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Voici une autre difficulté : évaluer le projet d’ensemble, a priori ouvert et élargi, poursuivi par H̱alīl Ḥamīd à l’aune d’un public malgré tout restreint et peu lettré, qui bénéficie de la pratique de la lecture en commun, à la mosquée, en cercle plus ou moins fermé ou à la maison197. À Isparta, ville voisine de Burdur, où le vaḳf de H̱alīl Ḥamīd s’implante également, une école de quartier est atte- nante à la bibliothèque. Mais son enseignant et son assistant, aussi compétents et investis soient-ils dans l’accomplissement de leurs tâches, sont-ils en mesure de produire un vivier de lecteurs capables d’absorber les 440 volumes enre- gistrés dans la charte de la fondation pieuse198 ? Au XIIe/XVIIIe siècle, la très

194 Spécialiste de Celāleddin Devvānī, Harun Anay invite à considérer que le développement de la pratique des commentaires sous les Ottomans n’est pas à interpréter comme la marque d’un recul des productions originales mais contribue au contraire au renouvel- lement des questions posées par ces productions (Anay, « Bir Osmanlı Düşüncesinden Bahsetmek Mümkün mü ? », p. 13).

195 Muhammad Khalid Masud, « Adab al-qāḍī », EI3.

196 Van Lit, « Commentary and Commentary Tradition », p. 20.

197 Sabev, « The First Ottoman Turkish Printing Enterprise », p. 76 ; Zubčević, Book Ownership

in Ottoman Sarajevo 1707-1828, p. 62-64, p. 194, p. 205-206.

198 Je ne vois pas bien à quoi correspond le chiffre de 449 manuscrits proposé par İ. Erünsal (Türk Kütüphaneleri Tarihi, p. 109). Pour l’époque républicaine, un livre de comptes (demirbaş defteri, registre matricule des cotes des manuscrits, sans doute) indique le chiffre de 554, ramené à 582 : Fehmi Aksu, « Sadrâzam Halil Hâmid Paşa’ya Dair »,

grande majorité des manuscrits en sciences islamiques continuent d’être écrits en arabe – c’est surtout au siècle suivant qu’ils sont traduits, et imprimés, en turc ottoman199. En revanche, les gloses et les commentaires en turc se multi- plient200. Plusieurs ouvrages, longs et difficiles, font l’objet de versions réduites ou de vademecum. En page de garde des manuscrits, on relèvera la présence de notes et sceaux de propriété inscrits en arabe, puis, au fil des pages, la fréquence d’annotations en marge201. Ces marques manifestent-elles la continuité d’une pratique avérée de l’arabe autant que la prégnance d’une culture référencée, encore et toujours, aux trois langues (elsine-i s̱elās̱e) des savants202 ?

En vérité, le temps où un Ṭaşköprüzāde (no 53) pouvait rédiger en arabe l’ensemble de son œuvre est révolu203. Si l’on se sert du persan et de l’arabe, c’est surtout pour complexifier davantage encore les formulations ampoulées d’un ottoman compréhensible d’un nombre restreint de lettrés. En Anatolie occidentale et méridionale, qui connaît assez ces langues pour prendre pos- session de l’ensemble du corpus204 ? Qui est en mesure de se saisir de la « clé des sciences » (le Miftāḥ al-ʿulūm, no 33) façonnée par al-Sakkākī pour faire accéder le lectorat à la variété et la richesse des disciplines linguistiques, de la phonétique aux diverses formes du langage expressif ? Qui pourra assimiler ÜN – Isparta Halkevi Mecmuası, 6/64-65 (1939), p. 908-913, p. 911. Lors d’un pointage

ultérieur, Hikmet Turan Dağlıoğlu indique que 518 ouvrages de ce fond sont rédigés en arabe, 21 en persan et 43 en turc (Dağlıoğlu, « Isparta’da Halil Hamid Paşa Kütüphanesi », p. 1302).

199 Arzu Meral, « A Survey of Translation Activity in the Ottoman Empire », Osmanlı

Araştırmaları, 42 (2013), p. 105-149 (surtout à partir des langues occidentales) ; Johann

Strauss, « The Egyptian Connection in Nineteenth-Century Ottoman Literary and Intellectual History », Beyrouth Zokak El Bla(t), Beyrouth, Orient-Institut, 20 (2000). 200 El-Rouayheb, Islamic Intellectual History in the Seventeenth Century, p. 41-42.

