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Chapitre 3 : Manipulation des contraintes hydriques de la gestation

1. Le compromis entre thermorégulation et pertes hydriques

1.1. Des contraintes physiologiques spécifiques

Les résultats présentés dans l’Article 1 ont permis de quantifier l’impact de l’état physiologique sur l’intensité du compromis physiologique entre les besoins thermiques et les pertes hydriques. Nous avons considéré 3 états physiologiques (la mue, la digestion et la gestation) déjà connus chez les reptiles pour augmenter les besoins thermiques et la dépense énergétique (Naulleau 1983 ; Stevenson et al. 1985 ; Gibson et al. 1989 ; Charland & Gregory 1990 ; Lourdais et al. 2002a, 2002b ; Wang et al. 2003 ; Lourdais et al. 2004), que nous avons comparé à un état

Figure 26. Pertes hydriques totales ajustées par la SVL et les résidus de la relation Surface~Volume, chez des

vipères dans différents états physiologiques à différentes conditions microclimatiques : combinaison de 2 températures ambiantes (Ta) et 2 humidités absolues (ρ).

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physiologique témoin (post-mue, postprandial et non-reproducteur). En accord avec nos prédictions, nous avons pu montrer que ces états physiologiques augmentent significativement les pertes hydriques totales comparées aux individus témoins (Fig. 26).

De façon proximale, les résultats comparatifs (effets de l’état physiologique) et corrélatifs (relations entre pertes totales en eau et VO2) nous ont permis d’émettre des hypothèses quant aux bases fonctionnelles des pertes totales en eau. En particulier sur l’importance relative de la composante respiratoire versus cutanée dans les pertes hydriques totales. En effet, nos résultats ont montré une augmentation de la VO2 très importante chez les serpents en digestion en comparaison avec les autres états physiologiques (mue, gestation et témoins), en lien avec l’hyper-métabolisme de la digestion (ou Action Dynamique Spécifique ; voir Secor 2009 pour une review). Malgré cette augmentation importante de la ventilation, les vipères en digestion ne montrent qu’une faible mais significative augmentation des pertes hydriques comparé aux individus témoins (Fig. 26). En parallèle, nous trouvons une relation significative et positive entre les pertes hydriques et la VO2 pour les individus en digestion ou témoins, mais pas pour les individus en prémue ou gestants. Conjointement aux suppositions d’études précédentes (Mautz 1982 ; Dmi’el 1972 ; Cohen 1975 ; Kattan & Lillywhite 1989 ; Lillywhite 2006), nous avons donc émis l’hypothèse que la part relative des pertes hydriques via la respiration est bien inférieure en comparaison à la transpiration cutanée. En support de cette hypothèse, pendant le cycle de mue ou la gestation, les serpents présentent des modifications cutanées importantes. Pendant la phase de prémue, la transpiration cutanée augmente à cause d’une part de l’augmentation de perméabilité de la peau (diminution d’épaisseur de l’épiderme et diminution des lipides de surface) (Cohen 1975 ; Zucker & Maderson 1980 ; Tu et al. 2002 ; Lillywhite 2006), et d’autre part parce que l’espace entre la nouvelle et l’ancienne peau est remplie d’un liquide lymphatique (Mader 2005). Pendant la gestation, la peau des femelles se distant dû à l’encombrement de la portée (Shine 1988). Cette distension a vraisemblablement comme conséquence de diminuer l’épaisseur cutanée, d’accentuer le ratio surface/volume et donc d’augmenter la transpiration cutanée. Nous avons pu montrer dans les résultats préliminaires

sur les contraintes morphologiques une distension significative causée par la portée et dans

l’Article 4 nous avons trouvé que cette distension influence positivement les pertes hydriques. Cependant, les modifications structurales associées aux différents états physiologiques et leurs effets sur les pertes hydriques sont relativement méconnus et mériteraient plus d’attention pour confirmer notre hypothèse.

