présence des individus honnêtes a alors un rôle important car elle incite les opportunistes à bâtir une réputation.

L’auteur montre également que le problème de réputation est un problème

dyna-5. Pour une analyse synthétique et exhaustive sur la réputation collective sur les marchés agricoles, voirZago(2015)

6. Pour une étude exhaustive voir,Bar-Isaac et Tadelis(2008)

2.2. Le label collectif comme forme de réputation collective 31 mique. Ainsi les nouveaux membres d’un groupe peuvent souffrir de la réputation laissée par leur prédécesseur. Dans le cas de la qualité offerte par les entreprises, l’augmentation de la concurrence entre agents diminue alors les incitations indi-viduelles à favoriser la réputation collective.

L’article de Tirole (1996) reste de nos jours l’article séminal pour de nom-breuses littératures traitant de la réputation collective : la littérature sur les teams et plus intéressant pour nous la littérature sur les labels collectifs. Ainsi, dans la continuité des travaux de Tirole (1996), Winfree et McCluskey (2005) propose un modèle où la qualité individuelle est inobservable. La réputation col-lective du groupe est perçue comme un bien commun et repose sur la qualité moyenne offerte par le groupe. Les auteurs montrent que lorsque le nombre de membres augmente, les incitations pour chaque membre à tricher augmente et ceci vis à à vis de la réputation collective. Le resultat de Winfree et McCluskey (2005) est en relation étroite avec la réputation collective dans les coopératives agricoles, plus le nombre de membres augmente, plus l’incitation à tricher (com-portement de passager clandestin) augmente.

Sur la ligne des travaux empiriques dans le secteur du vin, Gergaud et al.

(2012) testent le modèle de Tirole(1996). Ils se proposent d’estimer à travers un modèle d’interaction l’impact de la réputation d’un groupe sur la réputation de ses membres. A cet effet, sur des données d’enquête détaillée sur l’image des vins de Bordeaux de sept (7) pays européens, ils montrent que l’ampleur de la prime de réputation varie positivement avec le niveau de réputation individuelle.

Hamilton et Zilberman (2006) analysent la performance de la certification écologique. Ils considèrent que les firmes adoptant un label écologique peuvent frauder et ne pas se conformer au standard de certification. Le consommateur ne peut pas savoir si une firme fraude ou pas. En revanche les auteurs sup-posent que les consommateurs peuvent évaluer le montant total de firmes qui fraudent. Ils anticipent alors parfaitement la qualité moyenne. À travers un

mo-32 Chapitre2. Les labels privés et les labels collectifs : état de la littérature dèle théorique, ils montrent que la fraude est moins présente lorsque les barrières à l’entrée limitent le nombre de firmes. Ils montrent par ailleurs qu’une taxe en-vironnementale des produits polluants peut avoir un effet non désiré. En effet, un tel instrument peut accroître le problème de passager clandestin et augmenter alors l’utilisation des techniques moins polluantes. Enfin, les auteurs montrent que accroître les frais de certification permettent de réduire la fraude, en effet il est alors moins profitable pour une firme de supporter ces coûts si l’oblejctif est de ne pas se conformer au standard de certification.

Les travaux précédents s’accordent pour dire que la libre entrée, sur un marché où des producteurs partagent un label commun n’est pas optimale, ceci compte tenu du problème de passager clandestin et de son effet sur la réputation collective. Castriota et Delmastro (2014) confirme empiriquement ce résultat.

Ces auteurs analysent les déterminants de la réputation de producteurs italiens de vins partageant une appellation commune. Ils montrent que la relation entre la taille du groupe et la réputation collective est non linéaire. Ainsi pour un petit nombre de producteurs, la réputation augmente avec la taille du groupe.

Un tel résulat est dû aux économies d’échelle faites sur la promotion du vin.

Mais au delà d’un certain seuil, la relation devient décroissante dû au problème de passager clandestin.

Dans la continuité de la démarche empirique de Castriota et Delmastro (2014), nous proposons une analyse portant sur l’utilisation des labels collectifs au sein des petites coopératives françaises. À l’inverse deCastriota et Delmastro (2014), nous nous focaliserons sur l’efficacité des labels collectifs. Cependant à travers l’efficacité c’est bien la réputation collective que nous ciblons. Ainsi, nous estimerons l’effet du nombre de membres adoptant un label collectif sur l’effica-cité du label. Plus intéressant, nous étudierons l’effet d’un paiement différencié des membres en fonction de la qualité sur l’efficacité du label.