201 Pour un inventaire de sceaux de bibliothèques fondées par 17 grands vizirs, dont Şehīd ʿAlī (m. 1716), Dāmād İbrāhīm (m. 1730), Ḥekimoğlu ʿAlī (m. 1758) et Meḥmed Rāġıb (m. 1763), avec fac-similés, voir Günay Kut et Nimet Bayraktar, Yazma Eserlerde Vakıf Mühürleri, Ankara, Presses du ministère de la Culture, 1984, p. 67-99.

202 Adam Gacek, « Ownership Statements and Seals in Arabic Manuscripts », Manuscripts

of the Middle East, 2 (1987), p. 88-95, p. 90. Sur les manuscrits arabes, on trouvera une bi-

bliographie très riche et régulièrement mise à jour sur le site de Jan Just Witkam : http:// janjustwitkam.nl/publications/index.html, consulté le 15 juillet 2020.

203 Agâh Sırrı Levend, Turk Edebiyatı Tarihi. Cilt 1, Ankara, Türk Tarih Kurumu, 19883, p. 43 ; Strauss, « Who Read What in the Ottoman Empire (19th-20th Centuries)? », p. 56-57. 204 Osman Horata, « The Turkish Literature from the Tulip Era to Tanzimat », dans The

Turks, éd. H.C. Güzel et al., Ankara, Yeni Türkiye, 2002, III, p. 893-906, p. 894. Si İ. Erünsal

(Ottoman Libraries, chapitre 8) parle d’un déclin des « bibliothèques de vaḳf » pour cause de manque de ressources et de traditionalisme, alors que des lecteurs seraient eux-mêmes en quête de « lumières » (enlightenment), je crois qu’il faut se poser également la question de leurs compétences linguistiques.

les distinctions que l’auteur y propose et étaye entre ṣarf (morphologie), naḥw (syntaxe) et ʿilm al-maʿānī wa-l-bayān (stylistique et théorie du langage figura- tif) d’où fleurit un domaine riche de « douze sciences arabes »205 ? Un étudiant devra sans doute chercher meilleure prise du côté des deux commentaires d’Ibn al-Ḥāǧib (no 75, 76), grand classique de grammaire qui formalise davan- tage encore cette distinction sous la forme de volumes séparés206.

Bien sûr, la recherche de la transmission du savoir fondée sur la lecture attentive de textes de référence (muṭālaʿa) a certainement ses adeptes dans les madrasas anatoliennes207. Bien sûr, l’Empire compte en ses domaines de nombreux hauts lieux de savoir, de l’Anatolie (deux auteurs ont été formés à Tire (no 16, 63), ville active d’enseignement en sciences islamiques depuis la seconde moitié du VIIIe/XIVe siècle208) aux Balkans (selon O. Sabev, les livres en arabe étaient encore lus à Sofia au XIIe/XVIIIe siècle et compris par ceux qui les manipulaient209). Bien sûr, les outils pédagogiques ne manquent pas : les commentaires d’al-Taftāzānī et d’al-Ǧurǧānī (no 61) s’imposent dans les programmes autant que le Miftāḥ al-ʿulūm lui-même (no 64). D’abondantes ressources lexicographiques sont disponibles : à en croire l’énorme littérature critique qu'ils ont suscitée, les Ṣiḥāḥ d’al-Ǧawharī (no 58) ne sont pas aussi impeccables qu’ils prétendent l’être ; mais jusqu’à leur remplacement par le

Qamūs d’al-Fīrūzābādī (m. 817/1415) au VIIIe/XIVe siècle, ils constituent le dic-

tionnaire arabe le plus utilisé, encore très apprécié par les Ottomans ensuite, puisque la traduction turque de Wānḳuli (m. 1000/1591-1592) compte parmi les quelques livres imprimés par Müteferriḳa (m. 1158/1745)210. Un étudiant en difficulté pourra se rabattre sur le Muḫtār al-Ṣiḥāḥ (no 57), composé par le sa- vant al-Rāzī (dont la méthode a hautement marqué les sciences ottomanes211)

205 Mehmet Sami Benli, « Miftâhu’l-ulūm », Türkiye Diyanet Vakfı İslam Ansiklopedisi, 30 (2005), p. 20-21 ; Wolfhart P. Heinrichs, « al-Sakkākī », EI2.

