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1. Les modèles inspirés du conditionnement

La théorie du conditionnement (Conditioning Theory) de Keane, Zimering, & Caddell (1984) cherche

à expliquer le développement du TSPT au travers d’un conditionnement. Ce modèle postule que l’exposition à un évènement traumatique va conditionner l’individu à la peur ; le TSPT serait ainsi d’abord provoqué par un conditionnement classique de la peur. Des indices (objets, lieux sensations et odeurs qui sont des stimuli neutres) vont être associés et acquérir les propriétés aversives de l’évènement traumatique (stimulus inconditionnel). Ainsi la seule présence de ces indices dans l’environnement suffira à provoquer une réponse anxieuse similaire à celle qui a été provoquée par l’évènement (les stimuli neutres deviennent des stimuli conditionnels). Parallèlement, un conditionnement opérant pousse l’individu à tout faire pour éviter d’être confronté à ces stimuli (fuir une situation ou un lieu, éviter le travail, etc.).

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Le modèle Information-Processing Theories Cognitive (Chemtob, Novaco, Hamada, Gross, & Smith,

1997) cherche à expliquer le développement des symptômes du TSPT par une modification des processus de traitement de l’information. L’esprit est vu un comme un ordinateur, où le traitement de l’information est une succession de processus aboutissant à une organisation de la pensée en nœuds, des images, actions, émotions et comportements. Ce système de nœuds simples organise les informations de manière hiérarchisées et interconnectées en fonction de leur proximité et de leur sens pour la personne (e.g., la neige est fortement associée au ski si je suis pratiquant). La confrontation à l’évènement traumatique va modifier cette organisation du nœud d’informations. Des stimuli liés à l’évènement traumatique (objets, lieux sensations et odeur) qui autrefois étaient neutres deviennent liées à la peur à la suite de l’exposition. Par la suite, cette organisation du nœud d’informations va avoir une répercussion dans le traitement des nouvelles informations, ce qui explique l’apparition des symptômes de TSPT. Le traitement de l’information de l’évènement traumatique s’organise en un réseau de la peur (fear network) ; l’association et le pouvoir d’excitation des stimuli associés à la peur sont renforcés. Autrement dit, chaque activation d’une information associée à l’évènement traumatique active également la peur. Ces processus de mémorisation et d’association qui traitent l’information vont créer un biais attentionnel vers les stimuli associés à l’évènement traumatique (objets, lieux, sensations et odeurs) car la perception de menace sera toujours activée et se généralisera. La perception de l’environnement par l’individu en est modifiée : l’environnement ne sera perçu que par le prisme de la menace, ce qui expliquerait les symptômes d’évitement et les pensées intrusives du TSPT. Le modèle

Emotional Processing Theory de Foa & Rothbaum (1998), reprend le concept d’une organisation de

l’information en réseau. Le TSPT serait provoqué par l’attribution d’une signification de danger à des stimuli autrefois considérés comme sécuritaires ou neutres. Les symptômes sont expliqués par le fait que la peur va se généraliser car la « signification de danger » sera attribuée à d’autres stimuli laissant apparaitre des comportements d’anxiété et d’évitement.

D’après ces modèles basés sur le conditionnement (Chemtob et al., 1997; Foa & Rothbaum, 1998; Keane et al., 1984) une rémission du TSPT est possible avec le temps, grâce au phénomène d’extinction. Avec le temps, pour certaines personnes un déconditionnement et une nouvelle organisation du nœud d’informations s’effectue naturellement lorsque les stimuli de l’évènement traumatique (objets, lieux sensations et odeurs) qui activent les réactions de peur, ne sont pas suivis d’un nouvel évènement traumatique. Ce qui n’est pas le cas si l’exposition est répétée. L’impact d’une exposition répétée à des évènements potentiellement traumatiques renforce soit le conditionnement à la peur et l’attribution de danger à des stimuli neutres. Chaque nouvelle exposition aboutirait à augmenter la généralisation de la peur et empêcherait l’extinction du conditionnement

qui s’effectue naturellement avec le temps. Les stratégies de coping (i.e., stratégies émotionnelles, cognitives,

sociales et comportementales) habituellement mises en place pour faire face au stress joueraient un rôle essentiel dans le maintien et la généralisation de ce conditionnement.

