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2. Cadre théorique

2.1 La leçon de choses

La leçon de choses s’est officiellement installée dans l’enseignement des sciences au moment où cette discipline est entrée dans les programmes des écoles primaires. En 1882, Jules Ferry rend les sciences obligatoires, comme le témoigne la loi du 28 mars de la même année.

Cependant, on parle déjà plus tôt de « leçon de choses ». Revenons rapidement à son histoire.

Selon Pierre Kahn (2002), c’est en 1833 que ce terme apparaît pour la première fois dans le Manuel des salles d’asiles, de Jean Denys Cochin. Mais la popularité de l’expression est due à Marie Pape-Carpentier, souvent considérée comme la personne de référence liée à l’histoire de la leçon de choses. Dans ce que l’on appelait les salles d’asiles, Mme Pape-Carpentier, employait des « petites histoires et entretiens variés » pour donner aux jeunes enfants de deux à six ans, des informations « sur les choses » (p.156). Pour elle, la leçon de choses est un procédé pouvant être utilisé dans n’importe quelle discipline :

Il faut d’abord vous rappeler que la leçon de choses n’est point une branche spéciale d’enseignement, mais une forme qui s’adapte à tous les sujets, aux plus élevés et aux plus complexes, comme aux plus simples et aux plus faciles. (Marie Pape-Carpentier, 1868, cité par Kahn, 2002, p. 167)

Mais en 1880, les prescripteurs républicains critiquent cette vision. Pour eux, la leçon de choses est uniquement liée à la science.

Dès 1882, l’inscription des sciences physiques et naturelles dans les programmes prend le nom de « leçon de choses » d’abord lorsqu’elle est adressée aux élèves du cours élémentaire, puis dès 1923, cette appellation s’étend également aux plus grands du cours moyen.

Tout au long de son existence, la leçon de choses aura été partagée entre deux finalités contradictoires. La première, traditionnelle, consiste à penser l’enseignement des sciences comme une transmission des savoirs dits usuels, pratiques, concrets. En effet, les élèves, destinés à quitter l’école autour de treize ans pour la vie active, doivent être dotés de connaissances à « l’usage de la vie ». Le second modèle, opposé au précédent, préconise l’initiation à la méthode scientifique. Pour cela, les leçons prennent leur ancrage dans

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l’observation, tout comme le font les savants. De ce point de vue, la leçon de choses tente de s’approcher du travail du scientifique expert. A l’époque, tout le monde s’accorde à dire que cette démarche scientifique est de type inductive, c’est-à-dire qu’elle commence par ce qui est simple pour arriver au complexe.

En commençant par observer « les choses », l’enfant commencerait comme le savant lui-même, qui énonce les lois de la nature grâce à ses observations répétées, de sorte qu’il n’y aurait aucune différence de nature, mais seulement de degrés, entre les leçons de choses de l’école primaire et la science authentique. (Kahn, 2000, p.13)

L’observation doit être utile, proche du contexte des élèves. Ainsi, les éléments observés sont autres que les animaux et les végétaux de la région, les phénomènes courants, les métiers etc.

Pour permettre aux élèves d’effectuer des observations, il est préconisé d’utiliser un « musée scolaire », c’est-à-dire une collection d’objets naturels, de plantes, d’insectes, ramassés par la classe. De cette façon, le travail peut se faire dans des conditions réelles, sur du matériel régional.

Ici, la leçon de choses rejoindrait la science elle-même, parce que c’est épistémologiquement que la science est censée reposer sur l’observation des faits.

Ainsi, en demandant aux enfants de commencer par savoir bien observer le monde qui les entoure, le discours pédagogique semble bien vouloir inscrire les apprentissages scientifiques dans la logique inductive qui était celle reconnue, à cette époque, à la science expérimentale. (Kahn, 2002, pp.172-173)

Dans les instructions officielles du 7 décembre 1945, citées par Kahn (2000), on peut lire que

« la première opération de la science du monde extérieur, la seule qui leur soit accessible est l’observation » (p. 14).

Si l’on considère à présent l’évolution de la leçon de choses dans le temps, nous n’y verrons que peu de changements. En effet, dès ses débuts en 1882 jusqu’à 1945, il semble que la conception des sciences à l’école reste plus ou moins identique. L’importance de l’observation au service d’une finalité double : l’utilitaire et l’intellectuel reste de mise pendant plus de soixante ans. Si l’on compare les instructions de 1882 et celle de 1945, on y retrouve ces constats : l’enseignement des sciences se doit d’être intuitif, pratique et concret (par opposition à théorique) et d’amener à la culture de l’esprit.

Cependant, même si le modèle pédagogique reste, globalement, permanent tout au long de l’existence de la leçon de choses, quelques nuances sont à prendre en compte.

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Dès 1923, le modèle initial est étoffé. L’élève n’est plus considéré uniquement comme observateur, mais également comme expérimentateur. Il est désormais convié à effectuer des expériences, des manipulations. Cette dimension tend à calquer davantage l’enseignement scolaire sur l’activité scientifique. En même temps, les instructions officielles de 1923 rappellent le côté historique et traditionnel de la leçon de choses : l’aspect simple et pratique de l’enseignement est considéré comme la finalité première. Le contexte économique fournit une explication à ces recommandations. Après la première guerre mondiale, le pays, affaibli, doit se reconstruire. L’enseignement est chargé de former les jeunes de façon à les rendre rapidement productifs, rentables. Il doit s’adapter aux besoins des élèves en fonction de leur milieu, de leur âge, de leur sexe et éventuellement de leur futur métier.

En 1945, après la deuxième guerre, la référence à l’expérience disparaît. La leçon de choses se base de nouveau uniquement sur l’observation, seule opération considérée véritablement accessible aux élèves.

Avec ou sans l’expérience, le fondement de la leçon de choses reste la pédagogie inductive, du simple au complexe, du connu à l’inconnu. L’observation reste donc toujours le point de départ de cet enseignement. Ce procédé pourrait être appliqué à d’autres disciplines que les sciences. D’ailleurs, les instructions de 1945 préconisent l’observation également pour l’enseignement de l’histoire et du calcul. La géographie aussi doit être abordée de cette manière, avec une référence toute particulière à la « méthode des leçons de choses ». Nous retrouvons ici une idée chère à Marie Pape-Carpentier.

Cependant, l’observation est décrite comme seule opération de la science du monde extérieur accessible aux enfants. Ce présupposé est alors contradictoire aux recommandations d’application de la leçon de choses dans d’autres disciplines. A ce propos, Pierre Kahn (2000) s’attache à ne pas confondre « l’inductivisme pédagogique (procéder du concret à l’abstrait) et l’inductivisme épistémologique (énoncer des lois générales à partir d’observations particulières) » (p. 20).

Finalement, la leçon de choses n’aura jamais déterminé clairement son statut : contenu didactique ou méthode pédagogique ? L’ambivalence entre les deux objectifs aura été permanente.

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