206 Sur les outils didactiques et les recueils destinés à l’enseignement d’un idiome savant et littéraire (l’allemand) au confluent de deux bassins linguistiques, voir Emmanuelle Chapron, « Enseigner l’allemand par les livres : Strasbourg et la librairie pédagogique au XVIIIe siècle », Histoire et Civilisation du Livre, 11 (2015), p. 129-148.

207 Sur la notion de muṭālaʿa chez Müneccimbāşī (m. 1113/1702), voir Khaled El-Rouayheb, « The Rise of “Deep Reading” in Ottoman Scholarly Culture », CRASSH, Cambridge, 4 mai 2016, https://www.youtube.com/watch?v=eBp0sqiWFGs, consulté le 14 juillet 2019. 208 Gül, Osmanlı Medreselerinde Eğitim-Öğretim ve Bunlar Arasında Dâru’l-Hadîslerin Yeri,

p. 32, 87, 111, 114, 115.

209 Sabev, « Private Book Collections in Ottoman Sofia, 1671-1833 (Preliminary Notes) », p. 46. Sur Sarajevo, ville de poètes et d’écrivains, voir Zubčević, Book Ownership in Ottoman

Sarajevo 1707-1828, p. 51-54.

210 Muḥammad b. Muṣṭafā l-Wānī, Tarǧamat Ṣiḥāḥ al-Ǧawharī, Istanbul, 1141/1729.

211 Unan (« The Ottoman Ulema », p. 842) va jusqu’à parler d’une « Razi school » constituée lors de l’ouverture des premières madrasas ottomanes.

à partir du précédent dont il est l’un des dérivés les plus reconnus, en par- tie parce qu’il est conçu afin de contenir les seuls mots qu’un lettré digne de ce nom se devrait de mémoriser. Le problème est que l’auteur y note à la fois trop de mots et pas assez : il fait comme si les termes qu’il ne cite pas étaient connus, qui ne le sont pas nécessairement, a fortiori pour un jeune turcophone qui trouvera un faible recours auprès de rares et peu pratiques dictionnaires arabe-turc, celui de Ḳara Pīrī par exemple (no 59). Mais si le mouvement de fon- dation des bibliothèques vizirales ne fut que secondairement provincial, il y a des raisons culturelles à cela212. Hedda Reindl-Kiel explique pourquoi le grand vizir Hersekzāde Aḥmed Pacha (m. 922/1517), grand amateur de littérature, se résout à ne doter les vaḳf qu’il institue en province d’aucune bibliothèque : il sait que, dans les zones rurales où il répand une manne certes généreuse mais adaptée aux données du milieu, les lecteurs qualifiés se comptent sur les doigts d’une main213.

Faut-il ici tacler du bout du pied l’historiographie des bibliothèques otto- manes, celle qui traite des institutions et des règles qui s’y imposent davan- tage que de la forme des manuscrits et de l’usage qui en est fait, celle qui souligne l’utilité publique des bibliothèques plus qu’elle n’aborde la diversité des pratiques de lecture214 ? La démarche de Henning Sievert est nouvelle qui

212 Comme exemples de grands vizirs fondateurs de bibliothèques en province, on cite- ra Gedik Aḥmed (1477), Fāẓıl Aḥmed Köprülü (1661), Dāmād İbrāhīm (1727) et Yeğen Meḥmed (1728).

213 « As to the books, in Hersekzade’s case it doesn’t seem that he founded a library – his two vakfs were in more or less rural areas where libraries would not have had any customers. He was probably not very much interested in orthodox Islamic books; in case he received them as a gift, he would certainly have given them to one of his mosques. In Merzifonlu Kara Mustafa’s case it is probable that he gave most of his books to his vakf library, be- cause only a very small number of books (mostly luxury copies with miniatures) was confiscated by the royal palace » (courriel de H. Reindl-Kiel adressé à l’auteur).