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2. Les modèles inspirés des théories du « Reappraisal » et focalisées sur le

traitement de l’information

L’un des premiers modèles des théories focalisées sur le traitement de l’information postule que le TSPT provient de l’incapacité à intégrer adéquatement les nouvelles informations. La détresse proviendrait d’une surcharge cognitive provoquée par le conflit qui va naître entre les connaissances du monde issues d’anciennes informations et les connaissances du monde apprises à la suite de la confrontation à un trauma

(Stress Réponse Théorie ; M J Horowitz, 1986). Dans sa trajectoire de rémission, l’individu oscillerait entre un

comportement d’évitement des nouvelles informations (afin de protéger son équilibre psychologique) et

l’intrusion d’informations liées à l’évènement traumatique (reviviscences spontanées, cauchemars, etc…). Ce

phénomène d’oscillation est la manifestation d’une tendance intrinsèque à chaque individu qui permettrait de traiter et d’intégrer les informations relatives à l’évènement traumatique, conduisant progressivement à l’extinction. Cette intégration s’effectue grâce à un processus d’assimilation des informations de l’évènement

traumatique (i.e., modifier le sens de l’évènement pour qu’il soit en accord avec les croyances passées) ou une

accommodation de ces nouvelles informations (i.e., modifier les conceptions passées pour intégrer et accepter

la nouvelle expérience traumatique) (Horowitz, 1969, 1975).

Un deuxième modèle historique repose sur le constat que certaines croyances sur le monde sont un déterminant d’une bonne santé psychologique. Nos croyances permettent d’élaborer une représentation du monde comme étant stable. Etre en mesure de connaitre et prédire le monde qui nous entoure et les évènements à venir est source de bien-être. Le développement du TSPT proviendrait d’une modification de ces croyances protectrices. L’imprédictibilité, l’absence de contrôle et les conséquences de l’exposition à un évènement traumatique vont contredire ce système de croyances précédemment établit. La détresse qui en découle est provoquée par le changement de croyances imposé par la rencontre avec le trauma telle que « la croyance en un monde juste ». La conception de la relation avec le monde, la perception du monde et la perception de soi sont ébranlées par l’évènement. Un processus de rémission est possible, auquel cas la victime est obligée de reconsidérer ses conceptions du monde pour intégrer celles provoquées par l’évènement

traumatique (Theory Of Shattered Assumptions de Janoff-Bulman, 1992). La personne ne retrouvera pas son

ancien système de croyances mais construit de nouvelles croyances protectrices.

Le troisième modèle, Dual Representation Theory (Hart & Horst, 1989), postule que l’intégration de

l’évènement traumatique dépend de deux niveaux de mémorisation. Ces niveaux de mémorisation fonctionnent en parallèle : le premier est conscient et accessible verbalement permet de constituer la

mémorisation autobiographique « Verbally Accessibile Memory ». Le second niveau contient des souvenirs qui

ne peuvent être délibérément rappelés, les souvenirs sont uniquement accessibles en situation et constituent la

mémorisation situationnelle « Situationnally Accessible Memory ». Il s’agit d’un processus automatique qui

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réviviscences. La rémission est possible et s’effectue par un effort de traitement de l’information de cette mémoire situationnelle permettant d’intégrer ces informations et le souvenir de l’évènement traumatique dans la mémoire verbale. A terme l’évènement traumatique serait intégré uniquement dans la mémoire verbale et considéré comme un évènement autobiographique, ce qui annonce la fin des symptômes.

Pour le dernier modèle, Ehlers and Clark’s cognitive model (Ehlers & Clark, 2000; inspiré du modèle

de Joseph et al 1995 et des modèles précédents) le développement du TSPT provient d’un traitement délétère de l’évènement traumatique. Les individus qui développent le TSPT sont ceux qui peuvent difficilement attribuer du sens au vécu de l’évènement traumatique en raison de la mémorisation situationnelle (les réactions émotionnelles provoquées par la situation ne peuvent être directement analysées par la mémoire verbale). Le traitement de l’évènement en mémoire verbale s’opérant bien après l’évènement serait délétère et négatif. L’attribution de la cause de l’évènement serait interne et/ou stable ce qui maintiendrait les symptômes d’impuissance et de dépression par rapport à une attribution causale externe et/ou temporaire (traitement adaptatif de l’évènement traumatique). Dans ce cas, l’évaluation va se généraliser à soi et à ses propres actions

