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CHAPITRE 1 : INTRODUCTION

1.5. Les motivations derrière la thèse

1.5.2. Le couplage mécano-électrique du stimulateur cardiaque biologique

Contrairement à la répartition spatiale des cardiomyocytes autonomes, les effets du couplage mécano-électrique sur l’activité spontanée sont expérimentalement très étudiés.

Le couplage excitation-contraction (CEC) est le phénomène par lequel l'activité électrique du cœur pilote son comportement mécanique, notamment sa contraction [153]. Par rétroaction, les contraintes mécaniques que subit le cœur peuvent aussi avoir un effet sur son activité électrique. Cette rétroaction est nommée couplage mécano-électrique (CME) [154]. Le CME peut être chronique ou aigu; c'est l'aspect aigu qui est visé dans la thèse.

Le CME aigu peut se manifester à l'échelle systémique dans des conditions tout à fait physiologiques, par exemple au début d'un exercice d'aérobie. En effet, la contraction des muscles squelettiques cause une augmentation soudaine du retour veineux; la surcharge hémodynamique qui en résulte va aboutir à la dilation des chambres cardiaques, et un étirement aigu du myocarde [155]. L'augmentation de la pression diastolique provoque immédiatement une augmentation de la force de contraction et conséquemment une augmentation du volume d'éjection systolique, réaction connue sous le nom de mécanisme de Frank-Starling [156], [157]. Cet exemple où une contrainte mécanique (augmentation de la pression diastolique) provoque une réponse électrique (activation du CEC pour augmenter la force de contraction) illustre bien le fonctionnement du CME. Ce phénomène est le principe derrière certaines pratiques sauvant des vies, comme le coup de poing sternal [158] qui, en cas d'arrêt cardio- respiratoire, peut dans certains cas relancer l'activité cardiaque. Il peut aussi être létal, notamment en cas de commotio cordis [159], [160], où une mort subite survient des suites d'un

tachycardie ventriculaire provoquée par un choc sur la poitrine.

La réponse électrique à une contrainte mécanique implique l'existence de nombreux récepteurs mécaniques au niveau cellulaire, notamment les canaux ioniques sensibles au volume (CSV) et les canaux ioniques sensibles à l'étirement (CSE). Le terme générique “étirement” inclut non seulement l'élongation axiale, mais aussi la compression latérale, le changement de courbure de la cellule et toute déformation locale de la membrane. Compte tenu du délai de réponse (pouvant atteindre plusieurs minutes) des CSV, ce sont surtout les CSE [161] qui sont impliqués dans la réponse aigüe aux contraintes mécaniques. Les CSE membranaires peuvent être non-sélectifs vis-à-vis des ions monovalent en général (CSENS), ou être sélectifs aux ions

K+ en particulier (CSE

K). Ils peuvent simultanément être sensibles au voltage et à certains

ligands, de même qu'éventuellement certains canaux ioniques spécialisés dans d'autres stimuli sont aussi sensibles à l'étirement (notamment HCN [162], KATP [163], [164] , Kv [165], Cav

[166], [167] ou Nav [168]).

Des données semblent indiquer que les CSE (ou autres mécanismes sensibles à l'étirement) ne seraient pas uniquement situés au niveau de la membrane cellulaire. Il a été démontré à de nombreuses reprises que l'étirement pouvait modifier la gestion du calcium intracellulaire [169]–[171]. En effet, la fréquence des relâches spontanées de calcium du SR augmente en présence d'étirement axial aigu [172], [173], même chez des cardiomyocytes au repos et en absence de calcium et de sodium extracellulaires [174]. La réponse chronotrope positive de la fréquence de l'activité autonome à l'étirement est réduite en abaissant la quantité de Ca2+

contenue dans le SR (blocage de la pompe SERCA) ou en diminuant les relâches calciques des RyR (interférence dans l'activité de ces récepteurs) [175]. La fréquence des relâches de calcium

des mitochondries augmente aussi quand des cardiomyocytes sont pressurés par de petits jets de fluide [176]. L'étirement module l'affinité de la troponine C au Ca2+ [177], ce qui modifie

[Ca2+]

i par effet tampon, et qui ultimement affecte la fréquence autonome [178]. Enfin, la

connexine 46, non cardiaque, est sensible aux contraintes mécaniques [179]; peut-être est-ce aussi le cas pour son isoforme cardiaque la connexine 43. Les mécanismes exacts de l'activation due à l'étirement ne sont pas totalement établis, mais impliquerait une augmentation latérale (dans le sens de l'étirement) de la circonférence du canal et un amincissement transversal (dans le sens orthogonal à l'étirement) de son épaisseur [180].