214 Dans un compte rendu de Erünsal, Türk Kütüphaneleri Tarihi dans le Bulletin of the

School of Oriental and African Studies, 54 (1991), p. 236-237, Caroline Finkel note que

l’auteur n’évoque quasiment pas le contenu des collections. Dans son Ottoman Libraries, il y consacre deux pages (p. 136-138). Si dans sa dernière étude sur les livres au Moyen Âge, l’historien turc s’engage davantage du côté de la matérialité des pratiques savantes, il continue de laisser de côté l’étude des collections (İsmail Erünsal, « Kütüphâne Koleksyonları », Orta Çağ İslâm Dünyasında Kitap ve Kütüphane, Istanbul, Timaş, 2018, p. 417-419). Sur les pratiques de lecture dans Le Caire du XIIe/XVIIIe siècle, mais envisagées principalement sous l’angle de la sociologie professionnelle des propriétaires, voir Hanna,

In Praise of Books, p. 96-98. Pour une réflexion générale sur les rapports entre pratiques

de lecture et culture de l’écrit, voir Christoph Neumann, « Üç Tarz-ı Mütalaa: Yeniçağ Osmanlı Dünyası’nda Kitap Yazmak ve Okumak », Tarih ve Toplum Yeni Yaklaşımlar, 1 (2005), p. 51-75, p. 69, p. 59-69. Tout récemment, l’historiographie des bibliothèques otto- manes a connu de nouvelles ouvertures avec la publication de Cornell H. Fleischer, Cemal

déplace l’objet de la réflexion vers les livres en tant que biens de consomma- tion et d’échange215. Celle de Khaled El-Rouayheb l’est également qui, au-delà de l’approche de l’interraction individuelle entre un étudiant et son maître, propose une analyse de la transmission centrée sur le commentaire de texte (muṭālaʿa)216. Si l’on va dans ce sens, si l’on traite de front la question de la lecture, des possibilités qu’elle se donne et des contraintes qui s’imposent à elle, on se doit de poser celle, contiguë mais moins abordée par les études, des langues de lecture. Ce faisant, on en vient à laisser de côté deux orien- tations historiographiques opposées : 1) tirer de la consultation des curricula et de l’inventaire des ouvrages l’idée que l’arabe était la langue reine des ma- drasas ; autrement dit, insister sur la maîtrise linguistique observée jusqu’au Xe/XVIe siècle et projeter celle-ci sur les siècles suivants, au motif, qu’avant les Tanẓīmāt, l’enseignement reste « classique »217 ; 2) pointer au contraire du doigt la dégradation de l’enseignement des disciplines islamiques et, par voie de conséquence, l’érosion de l’apprentissage de l’arabe218. En marge de ces deux thèses, quelques historiens ottomanistes rejoignent des spécialistes d’autres parties du monde musulman quand ils essayent d’établir ce qui nous paraît être, au premier abord, du domaine de l’évidence mais qui, sauf erreur

Kafadar et Gülru Necipoğlu (éds), Treasures of Knowledge: An Inventory of the Ottoman

Palace Library (1502/3-1503/4), Leiden-Boston, Brill (« Studies and Sources in Islamic Art

and Architecture », 14), 2019 (paru alors que le présent article était en cours d’examen par le comité d’Arabica).

215 Sur le développement de la production de livres dans Le Caire du XIIe/XVIIIe siècle, lire Hanna, In Praise of Books, p. 85-90. Sur les notes de lecture, voir Değirmenci, « Bir Kitabı Kaç Kişi Okur ? », p. 39-42. Pour une démarche proche de celle de H. Sievert, voir l’étude des livres offerts à Evliya Çelebi et de leur usage par Neumann, « Üç Tarz-ı Mütalaa », p. 55-52, p. 69-70.

216 El-Rouayheb, « The Rise of “Deep Reading” in Ottoman Scholarly Culture ».

217 Richard Cooper Repp, The Müfti of Istanbul: A Study in the Development of the Ottoman

Learned Hierarchy, Londres-Oxford, Ithaca-Faculty of Oriental Studies-Oxford University

(« Oxford Oriental Institute Monographs », 8), 1986, p. 29 ; Betül Can, « Fatih Döneminden Tanzimat’a Kadar Osmanlı Medreselerinde Arapça Öğretimi », 10. Uluslararası Dil, Yayın

ve Deyişbilim Sempozyumu, Ankara Gazi Üniversitesi, 2010, p. 342-347 ; Atay, Osmanlılarda Yüksek Din Eğitimi, p. 214 (nuancé par Unan, Kuruluşundan Günümüze Fâtih Külliyesi,

p. 349-350) ; Can Hızlı, Hüseyin Demir, « Osmanlı İlk Dönemi Medreselerinin Kuruluş Süreci ve Arap Dilinin Öğretimi », Bartın Üniversitesi Eğitim Fakültesi Dergisi, 6/2 (2017), p. 614-622.