(e.g., « je mérite de vivre ces mauvaises expériences »), aux réactions des autres personnes (e.g., « ils pensent

que je suis faible ») et aux perspectives de vie (e.g., « ma vie est finie »). La sensation de danger resterait

toujours présente comme si l’expérience traumatique n’avait pas de fin et la sensation de danger associée aux stimuli liés à l’évènement traumatique va se maintenir dans le présent et se généraliser à d’autres stimuli. Ce processus d’attribution causale de l’évènement serait influencé par les croyances de l’individu (plus ou moins

flexibles) et ses premières expériences (i.e., les évènements stressants et difficiles rencontrés). Le processus de

rémission du TSPT passerait par un travail de mémorisation de l’évènement dans la mémoire verbale ainsi qu’un travail de réévaluation positive de l’évènement impliquant une attribution causale externe et temporaire de l’évènement. Ce travail de réévaluation permet à l’individu de penser que l’évènement ne se reproduira pas

dans le temps, de supprimer les pensées de culpabilisions de type « c’est de ma faute ». Ainsi la sensation de

danger n’est plus présente et les souvenirs peuvent être intégrés dans les souvenirs autobiographiques.

Ces modèles influencés par des théories du « Reappraisal » offrent des pistes d’explications sur l’effet du type de trauma et l’impact du cumul d’évènements traumatiques sur le développement d’un TSPT. L’impact plus important des traumas de type interpersonnels (e.g., une violation physique) résulteraient du fait que ce type de trauma engendrerait une remise en question plus importante de ses croyances « protectrices » sur le monde, telle que la croyance en un monde juste (Forbes et al., 2014). L’effet du cumul d’évènements traumatiques, d’après ces modèles, est attribué à la difficulté croissante que l’individu rencontre, après le vécu de multiples évènements traumatiques pour donner du sens aux évènements vécus. Les nouveaux évènements qui surviennent renforcent l’évaluation négative des évènements passés par une modification ou une confirmation d’une attribution causale interne et stable de l’évènement. Les nouveaux évènements traumatiques rencontrés peuvent être difficilement évalués de manière positive pouvant laisser apparaitre des

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L’absence de sens, couplée à un maintien de sentiment de peur dans le présent provoqué par la croyance que l’évènement peut se reproduire, rend difficile l’intégration de ces histoires traumatiques dans l’histoire personnelle du sujet, ce qui provoque la souffrance psychologique (Kira et al., 2008).

Ces modèles sont particulièrement intéressants et offrent des pistes de réflexions pour comprendre le risque de développement d’un TSPT les professionnels que nous avons ciblés dans nos travaux. Au-delà du cumul d’évènements traumatiques auquel ils sont confrontés, leur particularité réside dans le fait que ces expositions s’effectuent dans le cadre de leur mission professionnelle comme nous l’avons vu précédemment. Les expositions sont en lien direct avec la nature de leur mission, qui résulte elle-même d’un choix professionnel et pour la plupart d’une passion. En d’autres termes, les professionnels connaissent les risques encourus comme en témoignent les nombreux livres autobiographiques d’alpinistes, les films sur les guerres, les commémorations publiques d’hommages aux militaires, policiers ou secouristes. L’évaluation et l’attribution du sens de l’évènement traumatique ne peut se faire indépendamment du sens attribué à la mission professionnelle et du système de croyances associé. Deux cas de figures peuvent être cliniquement observés, soit l’évènement s’intègre dans le système de croyances (e.g., « cela fait partie de ma mission professionnelle ») l’évaluation qui en est faite est positive (attribution externe). Soit l’évènement peut s’opposer au système de croyances (e.g., « cela n’aurait pas dû arriver car je suis professionnel, j’aurais dû prévoir le risque »), et être une source d’une grande détresse provoquée par une évaluation négative de l’évènement (attribution interne) (e.g., « c’est de ma faute, c’est moi qui me suis engagé dans cette profession »). Ces modèles soulignent la spécificité des professions à risque et l’importance d’intégrer les croyances et le sens de la mission professionnelle dans l’évaluation de l’évènement traumatique. Pour cette raison, nous nous pencherons spécifiquement sur la question du sens accordé à la mission professionnelle dans notre travail de thèse (cf., Les conséquences de la sphère sociale sur la perception de la mission professionnelle partie théorique IV, p. 85).

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