Chapitre 1 : Du système sérotoninergique à la génèse du projet
2. L’imagerie Médicale
2.3. La Tomographie d’Emission Mono-Photonique (TEMP)
un paramètre similaire pour caractériser le devenir d’une source radioactive, le temps de demi-vie t½
spécifique à chaque radioisotope. L’activité suit une loi de décroissance exponentielle et l’on considère qu’après un temps égal à 10 fois la demi-vie, elle devient négligeable.
Les quelques notions physiques présentées permettent de faire le lien entre l’utilisation de la radioactivité et le domaine de l’imagerie médicale. Le parcours de radionucléides introduits dans l’organisme pourra être suivi en détectant les rayonnements émis par désintégration. Le choix du radioisotope reste cependant très restreint. Le rayonnement dégagé doit respecter une gamme énergétique : un rayonnement peu énergétique sera atténué par la traversée de différents tissus et donc non détectable tandis qu’un rayonnement trop énergétique risquerait d’irradier inutilement les organes avoisinant. La désintégration α par exemple ne sera pas utilisée en imagerie chez l’Homme. De plus l’activité introduite dans l’organisme doit être adaptée à la durée nécessaire du diagnostique. Le temps de demi-vie du radionucléide doit donc être suffisamment long pour pouvoir réaliser des images mais
surtout relativement court si l’on considère une durée égale à 10 fois t½ pour l’extinction du signal et
ainsi éviter des rayonnements inutiles. Une liste de radionucléides aux paramètres adéquats a donc été établie pour pouvoir aujourd’hui utiliser ce principe physique autour de deux techniques d’imagerie médicale.
2.3. La Tomographie d’Emission Mono-Photonique (TEMP) 2.3.1. Description et principes physiques
La TEMP dite aussi SPECT en anglais (Single Photon Emission Computed Tomography) est une technique d’imagerie nucléaire fondée sur le principe de la scintigraphie caractéristique des isotopes radioactifs émetteurs γ. L’isotope radioactif est introduit sur une molécule vectrice, capable de se lier sur la cible prédéfinie, pour créer un composé chimique radioactif que l’on nomme radiotraceur (ou radioligand). L’espèce radioactive est ensuite injectée dans l’organisme du patient, se distribue dans l’ensemble du corps et se fixe sur la cible à analyser. Par décroissance radioactive, le radioisotope émet une antiparticule ainsi qu’un rayonnement gamma, détectable et d’énergie spécifique. Le rayonnement produit est alors récolté par une gamma-caméra qui tourne autour du patient. Cette gamma-caméra, élaborée en 1957, est constituée d’un collimateur qui agit comme un filtre vis-à-vis des rayonnements que l’on cherche à étudier. Ce collimateur précède un scintillateur, un cristal de Iodure de Sodium dopé au Thallium capable d’absorber l’énergie du rayonnement émis et de réémettre par désexcitation un nouveau faisceau de photons lumineux. Ce rayonnement lumineux est ensuite converti en un signal électrique par effet photo-électrique grâce à un photomultiplicateur. Le signal électrique est amplifié par un système de dynodes, détecté, puis grâce à un algorithme complexe une
image tridimensionnelle est recréée (Figure 15). [54] 30
54
Chapitre 1 : Du système sérotoninergique à la génèse du projet
30
Figure 15 : Schéma du fonctionnement de l'imagerie TEMP
2.3.2. Radioligands dans la littérature
Le développement d’un radioligand s’appuie sur plusieurs expertises qui seront développées par la suite. Le Tableau 1 recense les principaux radionucléides utilisés aujourd’hui dans la littérature ainsi
que leurs propriétés physico-chimiques. [55]31
Radionucléide Temps demi-vie (
t
½)
Energie Source99m
Tc 6,02 jours 141 keV Na99Mo / Al2O3
111
In 2,80 jours 171 keV, 245 keV 111InCl3
123
I 13,2 heures 159 keV Na123I
133
Xe 5,20 jours 31 keV, 81 keV -
201
Tl 3,04 jours 71 keV 201TlCl
Tableau 1 : Principaux radionucléides utilisés pour l'imagerie TEMP
55
Delacroix, D.; Guerre, J.-P.; Leblanc, P. Guide pratique radionucléides et radioprotection : manuel pour la manipulation de substances radioactives dans les laboratoires de faible et moyenne activité; EDP Sciences, 2006.
