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Objectifs de la thèse

2. La Zone du Transition Mexicaine (ZTM)

2.1. La ZTM d’après Halffter et d’après Morrone

Une zone de transition est une zone de mélange d’espèces d’origines différentes. C’est en même temps une partie intégrante de chaque région, avec la pénétration différentielle des composantes biotiques d’une région dans l'autre (Ferro & Morrone 2014). La largeur d'une zone de transition peut dépendre des critères de l'auteur qui la décrit. Par exemple Wallace (1876) a considéré des sous-régions entières comme des zones de transition entre des régions biogéographiques. Malgré cela, la frontière d'une unité biogéographique de transition donnée est généralement établie comme le limite de cette région biogéographique. Les premières références faites à la Zone de Transition Mexicaine remontent à Heilprin (1887) et Dugès (1902). Egalement, Hoffman (1936) a noté la présence d’insectes des deux origines (néarctique et néotropicale) au Mexique, tandis que Darlington (1957) l’a nommée pour la première fois comme Zone de transition

de l’Amérique centrale et du Mexique. Halffter (1962) a formulé par la suite une théorie cohérente qui explique comment les ensembles de taxons qui ont évolué dans des zones géographiques différentes se sont assemblés dans la Zone de Transition Mexicaine.

La Zone de Transition Mexicaine (ZTM) correspond à une zone imbriquée où se chevauchent des éléments de flore et de faune d’origines néarctique et néotropicale (Fig. 3). Elle va du sud et sud-ouest des États-Unis jusqu’au Mexique jusqu’à une grande partie de l'Amérique centrale jusqu’aux plaines du sud du Nicaragua. La ZTM a fait l’objet de nombreux travaux, notamment de la part d’Halffter (1974, 1976, 1987, 2003 ; Halffter et al. 2008). La ZTM, plutôt que de se traduire par une limite biogéographique forte, correspond plutôt à une immense zone de chevauchement qui date du rétablissement de la connexion terrestre entre les deux Amériques par le pont du Panama, il y a 3,5 millions d'années, où chaque type de lignée s’est répandu selon les conditions géographiques et écologiques qui lui ont été le plus appropriées. Cette théorie a été développée progressivement, en suivant les idées initialement formulées par Halffter en 1962, et clarifiées et précisées par lui-même et d’autres auteurs.

En termes très généraux on peut distinguer, tant pour les éléments venant du nord que pour

ceux originaires du sud, une expansion ancienne qui s’achève au Plio-Pléistocène et une expansion moderne qui va du Pléistocène à nos jours et qui est toujours en cours (Kohlmann & Halffter 1990).

L’expansion ancienne a conduit à d’importants processus évolutifs in situ pour laquelle, cependant, il est possible d'établir les affinités phylogénétiques du biote venant soit du nord soit du sud. Cette vaste Zone de Transition présente une physiographie très particulière, résultat de l’histoire géologique complexe qui a prévalu depuis le Cénozoïque moyen. Les biotes de différentes origines spatiales et temporelles se sont réunis après que chacun ait trouvé des voies d’expansion

appropriées (les montagnes pour les uns, ou des corridors aux conditions tropicales pour les autres). Le fait que ces voies d’expansion présentent un arrangement nord-sud a été très important pour faciliter les déplacements faunistiques et floristiques face aux changements climatiques majeurs,

20 agissant en effet comme des corridors et non pas comme des barrières (Lobo & Halffter 2000). Il faut souligner également pour la ZTM l'énorme potentiel de différenciation allopatrique ou vicariante qui découle d'une topographie très complexe dans une zone tropicale.

Figure 3. Zone de Transition Mexicaine (ZTM), avec le chevauchement des Régions Néarctique et Néotropicale.

L'origine biotique mixte des scénarios macro-géographiques de la ZTM a son équivalent altitudinal dans les montagnes de la région. Les niveaux supérieurs sont occupés par des lignées originaires du Nord ou ayant des affinités avec celles-ci, les parties basses étant occupées par des lignées d'affinité néotropicale, avec dans la zone intermédiaire un mélange des deux avec une forte spéciation in situ (Halffter 1976, 1987; Llorente-Bosquets 1984 ; Zunino & Halffter 1988 ; Halffter et al. 1995 ; Lobo & Halffter 2000).

La ZTM n’est pas seulement influencée par les conditions géographiques et climatiques actuelles ; elle reflète aussi une histoire tectonique et biotique ancienne. Les massifs montagneux

que l’on trouve actuellement dans cette région sont dus à une intense activité volcanique entre le Miocène et le Pléistocène. Cette activité volcanique a conduit à la formation et l'élévation du Système Volcanique Transversal (SVT), ainsi qu’à l'isolement du Haut Plateau mexicain. Ces deux phénomènes, d'une grande importance biogéographique, marquent la division entre les distributions anciennes et modernes. Ces dernières se sont ajustées à des conditions géographiques similaires à celles qui prévalent actuellement.

21 Depuis l'Eocène, la ZTM est devenue progressivement plus aride avec, pendant les périodes interglaciaires du Pléistocène, une majorité de semi-déserts couverts d’une végétation xérique prédominante (Axelrod 1979).