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Les Article 1 et 4 ont également permis de mettre en évidence l’effet des conditions microclimatiques sur les pertes hydriques et sur la VO2. Dans l’Article 1, nous avons tout d’abord trouvé un effet fort de la température ambiante à la fois sur les pertes hydriques (Q10 = 3.98) et sur la VO2 (Q10 = 2.72). Cet écart dans les valeurs de Q10 suggère un effet plus important de la température sur les pertes hydriques que sur la VO2, ce qui supporte à nouveau notre hypothèse d’un effet mineur de la ventilation sur les pertes hydriques. Ensuite, nos résultats permettent de mettre en évidence qu’à température ambiante égale, l’humidité de l’air impacte également les pertes hydriques mais pas la VO2. En moyenne, pour une augmentation de la densité de vapeur d’eau de 11 gH2O.m-3, on trouve une diminution des pertes en eau de 86%. Partant de ce constat sur l’effet indirect des conditions microclimatiques, nous avons donc également voulu tester l’effet de l’état physiologique sur la sélection de microclimat.

1.2. Réponses comportementales

La sélection de microclimat comme un potentiel atténuateur de contraintes physiologiques a été montrée chez plusieurs espèces (Lorenzo & Lazzari 1999; Patten et al. 2005; Boyles et al. 2007; Köhler et al. 2011; Stahlschmidt et al. 2011). Notre prédiction était qu’un état physiologique hydriquement contraignant (mue, gestation ou digestion) oriente préférentiellement les individus vers un microclimat à la fois chaud et humide pour assurer le processus physiologique tout en limitant les pertes hydriques. Comme attendu, nous avons pu montrer que l’ensemble des états physiologiques contraignant induisent un choix préférentiel (bien que marginal) pour le microclimat chaud et humide. Cependant, nos résultats expérimentaux (Article 1) et sur le terrain (Article 4) semblent montrer que seules les femelles gestantes tendent à sélectionner une humidité absolue plus élevée, alors que les individus en prémue ou en digestion sélectionnent des humidités absolues intermédiaires. Cette différence de choix entre les états physiologiques est peut-être due à la spécificité des contraintes associées à chaque état. En effet, la gestation est probablement l’état physiologique le plus demandeur en eau. Nous avons vu dans les Article 1 et 4 que les femelles sont notamment exposées à des pertes hydriques supérieures. Par ailleurs, comme quantifié dans l’Article 3, les femelles doivent transmettre de l’eau pour la croissance des embryons. Les contraintes en eau sont donc probablement plus importantes pour des femelles gestantes en comparaison avec des individus en mue ou en digestion qui sont uniquement exposés à des pertes hydriques supérieures. De la même façon, dans cette étude, les vipères avaient à disposition de l’eau ad libitum. Or, en conditions

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naturelles pendant la gestation par exemple (de juin à septembre), la disponibilité en eau n’est pas continue. Une expérience intéressante serait donc de répéter le même protocole en faisant varier le niveau de l’état d’hydratation. Les pertes en hydriques supérieures pour des états physiologiques telles que la mue, la digestion ou la gestation devraient contraindre la balance hydrique plus rapidement suite à une privation d’eau (déshydratation). Or, on sait que la déshydratation induit des ajustements comportementaux chez la plupart des organismes tels que des modifications de l’activité ou des préférences thermiques (Pough et al. 1983 ; Crowley 1987 ; Bradshaw 1997 ; Lorenzon et al. 1999 ; Ladyman et al. 2006 ; Bonnet & Brischoux 2008 ; Davis & DeNardo 2009 ; Angilletta et al. 2010 ; Hetem et al. 2010 ; Köhler et al. 2011). En réponse à une privation d’eau, la sélection de microclimat à la fois chaud et humide devrait donc être plus marquée pour des états physiologiques demandeurs en énergie. A l’inverse, les individus dans un état physiologique non-contraint devraient favoriser des microclimats plus frais (Ladyman et al. 2006).