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Même si la grande majorité de ses livres sont en français, il est notable de voir qu’il possède dans sa bibliothèque des ouvrages en langues anciennes et des ouvrages en langues étrangères. Le grec est moyennement surprenant de la part de notre érudit, car comme nous l’avons vu, il s’inscrit dans le mouvement helléniste du XIXème, avec sa collection d’Anacréon.

Mais c’est plus surprenant pour le latin, car celui-ci est en disparition progressive dans les bibliothèques privées et ce depuis le XVIIIème siècle172. Cette

présence du latin est dut d’une part à la présence de livre d’avant le XVIIIème siècle. N’oublions pas qu’Attel de Luttange possède quelques incunables173. Et

même si le latin décline il reste encore présent dans les ouvrages de théologie. Cette diminution reste toute relative, car si sa présence baisse, le latin reste quand même la deuxième langue présente après le français.

Si on s’intéresse aux langues étrangères, on trouve de l’allemand, de l’anglais, de l’italien et de l’espagnol. La présence de langues étrangères ne veut pas dire que Attel de Luttange maitrisait ces langues, ni même qu’il les a étudiées. Le fait d’avoir des livres en langues étrangères n’est pas non plus quelque chose d’exceptionnel. Déjà au XVIIIème siècle l’anglais était déjà bien présent sur les étagères des bibliothèques particulières. Mais la bibliothèque de notre érudit comporte également des ouvrages en allemand, en italien, en espagnol et en portugais, notamment en ce qui concerne sa collection d’Anacréon.

Il est intéressant de remarquer que notre bibliophile évolue dans une province et une ville, Metz, qui sont encore au XIXème siècle très germanophones. En effet la moitié du département était de langue allemande et la quasi-totalité de ces habitants parlaient des dialectes germanophones174. Malgré cela on trouve très peu

de livres de langue allemande dans la bibliothèque de notre collectionneur. De plus c’est des élites que viendra le processus de francisation de cette région mosellane.

172 Le pourcentage de livres en latin passe entre 1600 et 1700 de près de 30% à moins de 10%. Voir Martin H.J.

Livre, pouvoirs et société à Paris au XVIIe siècle (1598 -1701), Genéve, Droz, 1969, 2 vol.

173 Attel de Luttange possède 7 incunables qui correspondent aux numéros 8, 165, 489, 521, 522, 684 et 905 du

catalogue d’Attel.

Ces élites, dont fait partie Attel de Luttange, maîtrise déjà parfaitement la langue française car c’était la seule langue employée dans les collèges et dans les documents officiels. Donc la bibliothèque de notre érudit lorrain reflète bien cette réalité d’une élite éduquée, parlant, écrivant et lisant tout à fait correctement le français.

D’autre part il ne faut pas oublier que jusqu’au XVIIème et encore un peu au XVIIIème siècle, avant que le français ne s’impose, l’italien est la langue de la culture. De plus notre collectionneur possède des livres d’auteurs étrangers qui ne sont pas dans la langue d’origine mais qui sont des traductions en français. C’est ainsi que l’on retrouve par exemple des auteurs tels que Jonathan Swift175, l’auteur

de Gulliver mais traduit en français. Au total, toutes langues confondues (latin et grecs compris), il y a environ 130 titres du catalogue qui sont des ouvrages traduits.

Pour résumer brièvement le contenu de cette bibliothèque nous pouvons dire que malgré quelques particularités et ouvrages intéressants, la collection de Jean- François-Didier d’Attel de Luttange suit globalement sans trop de surprises le modèle bibliophilique prédominant au XIXème siècle. Nous pourrions le qualifier de modeste bibliophile. Mais s’il en avait eu les moyens financiers, Attel de Luttange aurait pu être un grand bibliophile, car malgré ce que nous pourrions penser, son catalogue nous montre un homme raisonné, de goût, et de réflexion , qui a été sûrement meilleur en tant que bibliophile qu’en tant qu’écrivain.

Conclusion :

Jean-François-Didier d’Attel de Luttange est décédé en décembre 1858, et sa collection intègre la bibliothèque de Verdun en janvier 1859. Au début du XXème siècle, lorsque monsieur Leboyer était conservateur de ladite bibliothèque, les fonds de la bibliothèque ont été classés par format ce qui eu pour conséquence l’éclatement du fonds Attel de Luttange.

Cette étude du catalogue de Jean-François-Didier d’Attel de Luttange, nous a permis de démontrer que même à un niveau modeste, un bibliophile a des connaissances et des capacités qui font de lui un maillon essentiel du marché du livre. Le plus intéressant dans ce genre de catalogue rédigé de la main du bibliophile, sont les notes qui accompagnent les ouvrages. Et c’est grâce à ses notes que nous pouvons faire apparaître la personnalité de Jean-François-Didier d’Attel de Luttange. Un homme très érudit, qui exerce une bibliophilie modeste mais très réfléchie. Une bibliophilie à l’image d’un homme qui a un héritage, une culture et une mentalité, encore très Ancien Régime, dans une région Lorraine qui l’est tout autant. Un catalogue domestique est donc à la fois un état des lieux, pour une personne précise à un moment donné et également un outil, de travail pour le collectionneur et de recherches pour les historiens. C’est également un miroir double, d’une collection vivante et de son possesseur. On peut en effet y appréhender non seulement des livres mais un lecteur.

Il ne reste plus qu’a s’interroger sur finalité d’être bibliophile. Est-ce d’être un gardien ? Le gardien d’un art de collectionner, le gardien de savoir -faire typographique ancien, le gardien d’ouvrages en voie de disparition, le gardien d’une culture ancienne. Ou bien d’être un passeur ? Le lien entre deux cultures (ici notamment après la Révolution française), le lien entre les générations, un lien dans ce marché du livre qui se reconstruit.

Dans tous les cas, les bibliophiles quels qu’ils soient, sont à l’origine de la création d’un savoir et même d’un savoir-faire, aujourd’hui fortement réutilisé par les conservateurs de bibliothèque. Ces bibliothèques qui sont pour certaines nées d’un don d’un de ces bibliophiles.

SOURCES

MS 325, catalogue de la bibliothèque d’Attel de Luttange, 1858, conservé à la bibliothèque municipale de Verdun.

Bibliographie

Usuels :

Larousse Pierre, Grand Dictionnaire Universel du XIXe siècle, Paris, Larousse, 1866-1879.