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roi solide

2.3.1 Le filtrage des singularités

Les méthodes de précision finie sont souvent perçues comme mieux adaptées que les mé-thodes spectrales au traitement de problèmes comportant des singularités. Parmi les premières, les méthodes de volumes finis et d’éléments finis ont l’avantage d’être basées sur une formula-tion intégrale des équaformula-tions de Navier-Stokes. Ceci permet de descendre d’un ordre différentiel les dérivées spatiales et atténue la sensibilité de l’approximation numérique à la présence de singularités. Pour revenir à des caractéristiques communes, les méthodes de précision finie sont basées sur des approximations locales des différents termes intervenant dans la formulation (locale ou intégrale) des équations de Navier-Stokes, qu’il s’agisse d’intégrales sur des volumes de contrôle ou de dérivées de la solution. Le caractère local de l’approximation discrète conduit souvent à une dissipation numérique de la solution. Lorsqu’une singularité existe, la solution numérique n’est sensible que localement à la présence de celle-ci. Une singularité se traduit par la présence d’échelles de longueurs infiniment petites au lieu de la discontinuité, lesquelles sont filtrées par le schéma numérique, ainsi la solution n’est dégradée que localement.

Les méthodes spectrales peuvent être vues comme la généralisation de la décomposition en série de Fourier à des fonctions non-périodiques sur un domaine d’extension finie (Polynômes de Chebyshev), semi-infinie ou infinie. Les approximations de fonctions discontinues par des séries de Fourier sont soumises au phénomène de Gibbs. Elles présentent des oscillations parasites aux voisinage de la discontinuité. De même, si une singularité est présente dans les équations de Navier-Stokes, l’approximation spectrale de la solution sera polluée par le phénomène de Gibbs. La vitesse de convergence s’en trouve également dégradée : l’approximation spectrale d’une fonction comportant une discontinuité sur sa dérivée kièmene convergera plus en (∆x)Nx

mais sera limitée à l’ordre k. Un autre inconvénient vient de ce que contrairement aux méthodes de précision finie, les approximations spectrales font intervenir tous les points de discrétisation pour représenter les équations en un point. Ce caractère global tend à propager les erreurs à l’ensemble du domaine de calcul. Lorsqu’une singularité est présente, la solution numérique est polluée par le phénomène de Gibbs sur tout le domaine. Ceci explique pourquoi il est souvent avancé que les méthodes spectrales sont inadaptées au traitement des problèmes singuliers. Toutefois l’amplitude des oscillations parasites décroît en s’éloignant de la singularité, le taux de décroissance augmentant avec le nombre de modes utilisés pour représenter la solution, donc avec le nombre de points de collocation. Le remède le plus couramment utilisé consiste à introduire un filtrage explicite de la singularité. Les conditions aux limites sont rendues compatibles en pondérant l’une des conditions de frontière par une fonction régulière qui va lever localement la contradiction et laissera la condition inchangée loin du point singulier. Cette fonction est choisie de manière à pouvoir contrôler la longueur de filtrage ce qui introduit un paramètre non-physique. Par exemple, si dans un domaine carré (x, z) ∈ [−1, 1] × [−1, 1] les conditions de frontière sont u = 1 en (x, z = 1) et zéro ailleurs, le filtre utilisé pourra être fn(x) = 1 − x2n qui rétablit la compatibilité des conditions de frontière en (x = ±1, z = 1), est C quelque soit la valeur de n et tend vers la fonction créneau quand n tend vers l’infini. Pour une valeur donnée de n, la précision spectrale de l’approximation est rétablie. Le filtrage explicite fait apparaître une deuxième convergence en plus de la convergence spatiale. Le problème

singulier est remplacé par une suite de problèmes réguliers qui tendent vers le problème singulier lorsque n tend vers l’infini. Ainsi il devient non seulement nécessaire de s’assurer que la solution est bien convergée avec le maillage à n fixé mais aussi lorsque n varie.

