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La théorie de Corydon en quatre dialogues

La première partie : Dans l’attente de Corydon

Chapitre 6 La théorie de Corydon en quatre dialogues

La théorie de Corydon en quatre dialogues :

Dans son Journal, Gide écrit : « On médite pendant des mois ; une idée, en vous, se fait chair ; elle palpite ; elle vit ; on la caresse ; on l’épouse ; on connaît ses contours, ses limites, ses déficiences, ses reliefs, ses retraits, à la fois sa généalogie et sa descendance (?). Que l’on vienne à présenter en public quelque exposé de cette méditation prolongée, aussitôt se lève un critique pour déclarer péremptoirement que vous n’y entendez rien, et cela au nom du bon sens, c’est-à-dire de l’opinion la plus générale, c’est-à-dire la plus conventionnelle, dont précisément votre effort était de vous dégager.318 »

Pour Gide, Corydon est une méditation prolongée sur le plaisir sexuel. Gide veut faire reconnaître une nouvelle théorie de l’amour : celle d’un aîné pour un adolescent, c’est à dire la pédérastie telle qu’elle était pratiquée en Grèce Antique comme étant une pédérastie normale.

C’est l’expression d’une relation complète et complexe entre un aîné et un novice, qui dépasse et de loin la simple relation sexuelle. Selon la conception de Gide, l’homosexualité doit être considérée comme un art et une forme philosophique. Pour Gide « La décadence d’Athènes commença lorsque les Grecs cessèrent de fréquenter les gymnases.319 » D’un point de vue contemporain Corydon ne défend qu’une seule forme bien précise de l’homosexualité : la pédérastie, tout en éliminant et condamnant ouvertement les cas d’inversion, d’efféminement, de sodomie.

À ce propos, Gide nous appelle à discuter avant de nous indigner : « Si seulement, au lieu de s’indigner, on cherchait à savoir de quoi l’on parle. Avant de discuter, l’on devrait toujours définir. La plupart des querelles développent un malentendu.

J’appelle pédéraste celui qui, comme le mot l’indique, prend des jeunes garçons. J’appelle sodomite(…) celui dont le désir s’adresse aux hommes faits. J’appelle inverti celui qui, dans la comédie de l’amour, assume le rôle d’une femme et désire être possédé.

Ces trois sortes d’homosexuels ne sont point toujours nettement tranchées; il y a des

glissements possibles de l’une à l’autre; mais le plus souvent, la différence entre eux est telle qu’ils éprouvent un profond dégoût les uns pour les autres; dégoût accompagné d’une répro-bation qui ne le cède parfois en rien à celle que vous (hétérosexuels) manifestez âprement pour les trois.320 »

318 GIDE André, Journal 1889-1939, op. cit., p. 670, 671.

319 GIDE André, Corydon, op. cit., p.119.

Ensuite Gide déclare sa pédérastie et son appartenance à la première catégorie des

homosexuels « Les pédérastes, dont je suis (pourquoi ne puis-je dire cela tout simplement, sans qu’aussitôt vous prétendiez voir, dans mon aveu, forfanterie ?), sont beaucoup plus rares, les sodomites beaucoup plus nombreux, que je ne pouvais croire d’abord. J’en parle d’après les confidences que j’ai reçues, et veux bien croire qu’en un autre temps et dans un autre pays il n’en eût pas été de même. Quant aux invertis, que j’ai fort peu fréquentés, il m’a toujours paru qu’eux seuls méritaient ce reproche de déformation morale ou intellectuelle et tombaient sous le coup de certaines accusations que l’on adresse communément à tous les

homosexuels.

J’ajoute ceci, qui pourra paraître spécieux, mais que je crois parfaitement exact : c’est que nombre d’hétérosexuels, soit par timidité, soit par demi-impuissance, se comportent en face de l’autre sexe comme des femmes et, dans une conjugaison en apparence normale, jouent le rôle de véritables invertis. 321»

Gide commence par affirmer que l’homosexualité est aussi naturelle que l’hétérosexualité et n’est donc pas, comme certains veulent le faire croire, un acte contre-nature. Selon lui, l’homosexualité peut donc être contre-coutume mais pas contre nature. Pour Corydon, l’amour est une construction humaine, la nature n’organise pas la rencontre sexuelle : le fameux instinct qui précipiterait irrésistiblement un sexe vers l’autre n’existe pas. « Ce n’est pas la fécondation que cherche l’animal, c’est simplement la volupté. Il cherche la volupté – et trouve la fécondation par raccroc.322 » Ce que Gide avance dans Corydon anticipe sur ce que les Gender studies nous présentent aujourd’hui. En effet d’après les Gender studies et les études gays et lesbiennes l'amour, comme tout autre sentiment, est un construction sociale. Le « genre », ainsi que les émotions qui sont généralement vues comme étant d'origine

physiologique, sont construites socialement.

En d’autres termes, l’homme, comme l’animal, est en constante recherche de la jouissance. Il peut trouver cette jouissance auprès des deux sexes, rien ne l’oblige donc à se tourner vers l’hétérosexualité. Il résulte de tout cela que la pédérastie est naturelle et que « la Nature doit user d’expédients et d’adjuvants pour assurer la perpétuation de la race.323 »

Dans cette perspective, le penchant à se satisfaire entre hommes résulterait d’une certaine liberté, d’une santé qui ménagerait un compagnonnage sans arrière-pensées, d’une beauté sans artifice alors que l’attrait féminin emprunte, lui, de plus en plus, aux cosmétiques destinés à

321 Ibid. p. 671.

322 GIDE André, Corydon, op. cit., p.48.

323 De Gourmont Jean, Mercure de France, 1er octobre 1924, pp. 170-6. Repris dans le BAAG, n° 55, janvier 1982, pp. 409-14.

arranger la nature pour entretenir un appétit pourtant dit « instinctuel » et à un sentimentalisme devenant vite outrancier.

