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CHAPITRE 2 – UNE AUTONOMIE FRAGILISEE ET PRECARISEE ?

A. Des lacunes précédemment comblées

111.- Remarque préliminaire. Les développements qui suivent servent en réalité à actualiser les travaux de

la doctrine en la matière. En effet, comme le précise M. Delvolvé, la réforme du code civil ne peut pas laisser indifférents ceux qui s’occupent du droit administratif. Le Code civil n’a jamais été totalement étranger au droit administratif, puisque les dispositions de ce code avaient fait précédemment l’objet d’utilisation en droit administratif, ou du moins ont été sources d’inspiration185. Les travaux doctrinaux mettent en lumière

l’attention particulière que les juristes publicistes ou même privatistes portent envers cette question. Ils permettent de saisir la similitude, si ce n’est l’unicité des solutions surtout au stade de la formation du contrat et de sa fin. Il paraît alors nécessaire d’examiner, dans la continuité de ces travaux, notamment la thèse de M. B. Plessix, dans quelle mesure les nouvelles dispositions introduites par la réforme vont-elles affecter le corpus du droit administratif. Nous nous limiterons à la formation du contrat et à sa fin, dans la mesure où la phase d’exécution a été examinée précédemment.

1. La formation du contrat

112.- Chronologie. S’il s’agit d’examiner la phase formation du contrat, il paraît opportun de signaler que ce

moment n’est pas ponctuel. Ainsi, il paraît nécessaire de le découper afin d’analyser dans chaque section la place que jouent les dispositions du code civil. La découpe la plus pédagogique paraît celle qui correspond la chronologie de la formation du contrat. Ainsi, se pose d’abord la question des conditions relatives aux cocontractants : leur qualité pour contracter et ensuite, l’expression de leur volonté de contracter Ensuite, vient la question des conditions relatives non pas aux parties, mais au contrat lui-même. Ensuite, se pose la question des nullités du contrat qui sanctionnent les conditions de la validité du contrat et de sa formation, et qui permettront d’avancer dans notre analyse vers la fin du contrat186.

184 PLESSIX (B.), L’utilisation …, op. cit., p. 84.

185 DELVOLVÉ (P.), « Les nouvelles dispositions du code civil et le droit administratif », in RFDA 2016, p. 613, §1. 186 Cette découpe est inspirée du plan adopté par M. Bénabent dans son ouvrage, Droit des obligations, op. cit.

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113.- Les conditions relatives aux parties. La théorie générale des contrats privés n’occupe pas la même

place au sein du droit des contrats administratifs selon qu’il s’agit de la qualité pour contracter ou de l’expression de la volonté pour contracter.

114.- La qualité pour contracter. S’agissant de la qualité pour contracter, le droit privé ne joue pas, puisque les

personnes publiques exercent des compétences en vertu d’habilitations spéciales qui ne découlent (logiquement) pas du droit privé. La capacité d’exercice et de jouissance des personnes publiques ne se détermine pas à partir des règles applicables aux particuliers.

115.- L’expression de la volonté pour contracter. En revanche, s’agissant de l’expression de la volonté pour

contracter, c’est-à-dire l’expression d’un consentement libre et éclairé, la jurisprudence a utilisé directement les règles du code civil, ou du moins a procédé à des emprunts aux règles civilistes, c’est-à-dire des principes qui sont contenus dans ces règles. Or, l’article 1130 nouveau reprend les principes posés par l'ancien article 1109 en les modernisant. Le Conseil d'État faisait référence à la version ancienne du texte187,

il est prévisible de le voir utiliser les textes résultant de l’ord. de 2016188. D’ailleurs, cet usage commun ne

concerne pas seulement les solutions qui étaient déjà présentes dans le Code civil, mais les éléments de droit positif codifiés par l’ordonnance de 2016, notamment la réticence dolosive (art. 1137 nouveau)189.

116.- Les conditions relatives au contrat. Le même constat peut être établi : absence d’utilisation des règles

sur le formalisme, et utilisation des règles sur le contenu du contrat.

