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Le hasard selon le destin et la providence divine

Dans le document Thomas d'Aquin et l'astrologie des corps (Page 88-91)

5. LES LIMITES DU DÉTERMINISME ASTRAL

5.2 Le hasard selon le destin et la providence divine

En plus de la contingence, la Somme contre les gentils s’efforce aussi de définir le concept de hasard à l’intérieur de la philosophie cosmologique thomasienne du destin et de la providence200. Encore une fois, l’Aquinate oppose au nécessaire sa notion de hasard, mais à quelques nuances près de son analyse de la contingence. Le hasard ici signifie le fait d’être sans but, sans fin voulue, dénué de telos, dépourvu de destination. Pour le démontrer, Thomas propose que la multiplicité des causes

197 Ibid., alinéa 4, p. 255 198 Ibid., p. 255

199 Ibid., p. 255

naturelles en jeu dans l’application concrète du destin est si grande, « qu’il doit arriver parfois qu’une cause se rencontre avec une autre201 », d’où « quelque chose survient par hasard, une fin non visée étant atteinte202 ». Forest écrit dans le même sens que le hasard survient « lorsque des causes différentes se rencontrent sans que le concours soit déterminé en vue d'une fin203 ». En somme, la variété des causes secondes les condamne au hasard de certaines rencontres subites, ce à quoi il faudrait ajouter que le hasard des choses n’existe qu’en rapport avec les causes particulières qui l’engendrent, non selon la course des corps célestes et encore moins en vertu d’une prétendue inexactitude de la providence divine.

À ce stade-ci de notre analyse, nous pouvons en déduire qu’au même titre que la contingence, par le fonctionnement même qui en suscite pourtant l’imprévu, le hasard se trouve pour ainsi dire anticipé par le plan originel de la providence divine. Cela s’explique, puisque l’événement x qui résulte de la rencontre fortuite de quelques causes, est en tant que leur effet le produit d’un hasard, « mais par rapport à la cause universelle, à l’ordre de laquelle il ne peut échapper, on dit qu’il est prévu, au sens de ‘projeté’204 ». La pro-jection divine de l’avenir existe même dans l’imprévisibilité de l’expérience concrète du hasard. En effet, si la providence admet la multiplicité des causes, c’est bien que Dieu l’a destinée ainsi et non pas autrement, de sorte que sa volonté implique la possibilité fonctionnelle de rencontres causales inattendues. Ainsi une chose peut être parfaitement « fortuite ou accidentelle, alors que, rattachée à une cause supérieure, elle apparaît voulue pour elle-même205 ».

201 Ibid., p. 260 202 Ibid., p. 260

203 Forest, Structure métaphysique du concret selon St. Thomas d’Aquin, p. 297 204 Thomas d’Aquin, Somme théologique, I, question 22, article 2, p. 320 205 Ibid., question 116, article 1, p. 923

Une considération que fait Thomas de la philosophie première lui révèle le même enseignement, lorsqu’il présente le nécessaire et le contingent (incluant le hasard) comme des attributs de l’étant, en conséquence de quoi Dieu, l’être suprême, soumet providentiellement chaque étant qui participe de lui, et dans son versant nécessaire et contingent206. La domination providentielle de Dieu selon l’être sur tous les étants dépasse d’ailleurs ontologiquement le cadre de la domination providentielle des corps célestes selon leur causalité sur tous les corps sublunaires. C’est là une autre façon de soutenir que l’emprise ontologique de Dieu sur tout étant est plus fondamentale que l’effusion téléologique descendante des causes cosmiques, d’où Thomas accentue, une fois de plus, le règne définitif de la providence divine sur le destin de la nature.

En somme, qu’un événement sublunaire survienne ou nécessairement, ou selon une déficience contingente, ou en vertu d’un hasard causal, cela dépend de la nature du destin dans la causalité multiple et mouvante, mais aussi, voire ultimement, de la providence divine en laquelle sont contenues toutes les possibilités événementielles inhérentes au déroulement substantiel du destin. « C’est pourquoi, écrit Thomas, un événement arrive infailliblement et nécessairement lorsque la providence a ordonné qu’il arrive ainsi ; et il arrive de façon contingente [et hasardeuse] lorsque le plan de la providence a réglé qu’il arriverait ainsi207 ». La nécessité de la répétition du même par les mouvements cosmiques déterminés providentiellement, détermine donc à son tour les lieux possibles de la contingence et du hasard.

206 Ibid., question 22, article 4, p. 323 207 Ibid., p. 323

Ce qui vient compléter le fil de notre étude sur la part d’indétermination déterminée dans la nature, c’est que l’analyse de Thomas révèle aussi, comme nous l’avons souligné plus haut, que la contingence et le hasard sublunaires ne sont pas produits par les mouvements cosmiques en tant que tels, mais toujours par des causes plus particulières. De fait, « il est impossible qu’une puissance active d’un corps céleste soit la cause des choses qui arrivent par accident, soit par hasard, soit par bonne fortune208 », aussi bien parce que les mouvements cosmiques sont parfaitement réguliers qu’en raison de leur supériorité causale dans l’application de la providence. Les corps célestes n’induisent donc directement ni le hasard ni la contingence dans le monde supralunaire, bien que leur fonctionnement en implique quelque soudaine apparition ici et là, de temps à autre et selon les modalités propres à la réalité des causes terrestres. En effet, notre étude démontre de plus en plus, sans que nous ne l’ayons expressément annoncé dès le départ, que la contingence et le hasard ne se manifestent que dans le monde sublunaire, où l’altérabilité, la potentialité, la contrariété et la corruptibilité les conditionnent substantiellement. Maintenant que nous avons défini la contingence et le hasard, à la lumière de leurs lieux de réalisation, il nous faut ajouter une autre exception majeure qui limite en quelque sorte l’étendue de la causalité cosmique.

Dans le document Thomas d'Aquin et l'astrologie des corps (Page 88-91)