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CHAPITRE 1 I NTRODUCTION GENERALE

3. Le développement de l’arbre

cibler avec précision quelles sont les propriétés requises pour la plantation en Guyane et quels sont les

améliorations à effectuer au niveau des techniques de culture.

On sait aujourd’hui que les sols les plus favorables sont ceux de types ferrasols ou acrysols alors que les sols

hydromorphes ou en pente sont à proscrire (mauvais drainage et difficulté de mécanisation). La préparation du

sol est essentielle et il faut éviter de le décaper, en préférant un simple défrichement de la végétation existante.

Le terrain doit être correctement dimensionné en réservant un espace aux outils de mécanisation et en limitant les

effets de bordure avec la forêt naturelle. Quant aux espèces il faut favoriser celles dont la production de matière

ligneuse et la conformité varient peu selon les conditions de croissance, afin de ne pas perdre les propriétés

originelles observées en forêt naturelle. Pour cela, il est nécessaire de poursuivre l’étude de la qualité du bois des

espèces plantées. Ce sujet est au cœur de l’actualité de la recherche en Guyane et un projet Feder à l’initiative

d’Eric Nicolini et intitulé « Qualité des espèces de plantations » a justement vu le jour en 2014 en ce sens.

En résumé, les caractéristiques des espèces recherchées sont donc les suivantes :

- tolérantes à la lumière et capables de se développer en milieu ouvert ;

- capable de pousser sur des sols de qualité moyenne sans nécessité de fertilisation ;

- taux de croissance important permettant la mise en place de rotations assez courtes ;

- bonne conformation des fûts pour éviter l’apparition de défauts et maximiser le volume de bois d’œuvre ;

- espèce locale ne nécessitant pas l’introduction d’essences tropicales potentiellement invasives ;

- espèce permettant la production de matériaux en accord avec la demande locale, c’est à dire possédant des

propriétés du bois adaptées à la production de bois d’œuvre et d’ameublement (densité moyenne, durabilité

naturelle adaptée à l’usage, bonnes propriétés mécaniques, facilité de mise en œuvre, etc…).

Trouver des espèces adaptées à ce cahier des charges n’est pas tâche facile, car bien souvent croissance rapide et

qualité ne sont pas compatibles. Avant toute chose, il est donc nécessaire de mieux comprendre le

développement de l’arbre et la structure du bois afin d’identifier quels sont les paramètres qui jouent sur les

propriétés du bois.

3. Le développement de l’arbre

3.1 Diversité des stratégies de croissance en forêt tropicale

L’étude du mode de développement des arbres est un axe de recherche apparu dans les années 1970 à l'initiative

de scientifiques tels que Francis Hallé ou Roelof Oldeman. Ces travaux ont apporté un éclairage intéressant sur

la structure des arbres et leur développement au cours du temps. Ils ont permis l’émergence de la notion de

stratégie de croissance : ensemble des adaptations spécifiques permettant le maintien d’une espèce dans une

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dans la croissance en hauteur ou en diamètre, à l’extension latérale ou verticale du houppier, qui évolue au cours

de l’ontogénie (Dalling&Hubbell, 2002) mais aussi en fonction des conditions environnementales

(Bloor&Grubb, 2004).

δe comportement dynamique des forêts tropicales apparait comme scindé en deux selon le niveau d’observation.

Observée dans sa globalité et sans perturbations extérieures, la forêt reste en équilibre et semble persister dans sa

structure, sa physionomie et sa composition. A l’inverse en ajoutant une échelle temporelle, ce sont des

écosystèmes en perpétuelle évolution. La dynamique temporelle de la forêt tropicale et sa régénération sont

constituées d’une succession de phases dynamiques, où la structuration de l’ensemble forestier est faible, et de

phases homéostatiques, où la forêt est au contraire bien structurée (Tabarant, 2006). La diversité de ces stratégies

joue un rôle décisif dans la compétition pour l’occupation de l’espace et l’accès aux ressources. Elle détermine

ainsi la coexistence des espèces en forêt. δa survie, le développement et enfin le maintien d’un individu au sein

d’un peuplement dépend du succès de sa stratégie de croissance. δa composition et la structure finale d’un

espace forestier sont le résultat du développement de chacun des arbres qui le compose, et il est par conséquent

difficile de connaitre l’histoire de la construction au cours du temps d’une espèce en observant un seul individu.