218 İlyas Çelebi, « Osmanlı Medreselerinin Kuruluşu, Yükseliş ve Çöküş », dans Osmanlı, éd. Güler Eren, Ankara, Yeni Türkiye Yayınları, 1999, V [Toplum], p. 168-175, p. 174 ; Yazıcıoğlu,

Le kalâm et son rôle dans la société turco-ottomane aux XVe et XVIe siècles, p. 8 ; Atay, Osmanlılarda Yüksek Din Eğitimi, p. 15-21 ; Yormaz, « Muhalif Bir Metin Nasıl Okunur ? ».

de ma part, n’a pas encore été mesuré pour le XIIe/XVIIIe siècle219 : ce n’est pas parce qu’un enfant récite le Coran, sourate après sourate, qu’il en comprend le sens220 ; ce n’est pas parce qu’un étudiant lit de l’arabe qu’il comprend ce qu’il lit ; ce n’est pas parce qu’un bibliophile possède des livres écrits en arabe qu’il est apte à saisir les nuances qu’ils contiennent. Il faut cesser de penser que les livres sont toujours faits pour être lus221.

219 Pour ce qui est du XIIIe/XIXe siècle, voir Olivier Bouquet, « Ce que l’on dit que l’on parle veut dire : réflexion sur les compétences linguistiques des derniers Ottomans »,

European Journal of Turkish Studies, 6 (2007), http://journals.openedition.org/ejts/1523,

consulté le 15 juillet 2020. Pour ce qui est du XIe/XVIIe siècle : « But it is important to keep in mind the difference between (1) being familiar with certain works and reading them, and (2) studying these works intensively as a regular part of madrasa education » (El-Rouayheb, Islamic Intellectual History in the Seventeenth Century, p. 38).

220 Pour le XIIIe/XIXe siècle, voir Gilbert Delanoue, Moralistes et politiques musulmans

dans l’Égypte du XIXe siècle (1798-1882), Le Caire, Institut français d’archéologie orientale

(« Textes arabes et études islamiques », 15), 1982, p. 97-98, p. 110, p. 288, p. 394. Pour une pré- sentation des différentes méthodes d’apprentissage de l’arabe en madrasa (sans réflexion sur leur effectivité respective et sans prise en compte des différences selon les périodes et les régions), voir Betül Can, « Tanzimat Öncesi Osmanlı Medreselerinde Arapça Öğretim Yöntemleri », Ekev Akademi Dergisi, 14/44 (2010), p. 305-320. Sur les difficultés de l’appren- tissage de la lecture de l’arabe dans le contexte diglossique du Proche-Orient médiéval : Hirschler, The Written Word in the Medieval Arabic Lands, p. 91-99. Sur la transmission et la mémorisation des textes : Dale F. Eickelman, « The Art of Memory: Islamic Education and its Social Reproduction », Comparative Studies in Society and History, 20/4 (1978), p. 485-516, p. 493-495 ; Indira Falk Gesink, Islamic Reform and Conservatism: Al-Azhar and

the Evolution of Modern Sunni Islam, Londres-New York, I.B. Tauris (« Library of Modern

Religion », 10), 2009, p. 18-19 ; Olivier Bouquet, Quand les Ottomans firent le point : his-

toire graphique, technique et linguistique de la ponctuation ottomane, Turnhout, Brepols

(« Miroir de l’Orient musulman », 8), 2019, p. 69-70 ; Benjamin Fortna, Learning to Read

in the Late Ottoman Empire and Early Turkish Republic, Basingstoke, Palgrave Macmillan,

2014, p. 125 ; Messick, The Calligraphic State, p. 21-22 ; Rudolph T. Ware, The Walking

Qurʾan: Islamic Education, Embodied Knowledge, and History in West Africa, Chapel Hill,

University of North Carolina Press (« Islamic Civilization and Muslim Networks »), 2014, p. 49 ; Ismail Warscheid, Droit musulman et société au Sahara prémoderne : la justice isla-

mique dans les oasis du Grand Touat (Algérie) aux XVIIe-XIXe siècles, Leyde-Boston, Brill

(« Studies in the History and Society of the Maghrib », 9), 2017, p. 63-67.