Au final, les méthodes classiques de résolutions numériques d’un problème singulier reposent toutes sur un certain filtrage de la singularité. Dans le cas des méthodes de précision finie celui-ci est implicite et dépend de la résolution spatiale utilisée dans les calculs. L’emploi des méthodes spectrales nécessite l’emploi d’un filtre défini explicitement introduisant un paramètre supplémentaire indépendant de la discrétisation spatiale. Enfin l’emploi des différences finies peut dans certains cas nécessiter l’emploi d’un filtrage explicite des discontinuités cumulé à la dissipation intrinsèque à ces méthodes. Dans le cas des écoulements thermocapillaires en pont liquide chauffé latéralement, Martin Witkowski et Walker [101] ont introduit une régularisation explicite pour pouvoir effectuer certains de leurs calculs, lorsqu’ils se placent à un nombre de Prandtl égal à 4. Quand ce paramètre est supérieur à 1, la diffusion thermique est dominée par les effets inertiels, ce qui entraîne un resserrement important des isothermes le long de la surface libre au voisinage des parois froides. Ces petites échelles thermiques nécessitent alors de raffiner fortement le maillage pour converger vers la solution. Lorsque le maillage devient assez fin, leur code en différences finies n’a pu produire de solution numérique sans l’utilisation d’un filtrage explicite.

2.3.2 Principe de Saint-Venant

Quelle que soit la méthode utilisée, la question de la validité d’une solution filtrée pose un problème. Pour pouvoir affirmer que la solution numérique converge vers la solution analytique du problème singulier, il est nécessaire de vérifier que le problème filtré converge de manière satisfaisante vers le problème singulier. Le filtrage étant choisi de manière à rendre le problème régulier, il est vain de s’attendre à une convergence de la solution numérique sur tout le domaine de calcul. En effet une suite de fonctions continues ne converge pas uniformément vers une fonction discontinue. Au mieux, il est légitime de s’attendre à ce que la solution numérique converge vers la solution analytique avec la diminution de l’échelle de filtrage sauf dans un voisinage restreint de la singularité fixé par l’échelle de filtrage. Ceci est suffisant pour pouvoir utiliser la solution numérique filtrée. Une formulation de cette hypothèse en des termes plus pratiques est qu’à partir d’une certaine localisation du voisinage, le filtrage n’a pas ou quasiment pas d’influence sur les écoulements en dehors de ce voisinage. Vérifier cette hypothèse revient à chercher un équivalent pour les fluides du principe de Saint-Venant très utilisé en mécanique des solides.

Un énoncé du principe de Saint-Venant tiré de "Élasticité linéaire" de Solomon [137] est le suivant :

"un système de forces statiquement équivalent à zéro appliqué sur une portion de la frontière, de diamètre comparable avec la plus petite des dimensions du corps, produit des déplacements, dé-formations et tensions appréciables seulement à des distances comparables avec le dit diamètre". Selon l’article de revue de Karp [85], la première formulation par Saint-Venant de son

hypo-thèse remonterait à 1856 [124]. Dans un premier temps, ce principe a été l’objet de vérifications expérimentales dont un certain nombre sont données en référence dans Solomon [137]. L’article de Knowles [89] semble fournir une démonstration du principe. Une revue des travaux les plus récents est effectuée par Horgan [73]. Enfin, un exemple d’utilisation courant se rencontre dans les mesures de coefficients d’élasticité des matériaux solides qui reposent sur l’utilisation du principe de Saint-Venant pour le calcul des efforts exercés sur les échantillons.

L’application du principe de Saint-Venant aux fluides passe par l’analogie entre les équations de Stokes pour les fluides visqueux et les équations de l’élasticité linéaire pour les solides qui possèdent le même opérateur. Cette analogie est par exemple évoquée par Horgan [74]. Pour pouvoir appliquer le principe de Saint-Venant aux écoulements singuliers, il est nécessaire de considérer un voisinage restreint du point de discontinuité tel que les effets inertiels soient négligeables dans ce domaine. Le problème est localement un problème de Stokes. Selon l’énoncé du principe de Saint-Venant, il faudrait alors, dans un sous-domaine suffisamment petit autour du point singulier, remplacer les conditions aux limites incompatibles par d’autre conditions compatibles dont la somme des forces et des moments résultants intégrés le long de ce sous-domaine soient équivalents. Dans le cas de la cavité entraînée, la singularité résulte en une contrainte non-intégrable au point de jonction ce qui rend le principe non applicable. Pour les écoulements thermocapillaires, l’échelle de longueur du sous-domaine ne peut être évaluée car la rétroaction entre l’écoulement et les échelles thermiques rendent cette analyse impossible ou trop difficile (Kasperski et Labrosse [86]). Dans chacun de ces deux cas il faut se contenter de filtrer la singularité sur une échelle de longueur imposée de manière arbitraire et vérifier que la solution numérique converge bien en même temps que l’on fait tendre l’échelle de filtrage vers 0.