Chapitre 1 : Du système sérotoninergique à la génèse du projet
31
En France, 31 composés radio-pharmaceutiques ont une AMM pour un usage diagnostique en
imagerie TEMP. [56] Parmi les composés marqués à l’iode-123 le [123I]MIBG, utilisé en oncologie
pour la détection de neuroblastomes et de phéochromocytomes, est à l’heure actuelle, le radioligand le
plus utilisé pour l’imagerie TEMP. [57] Le [123I]Ioflupane, développé par la société GE healthcare sous
le nom de DaTscanTM, est un analogue de la cocaïne capable de se fixer spécifiquement sur les
transporteurs présynaptiques de la dopamine (DaTs). Il est principalement utilisé en imagerie pour réaliser le diagnostic du syndrome Parkinsonnien et permet notamment de différencier les pertes
cognitives dues à la Maladie d’Alzheimer ou à la Démence à Corps de Lewy (DCL). [58] Enfin le
[123I]IMPY qui, contrairement aux deux premiers cités, n’est pas utilisable en clinique mais seulement
en recherche, permet la détection des plaques amyloïdes dans la Maladie d’Alzheimer. En raison de
son instabilité métabolique in vivo les essais cliniques se sont arrêtés en Phase I (Figure 16). [59], [60] 32
Figure 16 : Exemple de radioligands iodés pour l'imagerie TEMP
La conception de radio-pharmaceutiques contenant un métal de transition (Technétium-99m) ou un métal pauvre en électrons (Indium-111, Thalium-201) comme radionucléide est différente. Le métal ne pouvant être lié par une simple liaison covalente la création d’une capsule chélatrice est
nécessaire. Celle-ci peut être reliée à une molécule vectrice comme pour le [99mTc]TRODAT-1,
radiotraceur pour les transporteurs de la dopamine, [61] ou simplement servir de cage vectrice comme
l’illustre le [99mTc]HMPAO utilisé pour étudier le débit sanguin cérébral (figure 17). [62] L’utilisation
de ces radioligands est exclusivement réservée au domaine de la recherche.
Figure 17 : Exemple de radioligands au technétium 99m pour l'imagerie TEMP
56
Thériaque, http://www.theriaque.org/apps/recherche/rch_simple.php (consulté le 3 Mai, 2018).
57
Sharp, S. E.; Trout, A. T.; Weiss, B. D.; Gelfand, M. J. RadioGraphics 2016, 36, 258–278.
58
Djang, D. S. W.; Janssen, M. J. R.; Bohnen, N.; Booij, J.; Henderson, T. A.; Herholz, K.; Minoshima, S.; Rowe, C. C.; Sabri, O.; Seibyl, J.; Van Berckel, B. N. M.; Wanner, M. J. Nucl. Med. 2012, 53, 154–163.
59
Newberg, A. B.; Wintering, N. A.; Plössl, K.; Hochold, J.; Stabin, M. G.; Watson, M.; Skovronsky, D.; Clark, C. M.; Kung, M.-P.; Kung, H. F. J. Nucl. Med. 2006, 47, 748–754.
60
Ono, M.; Saji, H. Int. J. Mol. Imaging 2011, 543267.
61
Kung, H. F.; Kim, H.-J.; Kung, M.-P.; Meegalla, S. K.; Plössl, K.; Lee, H.-K. Eur. J. Nucl. Med. 1996, 23, 1527–1530.
62
Moretti, J.-L.; Defer, G.; Cinotti, L.; Cesaro, P.; Degos, J.-D.; Vigneron, N.; Ducassou, D.; Holman, B. L. Eur. J. Nucl. Med. 1990, 16, 17– 22. N O O 123I F N H NH NH2 123I N N N 123I [123I]MIBG [123I]Ioflupane [123I]IMPY N Cl 99mTc S N S N O N N N N O H O 99mTc O [99mTc]TRODAT-1 [99mTc]HMPAO
Chapitre 1 : Du système sérotoninergique à la génèse du projet
32
Enfin, le Xénon-133 peut être utilisé en recherche pour l’imagerie du cœur ou des poumons par
inhalation du radionucléide. [63]33
2.3.3. Radiotraceurs pour l’imagerie TEMP des récepteurs 5-HT4 centraux
Dans une revue de 2013 publiée dans le journal Medicinal Research Reviews exposant l’ensemble des radioligands développés pour les récepteurs sérotoninergiques, les auteurs établissent un cahier des
charges pour la conception de radio-pharmaceutiques in vivo visant les 5-HTR. [64] Un certain nombre
de facteurs sont pris en considération :
• La synthèse chimique et la pureté isotopique : l’incorporation du radionucléide doit se faire le plus rapidement possible pour éviter une décroissance radioactive trop importante. De plus le radioligand doit être d’une pureté optimale afin de ne pas entrer en compétition avec l’analogue non radioactif.
• L’affinité et la spécificité (Ki): le radioligand doit posséder une affinité envers la cible de l’ordre du nanomolaire. Une affinité plus importante rendrait la dissociation récepteur-radioligand plus complexe et engendrerait un dérèglement du récepteur. Une affinité moins importante rendrait une analyse in vivo plus courte et moins précise.
• La lipophilie (LogP ou LogD) : calculée (LogP) ou simulée (cLogP), ce paramètre physico-chimique estime la capacité d’une molécule à se solubiliser en milieu aqueux. Pour un radioligand cette valeur doit être comprise dans une gamme évaluée empiriquement afin de pouvoir passer la barrière-hémato-encéphalique tout en évitant un marquage non spécifique.