221 Sur les livres comme biens du salut, voir Bernard Heyberger, « Premières imprimeries arabes en Orient : une histoire connectée », Circulations typographiques : imprimer les

langues orientales entre Orient et Occident. XVIe-XXe siècles, journée d’études organisée

par Olivier Bouquet et Fabien Simon, Université Paris Diderot, le 25 janvier 2019. D’une liste de 145 ouvrages écrits en arabe, turc et persan, Heath Lowry deduit que « Hersekzâde Ahmed (who only began to learn Turkish, Persian and Arabic as an adult) had acquired sufficient mastery of all three languages, to allow him to purchase and read works written in them » (Heath W. Lowry, Hersekzâde Ahmed Paşa: An Ottoman Statesman’s Career

Que dire du persan ? Son recul dans les pratiques de lecture a été identifié222. Il s’accentue davantage encore au XIIIe/XIXe siècle. Il est visible ici : deux au- teurs cités, Ǧāmī (no 45) et Ḫwānd Amīr (no 48), c’est tout. Et il faut attendre la toute fin de l’inventaire pour voir apparaître de la poésie. Trois titres seule- ment pour faire place, tout de même, au monument du ġazal : Ḥāfıż. Il y a de quoi rester songeur quand on sait à quel point, au bas Moyen Âge, le persan, non seulement imprima sa marque sur la personnalité du turc littéraire, mais devint une « lingua franca assurant la liaison entre le Bilād al-Rūm et le Bilād al-ʿAjam »223 ; quand on se souvient qu’au Xe/XVIe siècle la poésie persane ne connut nulle part ailleurs autant d’écho que dans l’Empire ottoman ; quand on se rappelle qu’aux XIe/XVIIe-XIIe/XVIIIe siècles la recension historique d’Aḥ- med Sūdī (m. ca 1008-1009/1600) fit autorité sur les spécialistes notamment iraniens de Ḥāfıż, au point d’être traduite en persan ; quand, enfin, on lit, ici ou là, que le XIIe/XVIIIe siècle ottoman fut le siècle par excellence de la poésie et des poètes224. Le fait est qu’à partir de la fin du XIe/XVIIe siècle la copie des ma- nuscrits persans décroît, alors que les traductions vers le turc ottoman se

données complémentaires, je conteste la validité du lien que présuppose l’auteur entre la possession de manuscrits et l’usage qui en est fait.

222 Recep Dikici, « Damad İbrahim Paşa’nın İstanbul’daki Kütüphanesi ve Nevşehirli Âlim ve Ediplerin Yazma Eserleri », dans 1. Uluslararası Nevşehir Tarih ve Kültür Sempozyumu

Bildirileri, 16-19 Kasım 2011, Nevşehir, éd. Adem Öger, Ankara, 2012, VI, p. 371-388, p. 373

(34 volumes en persan et 1 104 en arabe sur un total de 1 153 manuscrits) ; Sabev, « Okuyan Taşralı Bir Toplum », p. 583 (7 livres en persan sur 1 051 volumes recensés dans six in- ventaires après décès étudiés entre 1730 et 1747) ; Zubčević, Book Ownership in Ottoman

Sarajevo 1707-1828, p. 102-103, p. 193-197 ; F. Richard estime que « la connaissance du persan

était largement répandue et souvent indispensable à l’accomplissement d’une carrière de secrétaire ou de fonctionnaire dans l’administration » (Richard, « Lecteurs ottomans de manuscrits persans du XVIe au XVIIIe siècles », p. 80). De même, Alexander Bevilacqua écrit : « most members of the educated elite spoke Arabic, Persian and Ottoman Turkish » (Alexander Bevilacqua, The Republic of Arabic Letters: Islam and the European

Enlightenment, Cambridge, The Belknap Press of Harvard University Press, 2018, p. 21).

J’ai établi le contraire pour la haute administration du XIIIe/XIXe siècle dans Olivier Bouquet, Les pachas du sultan : essai sur les agents supérieurs de l’État ottoman (1839-1909), Paris-Louvain-Dudley, Peeters (« Collection Turcica », 12), p. 286-288. Pour ce qui est du XIIe/XVIIIe siècle, le débat reste ouvert.

223 Algar, « Jāmī and the Ottomans », p. 65, p. 125, ma traduction de l’anglais ; Johann Strauss, « Diglossie dans le domaine ottoman : évolution et péripéties d’une situation linguis- tique », Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée, 75-76 (1995), p. 221-255, p. 224 ; Ahmet Kartal, « Anadolu’da Farsça Şiir Söyleyen Türk Şairler (XI.-XVI. Yüzyıllar) », dans Türkler, éds Hasan Celâl Güzel, Kemal Çiçek et Salim Koca, Ankara, Yeni Türkiye

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