Pendant les périodes glaciaires, au contraire, la végétation tempérée a présenté une extension maximale. Les discontinuités orographiques et climatiques de ce territoire, ainsi que les glaciations du Pléistocène, expliquent le développement d’îles biogéographiques au Mexique qui ont donné lieu à de nombreuses possibilités de spéciation. La communication avec l'Amérique du Nord a existé de manière constante depuis le Mésozoïque, bien que des barrières temporaires aient pu

exister, particulièrement à la latitude de l’isthme de Tehuantepec. En revanche, la communication

avec l'Amérique du Sud, et la possibilité d'immigration des éléments sud-américains, a été soumise à des conditions différentes et variables au fil du temps.

Halffter (1972, 1974, 1976, 1978, 1987, 2003) a proposé l'existence de cinq patrons de distribution principaux dans la ZTM. Un patron de distribution est la synthèse des caractéristiques

essentielles de la distribution d'un groupe d'organismes de même origine, provenant d’une zone et d’une période spécifiques, et qui coexistent et sont soumis aux mêmes pressions macro-écologiques pendant une période prolongée. Ces organismes vivent dans les mêmes conditions géographiques et par conséquent ont une histoire biogéographique commune. Ce concept de patron est une généralisation qui vise à en faire une unité de comparaison et de référence qui sert à analyser et confronter les particularités de la distribution de chaque taxon. Morrone (2005) définit les composants biotiques comme un ensemble de taxons intégrés spatialement et temporellement du fait de l'histoire commune qui caractérise les zones géographiques. C’est une définition qui rejoint la conception de Halffter telle que nous l’avons évoquée précédemment.

Morrone (2004a) a défini les zones de transition biogéographiques comme des frontières entre des régions biogéographiques. Il affirme que les zones de transition biogéographiques font

généralement référence aux frontières entre les régions biogéographiques, mais qu’elles peuvent

exister à d'autres niveaux hiérarchiques, tels que les sous-régions, les provinces ou même des districts (Ferro & Morrone 2014). Morrone (2004 a, b) a regroupé dans la ZTM sensu stricto les provinces suivantes : la Sierra Madre Occidentale, la Sierra Madre Orientale, le Système Volcanique Transversal (SVT), le bassin du Balsas et la Sierra Madre del Sur. Cette interprétation est limitée car la zone ainsi définie ne comprend que la composante d'origine nord (néarctique ou holarctique), en laissant la composante néotropicale en dehors la ZTM. Avec cela, non seulement il limite, mais il contredit au même temps la notion d’une Zone de Transition telle qu’il l’a définie lui-même.

Les huit patrons de dispersion de Halffter et de ses collaborateurs sont considérés comme des cénocrons (Llorente Bousquets 1996 ; Morrone 2005, 2010). Morrone (2009) définit un cénocron comme un assemblage de taxons qui partagent la même histoire biogéographique avec une origine et une histoire évolutive commune. Selon Morrone (2014c), seuls les patrons du Haut Plateau, Mésoaméricain de montagne, Néarctique et Néotropical pourraient être qualifiés de cénocrons, tandis que les quatre patrons Paléo-américains représentent plutôt le biote originel de la ZTM.

Les idées de Halffter ont été considérées comme une représentation classique de l’approche

22 Dans les années 60, les contributions de Halffter l’ont été sur les patrons de dispersion, qui ont évolué par la suite pour inclure la dispersion et la vicariance (Halffter 1987, Halffter et al. 1995). Contrairement à d'autres auteurs, qui pendant les années 1980’s avaient des opinions séparés entre soit la dispersion, soit la vicariance, Halffter et d’autres comme Reig (1962, 1981) et Savage (1966, 1982) ont choisi une «voie du milieu» qui prévoit le «modèle de dispersion-vicariance» que plusieurs auteurs (Brooks 2004 ; Lieberman 2004 ; Sanmartín & Ronquist 2004 ; Riddle et al. 2008 ; Crisci & Katinas 2009 ; Morrone 2009) ont encouragé au cours des dernières années. Au lieu de supposer que

c’est soit la dispersion, soit la vicariance qui pilotent seules l'évolution biotique, ce modèle de dispersion-vicariance suppose que les deux processus sont pertinents et doivent être analysés ensemble (Morrone 2015). La dispersion se produit normalement comme une condition préalable à la vicariance, ce qui veut dire qu’une fois que les biotes ont été identifiés, les cénocrons peuvent permettre de déterminer le moment de la dispersion des ensembles de taxons (Morrone 2009).

Selon Morrone 2015, les cénocrons mexicains identifiés constituent des hypothèses vérifiables. Plus d’études sont nécessaires pour pouvoir les vérifier, par exemple en datant des lignées sélectionnées en examinant leur place phylogénétique et la distribution de leurs taxons apparentés (Morrone 2014c). Des analyses futures pourraient aussi aider à identifier d'autres cénocrons ou à affiner ceux déjà décrits. Morrone (2015) conclut que la biogéographie évolutive est encore en phase de développement, en souhaitent que les idées de Halffter sur les zones de transition et ses idées sur les cénocrons aideront à élaborer une nouvelle synthèse.