2.3.3 Soustraction de singularité

Une approche alternative au filtrage de la singularité a été développée dans le cadre des méthodes spectrales et consiste à soustraire la partie singulière de l’écoulement pour ne calculer que la partie régulière. La convergence exponentielle de la solution numérique est alors retrouvée. Ce type de traitement a été introduit par Schultz et al. [126] dans le cas de la cavité entraînée et appliqué au problème de l’injection d’un fluide dans un cylindre par Botella [16]. Le calcul de la solution numérique nécessite la connaissance de l’écoulement singulier au voisinage de la singularité qui, dans le cas de la cavité entraînée, est donnée par les travaux de Dean et Montagnon [38], Taylor [140], Moffatt [104] pour un écoulement de Stokes. D’autres travaux parviennent à donner une solution asymptotique de l’écoulement en régime inertiel (équations de Navier-Stokes) à une vitesse modérée (Gupta et al. [61]) et à une vitesse arbitraire (Hancock et al. [64]).

Cette approche revêt un intérêt tout particulier lorsqu’elle s’applique au problème de la cavité entraînée. Cet écoulement est très souvent utilisé pour valider un nouveau code de calcul, ainsi les résultats de Botella et Peyret [15] obtenus par des méthodes spectrales Chebyshev associées à la soustraction de la singularité fournissent des résultats d’une très grande précision pouvant servir de référence. Un autre intérêt réside dans la détermination précise des seuils de

transition des écoulements des états stationnaires vers les états instationnaires pouvant encore une fois servir de référence (Auteri et al. [5]).

Un inconvénient majeur de ce type d’approches réside dans la nécessité de connaître une solution asymptotique de l’écoulement au voisinage de la singularité. Tout d’abord une telle solution n’est pas toujours connue, par exemple dans le cas des écoulements thermocapillaires confinés, l’échelle à laquelle la solution asymptotique s’applique n’est pas connue et sa détermi-nation est un problème ardu qui reste sans réponse. La ligne de contact mobile pose le même type de problème car le profil de l’interface est déterminé par l’angle de contact qui dépend de l’écoulement lequel dépend du profil de l’interface. Enfin, les solutions asymptotiques évo-quées plus haut sont données dans le cas de problèmes bidimensionnels. Leur obtention est déjà une tâche d’une certaine difficulté. Le calcul de telles solutions pour les écoulements tridimen-sionnels constitue un problème bien plus ardu comme le montrent les résultats de Shankar et Deshpande [130], Hills et Moffatt [66], Gomilko et al. [56]. La soustraction de la singularité en 3 dimensions est donc une approche d’autant plus complexe et probablement d’un coût assez élevé en puissance de calcul ce qui risque d’en faire une méthode a priori peu avantageuse.

Si les traitements numériques discutés dans cette section permettent le calcul de solutions approchées s’accordant avec le modèle singulier, ils ne sont pas en mesure de répondre aux principales questions soulevées en section 2.1. La présence de discontinuités dans les conditions de frontière d’un modèle de milieu continu pose un problème profond quant à la validité du modèle utilisé. Ni le filtrage, ni la soustraction de singularité ne proposent de remède aux inconsistances physiques décelées en section 2.2. Dans le cas du filtrage, elles introduisent un paramètre non physique lié à l’échelle de filtrage sans pouvoir ni prédire ni expliquer l’ordre de grandeur de cette échelle de filtrage.

2.4 Traitement physique des singularités

Les discussions des sections précédentes ont fait apparaître la nécessité d’améliorer la mo-délisation macroscopique basée sur une description du type milieu continu d’un certain nombre de problèmes académiques comportant des singularités de vitesse. La connaissance de l’échelle à laquelle le modèle de milieu continu doit être modifié passe par une nouvelle formulation des conditions de frontière à même de rendre compte à l’échelle macroscopique des effets locaux susceptibles de rendre la physique régulière. Parmi les trois familles d’écoulements singuliers évoquées, la ligne de contact mobile a fait l’objet de nombreux travaux. Or il a été montré dans la section 2.2 que des analogies existent entre celle-ci et le problème de la spatule : contrainte infinie au point singulier, ou des écoulements thermocapillaires confinés : interdépendance des échelles locale et globale de l’écoulement. Une revue de la littérature de la ligne de contact mobile est effectuée dans le but d’identifier les résultats susceptibles de s’appliquer aux autres cas.

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