Cette multitude de trajectoires est à l’origine de l’apparente hétérogénéité de la forêt en zone tropicale humide

dont la stratification, selon Oldeman (1974), ne peut être réduite à une superposition régulière de simples

couches horizontales. Néanmoins, il est possible de distinguer deux principales catégories de stratégies de

croissance, dont les critères discriminants sont le type d’acquisition des ressources, la vitesse de développement

et à la durée de vie de l’espèce. En forêt tropicale, les espèces sont ainsi communément catégorisées selon les

deux groupes écologiques extrêmes aux comportements opposés (Poorter, 2001 , Puig, 2001 , Tabarant, 2006):

- les espèces pionnières ou héliophiles, espèces colonisatrices de pleine lumière dont l’acquisition et

l’utilisation rapide des ressources est mise au service d’une croissance rapide pour atteindre la canopée.

Ces espèces sont caractérisées par une durée de vie relativement courte ;

- Les espèces tolérantes ou sciaphiles, espèces d’ombre, dont l’acquisition des ressources est moins

rapide et leur utilisation plus parcimonieuse. Le développement est lent et régulier mais permet un

établissement durable au sein de la forêt, avec une durée de vie supérieure aux héliophiles.

3.2 Décrire le développement de l’arbre

3.2.1 Architecture de l’arbre

δa forme finale d’un arbre est le résultat de sa stratégie évolutive et des conditions de croissance rencontrées au

cours de son développement. Analyser la physionomie de l’arbre pour différents stades ontogéniques est

révélateur de son fonctionnement physiologique. Le concept de modèle architectural a été introduit par Hallé et

Oldeman en 1970 à la suite de l'observation de la structure et du mode de développement des plantes tropicales.

Ces deux auteurs avaient constaté que malgré la diversité spécifique, la physionomie des plantes et leur évolution

au cours de leur développement pouvaient se résumer à un nombre restreint de formes fondamentales. Oldeman

définit l’architecture d’une plante comme l’ensemble des formes structurales que l'on peut observer à un moment

donné chez le végétal et le modèle de croissance d’une espèce comme la série d'architectures se succédant chez

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cette même plante au cours du temps. Le modèle architectural d'une plante peut donc être défini comme la série

de stades architecturaux qui se succèdent au cours du développement de l’arbre, depuis sa germination jusqu’à sa

floraison, dans des conditions écologiques stables et non contraignantes. Ce caractère représente l’expression du

patrimoine génétique de l’espèce et traduit sa stratégie de croissance. En ce sens, l’analyse architecturale est

donc un outil efficace pour interpréter la structure globale de l’arbre et retracer son histoire (Roggy et al., 2005).

3.2.2 Analyse temporelle

On appelle cerne de croissance le bois constitué pour une année donnée depuis la reprise de la croissance de

l’arbre jusqu'à sa fin. δ’étude des cernes de croissance permet, de la même façon que l’architecture végétale, de

reconstituer le développement de l’arbre au cours du temps. δ’étude de ces marqueurs à plusieurs niveaux dans

l’arbre donne accès aux accroissements successifs en hauteur et en diamètre depuis la mise en place de l’individu

jusqu’au moment de l’observation. Analyser les cernes de croissance permet a fortiori de décrire la forme de

l’arbre en fonction de son âge, si la rythmicité de la mise en place des cernes est définie. δes cernes ne sont

néanmoins pas toujours bien marqués, parfois irréguliers ou variables selon les conditions environnementales et

pas nécessairement annuels selon les espèces. Ces incertitudes sont d’autant plus communes en forêt tropicale et

la dendrochronologie, datation d’un individu par l’analyse de ses cernes de croissance, s’avère beaucoup plus

délicate qu’en milieu tempéré. Dans le cas où l’étude des cernes n’est pas envisageable, il est possible d’obtenir

une bonne estimation de l’âge de certains arbres grâce aux espèces pionnières du genre Cecropia. Pour deux

espèces du genre, C. sciadophylla et C. obtusa, il a été démontré que le rythme d’émission de nouvelles feuilles