Les travaux réalisés indiquent un LogP inférieur à 3.5. [65] L’influence de ce paramètre sera
présenté plus en détail dans le seconde chapitre de ce manuscrit (Chapitre 2, § 1.3.).
• La stabilité métabolique : pour pouvoir réaliser une étude approfondie, le radioligand doit être stable in vivo suffisamment longtemps. Une fois métabolisés, il est nécessaire que les métabolites radiomarqués soient expulsés du cerveau rapidement afin de ne pas interférer dans l’acquisition de l’image.
• La pharmacologie : l’introduction du radionucléide ne doit pas modifier les propriétés du ligand. Substituer un atome d’hydrogène par un atome d’iode par exemple modifie d’une part la lipophilie et d’autre par l’encombrement stérique. L’étape préalable de design est primordiale.
63
Demedts, M.; De Roo, M.; Devos, P.; Billiet, L.; Cosemans, J. Eur. J. Nucl. Med. 1977, 2, 9–12.
64
Paterson, L. M.; Kornum, B. R.; Nutt, D. J.; Pike, V. W.; Knudsen, G. M. Med. Res. Rev. 2013, 33, 54–111.
65
Chapitre 1 : Du système sérotoninergique à la génèse du projet
33
Il existe aujourd’hui dans la littérature un seul radioligand pour l’imagerie TEMP des 5-HT4R
marqué a l’iode-123, le [123I]SB-207710. [66] Analogue iodé du SB-204070 (Chapitre 1, § 1.3.3),
l’évaluation biologique du composé non radioactif a montré que la substitution de l’atome de chlore
par un atome d’iode ne modifiait pas l’affinité du composé (Ki(h5-HT4R) = 0,008 nM). [67] Les auteurs
ont dans un premier temps marqué le SB-207710 avec de l’iode-125, radionucléide émetteur γ de faible énergie utilisé essentiellement en autoradiographie, pour l’injecter chez le rat et réaliser des études ex vivo. Les résultats ont montré une bonne corrélation entre l’activité radioactive détectée et la
présence de 5-HT4R. Pour aboutir à ces conclusions, les auteurs ont comparé leurs résultats avec une
précédente étude visant à déterminer la densité des 5-HT4R in vitro à l’aide du [3H]GR-113808
(Chapitre 1, § 1.3.3). [68] Le SB-207710 a ensuite été marqué à l’iode-123 afin de réaliser une étude in
vivo chez le primate. Les résultats ont indiqué d’une part que ce radioligand était capable de marquer
les zones riches en récepteurs 5-HT4, et d’autre part un marquage spécifique suite au déplacement du
radioligand par le SB-204070. Néanmoins, les auteurs ont pointé les limites de ce composé à savoir la difficulté à traverser la BHE ainsi qu’un signal trop faible pour réaliser une quantification in vivo. On peut aussi noter la faible stabilité métabolique due à la présence d’une fonction ester réduisant la durée
de vie in vivo du radioligand (Figure 18). 34
Figure 18 : Développement et évaluation du SB-207710, radiotraceur iodé pour l'imagerie TEMP des 5-HT4R
D’un usage limité en raison de la difficulté a franchir la BHE due a une lipophilie trop élevée, le
[123I]SB-207710 a néanmoins montré sa capacité à marquer les zones riches en 5-HT4R. L’introduction de l’atome d’iode pour l’imagerie est aussi responsable de l’augmentation de la lipophilie du radioligand. Ainsi, plusieurs groupes se sont penchés sur l’utilisation d’autres radioisotopes faisant appel à une seconde technique d’imagerie médicale.
66
Pike, V. W.; Halldin, C.; Nobuhara, K.; Hiltunen, J.; Mulligan, R. S.; Swahn, C.-G.; Karlsson, P.; Olsson, H.; Hume, S. P.; Hirani, E.; Whalley, J.; Pilowsky, L. S.; Larsson, S.; Schnell, P.-O.; Ell, P. J.; Farde, L. Eur. J. Nucl. Med. Mol. Imaging 2003, 30, 1520–1528.
67
Kaumann, A. J.; Gaster, L. M.; King, F. D.; Brown, A. M. Naunyn. Schmiedebergs. Arch. Pharmacol. 1994, 349, 546–548.
68
Waeber, C.; Sebben, M.; Bockaert, J.; Dumuis, A. Behav. Brain Res. 1995, 73, 259–262.
O O NH2 X O O N O O NH2 125I O O N O O NH2 123I O O N Marquage à l'iode-125 Etude ex vivo Marquage à l'iode-123 Etude in vivo
Marquage zones riches en 5-HT4R Spécificité Stabilité métabolique Pénétration BHE X = I, SB-207710 Ki(h5-HT4R) = 0,008 nM cLogP = 3,33 [125I]SB-207710 [123I]SB-207710 X = Cl, SB-204070 Ki(h5-HT4R) = 0,016 nM cLogP = 2,85
Chapitre 1 : Du système sérotoninergique à la génèse du projet
34
2.4. La Tomographie par Emission de Positrons (TEP)