À l'échelle macroscopique, une corrélation positive entre la charge volumique auriculaire et la fréquence cardiaque a été démontrée chez le chien par Francis Arthur Bainbridge en 1915 [181]. De fait, tout changement dans le retour veineux (par la respiration, la toux, la posture ou la défécation) aura un impact sur la charge volumique auriculaire et donc sur le rythme cardiaque [182]. Cette réponse chronotrope positive de la fréquence cardiaque à l'étirement a été redémontrée sur le cœur [183], l'oreillette [183]–[185] et le nœud SA isolés [186]–[189]. Elle est inversement proportionnelle au rythme basal (i.e. avant étirement) [186] et coïncide avec une augmentation du PDM [186], [190]. L'augmentation du PDM obtenue en maintenant un étirement physiologique constant du nœud sinusal isolé peut régulariser l'activité autonome [187]. Un étirement non physiologique augmente la variabilité [187] et introduit la compétition entre plusieurs site d'initiation de l'activité autonome [191].

Au niveau cellulaire, l'étirement affecte d'abord la durée du PA pour les amplitudes modérées, et ensuite le potentiel diastolique pour les amplitudes plus sévères [192]. Un étirement suffisant durant la diastole cause généralement une dépolarisation de la membrane, alors que

les effets durant le PA sont plus diverses: augmentation de la durée du PA, retard ou perturbation de la repolarisation [192]. La figure 6 résume quelques effets connus de l’étirement sur le potentiel d’action de la cellule sinusale.

en ligne discontinue indique la présence de l’étirement. (A) L’étirement augmente le potentiel diastolique minimum, accélère la dépolarisation diastolique et raccourcit le potentiel d’action. (B) La phase montante de la transitoire calcique est également accélérée et sa durée se raccourcit. (C) L’étirement augmente l’amplitude du courant If et du courant ICaL. Figure tirée

[182].

La réponse à l'étirement des cellules du nœud SA implique principalement les CSENS [193], qui

ont un potentiel d'inversion ECSE,NS entre -25 et 0 mV [161], [194]. L'étirement accélère la DDL

et la phase initiale de repolarisation, et décélère l'activation et la phase retardée de repolarisation se trouvant en dessous de ECSE,NS; en d'autres termes, il accélère tous les

changements de potentiel s'approchant de ECSE,NS et décélère tous les changements de potentiel

s'éloignant de ECSE,NS [182] (voir Fig. 7).

Figure 7. Effet de l'étirement sur le potentiel d'action en fonction de l'espèce. (A) Lapin. (B) Muriné. Le taux de changement du potentiel d’action ΔV augmente (flèche vers le haut) quand le potentiel se rapproche de ECSE,NS et diminue quand le potentiel s’en éloigne. La

l'étirement sur les cellules du nœud SA varie en fonction des espèces. Figure tirée [182].

L'effet chronotrope de l'étirement dépend ainsi du rapport entre le pourcentage du cycle du PA s'approchant de ECSE,NS et le pourcentage qui s'en éloigne [192]. Par exemple, 54% du cycle du

PA se rapproche du potentiel d'inversion chez le lapin contre 29% chez le muriné; d'où une augmentation du rythme chez l'un et une diminution chez l'autre [195]. Ce phénomène peut expliquer en partie que l'effet chronotrope de l'étirement sur les cellules du nœud SA varie en fonction des espèces, avec apparemment une augmentation de la fréquence chez les “gros” et “moyens” animaux (comme les cochons d'Inde, les chiens ou les humains, qui ont un rythme basal lent) et une diminution chez les “petits” animaux (comme les murinés, qui ont un rythme basal élevé). Cette différence trouve probablement sa source dans la morphologie du PA, comme expliqué à la figure 7.

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