était d’une extraordinaire stabilité en tout point de la plante, et que la floraison et la ramification étaient de

périodicité annuelle (Heuret et al., 2002). En observant les cicatrices que les feuilles et les inflorescences laissent

sur son tronc, il est donc possible d’estimer précisément l’âge de l’individu de Cecropia et donc celui des arbres

issu du même peuplement de manière indirecte.

3.3 Les compromis entre rapidité et qualité

δa production de matière ligneuse est mise au service de la stratégie de croissance de l’arbre. Il faut optimiser

l’utilisation des réserves mises à disposition pour produire du bois, mais aussi optimiser la forme de la tige pour

utiliser le bois produit de façon efficace. Ainsi, le cas d’une stratégie de croissance favorisant un développement

rapide est souvent associé à une production de matière ligneuse dont la quantité prime relativement à la

longévité. Ce compromis entre vitesse de croissance et longévité a beaucoup été étudié au cours de cette dernière

décennie (Fimbel&Sjaastad, 1994, Muller-Landau, 2004 , Williamson et al., 2012 , Woodcock&Shier, 2003 ,

Wright et al., 2010 , Yao, 1970 ). Il se traduit, pour un grand nombre des études, par l’observation d’un lien fort

entre vitesse de croissance et faible densité du bois produit pour un usage commercial. Chez les espèces

pionnières par exemple, la production de matière ligneuse au service d’une croissance rapide est souvent

associée à un bois de faible densité (Hernandez&Almeida, 2003 , Larjavaara&Muller-Landau, 2010 ,

Wiemann&Williamson, 1988, Williamson, et al., 2012 ). Les espèces pionnières investissent donc avant tout

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dans leur croissance au détriment de la pérénité de leur structure, à l’inverse des sciaphiles qui produisent un bois

pérenne mais poussent plus lentement. Allier rapidité de développement et qualité de production de matière

ligneuse semble donc peu fréquent. Pour cette raison, les espèces à fort taux de croissance sont communément

associées à un bois dont la qualité des propriétés technologiques est faible (dans le cas d’un usage en tant que

bois d’œuvre : bois peu rigide, non durable, trop peu dense ou instable par exemple).

Il existe aussi un compromis entre croissance et utilisation des ressources à disposition, notamment la lumière.

En fonction de l’activité photosynthétique de leurs feuilles, les espèces peuvent être classées selon deux

stratégies principales: certaines sont associées à une acquisition rapide des ressources alors que d’autres se

caractérisent par une utilisation parcimonieuse des nutriments. δ’étude des traits foliaires permet de mettre en

évidence ces caractères, en différenciant par exemple les feuilles d’ombres des feuilles de lumières, ou encore les

espèces investissant davantage dans la photosynthèse que dans la durée de vie des feuilles, etc(Coste, 2008). Les

traits foliaires sont également liés à la structure de l’arbre et représentatifs d’un stade de développement (Roggy,

et al., 2005). δes caractéristiques foliaires d’une plante sont donc des indicateurs de sa stratégie de croissance, au

même titre que l’étude de son architecture.

Une base de données axées sur les traits spécifiques et notamment foliaires a été mise en place lors du projet

BRIDGE (Bridging Information on Tree Diversity in French Guiana, and a Test of Ecological Theories),

couvrant un très large échantillonnage (Baraloto et al., 2010). Au cours de cette étude, neuf parcelles d’un

hectare ont été inventoriées en Guyane française, entre juin 2007 et septembre 2008. Ces données ont permis de

caractériser de nombreuses espèces tropicales et constituent aujourd’hui une base de traits foliaires conséquente,

renseignant de nombreuses espèces guyanaises.

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