117.- Le formalisme du contrat. Qu’il soit requis ad validitatem ou encore ad probationem, le formalisme prévu

par le Code civil ou l’ordonnance de 2016 n’affectera pas le droit des contrats administratifs. M. Delvolvé reprend une formule d’un arrêt de la CAA de Paris qui est assez révélatrice : « il appartient au juge de former sa conviction à partir des éléments du dossier et notamment de ceux produits par l'abonné qui doit apporter des indices concordants de nature à faire tenir ces facturations comme ne correspondant pas à l'utilisation effective de l'installation ; ...ainsi les dispositions de l'article 1315 du code civil ne sauraient trouver application

en l'espèce »190. Le président Odent a également souligné cette autonomie du droit de la preuve en matière

administrative par rapport à la procédure civile.

118.- Le contenu du contrat. Cependant, s’agissant du contenu du contrat, le droit civil a servi à l’élaboration

de la jurisprudence administrative. S’agissant de l’objet du contrat, M. Jean Waline constate l’unicité du concept en droit administratif et en droit civil : selon l’auteur, « en droit privé les contrats dont l’objet est

187 D’ailleurs, le CE a jugé que l’erreur sur la substance n’est pas une cause de nullité du contrat : CE, 28 décembre 1917, Belmont, p. 878.

188 DELVOLVÉ (P.), op. cit., n° 24.

189 Pour une illustration récente : s’agissant de la sanction d’une réticence dolosive dont a été victime la SNCF à l'occasion de la passation d’un marché : CE 19 décembre 2007, Société Campenon-Bernard et autres, Lebon p. 507. 190 CAA Paris, 5 mars 1992, n° 89PA02503, inédit au Lebon, cité par DELVOLVÉ (P.), op. cit., n° 13.

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impossible sont entachés de nullité. La doctrine admet que la même règle s’applique aux contrats administratifs »191.

D’ailleurs, la disparition de la notion de cause en droit civil ne remet pas en cause la jurisprudence du CE qui a emprunté cette notion au Code civil. D’ailleurs, si la cause disparaît du nouvel art. 1128 du Code civil, les fonctions de cette notion ont été consolidées dans les nouveaux art. 1162 et surtout l'art. 1169 qui dispose que « un contrat à titre onéreux est nul lorsque, au moment de sa formation, la contrepartie convenue au profit de celui qui s'engage est illusoire ou dérisoire ».

Enfin, les utilisations et emprunts ne se limitent pas au stade de la formation du contrat. Le droit civil a également nourri le droit administratif s’agissant des règles sur la nullité.

2. La fin du contrat

119.- Une affirmation à nuancer

.

Le commissaire du gouvernement Corneille dans ses conclusions sur l’arrêt CE, 23 mars 1917, Péchin, écrivait que « du moment où nous sommes ici en matière de contrats de service public, les principes généraux de la théorie des nullités doivent s'appliquer, car ce sont des principes généraux que le Code civil, par exemple, n’a fait qu’adapter dans divers de ses articles à des cas particuliers; et les principes généraux des contrats ne doivent pas rester étrangers aux contrats des services publics en tant qu’ils ne sont point contraires aux caractères propres de ces contrats »192. Par conséquent, les nouveaux

articles 1178 à 1184 devraient avoir vocation à être utilisés par la jurisprudence administrative. Ces articles adoptent la théorie moderne des nullités : la nullité est absolue lorsque la règle violée a pour objet la sauvegarde de l'intérêt général. Elle est relative lorsque la règle violée a pour seul objet la sauvegarde d'un intérêt privé. L'analyse ne repose donc plus sur la gravité du vice en se plaçant du point de vue du contrat. Néanmoins, il faut nuancer cette affirmation car, même si la nullité absolue résultant de l’ord. de 2016 « eut rappeler dans une certaine mesure les formules des jurisprudences Commune de Béziers et Département de Tarn-et-Garonne »193, les solutions ne sont pas identiques.

120.- Mais au-delà de ces particularités, les points communs se multiplient et la doctrine n’a donc pas cessé

d’appeler à la réunification des théories générales des contrats.