Pour exposer cette théorie, André Gide engage son porte-parole Corydon à dialoguer avec son visiteur pour éclairer ses jugements sur l’homosexualité. D’un côté, en prenant le rôle de Corydon, Gide prend la défense de la pédérastie par la voix de son personnage à la première personne, puis il abandonne ce procédé en prenant le rôle de l’homme normal qui fait à l’homosexuel des objections, voire le raille parfois. Les premières pages de Corydon

renvoient aux préjugés de la société dominée par les normes de l’hétérosexualité. Le visiteur de Corydon a décidé d’aller le voir pour éclairer son jugement sur la question de l’uranisme. Il voulait lui parler des "penchants dénaturés" et savoir « ce qu’il trouvait à dire pour les excuser.324 »

Premier dialogue

Le premier dialogue se divise en trois parties que nous allons lire successivement. Dès la première partie du premier dialogue Gide nous invite à composer un jugement équitable et à ne pas nous laisser guider par nos préjugés sur l’homosexualité. Gide tient à nous décrire Corydon comme « un garçon plein de flamme, doux et fier à la fois, généreux, serviable, dont le regard déjà forçait l’estime.325 » Dans l’édition de 1911 « Corydon est doux, spirituel, obligeant, généreux, bien né ; parfois il me prend des regrets d’avoir dû rompre avec lui, mais qu’y faire ? Corydon a de mauvaises mœurs. Sur ce point je ne peux ni ne veux rien entendre. J’ai l’esprit large, on le sait; on m’a vu serrer la main et parler à

d’avérés filous [... ] avec ceux-ci je peux enfin m’entendre avec les pédérastes, point ; il n’y a plus auprès d’eux estime ou amitié qui tienne ; à la première insinuation que le monde hasarda contre Corydon, je ne cherchai pas à le défendre : je rompis.326 »

Gide garantit la compétence de Corydon dans le domaine médical « Ses études de médecine avaient été des plus brillantes et ses premiers travaux remporté l’applaudissement des gens de métier.327 » Faire de Corydon un médecin, c’est comme le souligne Alain Goulet « lui donner l’autorité de s’opposer au discours médical de l’époque, qui stigmatise et condamne.328 »

324 GIDE André, Corydon, op. cit., préface du premier dialogue. p.15.

325 Idem.

326 GIDE André, Corydon, texte de 1911, cité par Patrick Pollard, dans GOULET Alain, André Gide, Corydon,

Si le grain ne meurt, les Faux-monnayeurs, regards intertextuels, op. cit., p. 64. 327 GIDE André, Corydon, op. cit., p. 15.

En pénétrant dans l’appartement du Dr Corydon, le visiteur commence à chercher partout mais « en vain 329 » des « Marques d’efféminement330 » certainement parce que la pédérastie, est selon Gide loin de tout trait d’efféminement.

Le visiteur constate le goût spécifique de Corydon pour l’Art en observant dans son bureau une reproduction du tableau de Michel-Ange La création d’Adam. Cette fresque a plusieurs interprétations, son choix par Gide est très significatif. D’abord en évoquant Michel Ange, l’artiste italien dont les penchants sexuels sont proches de ceux de Corydon. Ensuite, Gide évoque la Renaissance. C’est à partir de la Renaissance que l’amour des garçons retrouva une place de choix dans la littérature, la peinture et la sculpture. Cette Renaissance, qui se fit sur la base des textes antiques, gagna l’ensemble de l’Europe au XVIe siècle et eut comme origine la Renaissance italienne : une Pré-Renaissance qui se produisit dans plusieurs villes d’Italie dès le XIVe siècle, et se propagea au XVe siècle dans la plus grande partie de l’Italie. Dans la peinture Michel Ange, amoureux du corps masculin, brilla. Ses sculptures (David 1500), peintures et dessins tout comme ses poèmes scandèrent avec une puissance divine la force du désir. L’homoérotisme qui présente l’exaltation de la beauté masculine, le désir du même sexe sans le passage à l'acte sexuel se retrouve au sein de l’art. L’orientation homo-érotique est révélée, entre autres, par le moyen du rattachement à de célèbres mythes culturels. L’exemple le plus fréquent est certainement le rapt de Ganymède331 par Zeus332, représenté par d’innombrables artistes parmi lesquels Michel-Ange. Il est fait mention de Ganymède, plus haut, qui servait aussi à désigner l’amant plus jeune dans une relation pédérastique, référent homosexuel chez William Shakespeare 1616) et Christopher Marlowe (1564-1593). Michel Ange, dans son œuvre, ne cessa pas de montrer l’exaltation et la glorification du corps masculin.

On peut ensuite attribuer une deuxième signification à la fresque de La création d’Adam « La création de l’élément mâle a été le premier jeu, le premier sport de la nature.333 » C’est la théorie du Gynécocentrisme de Lester Ward, dont Corydon parle dans le deuxième dialogue. C’est l’une des plus célèbres fresques du monde ; elle représente Dieu insufflant la vie à Adam, le premier homme sur terre, entièrement nu. Elle rappelle toute l’histoire de la création du monde, celle de l’homme, de la femme, leur faute et leur expulsion du paradis terrestre. Le choix de la fresque est commenté par le visiteur de Corydon « Corydon professe un certain

329 Idem.

330 GIDE André, Corydon, op. cit., préface du premier dialogue. p. 16.

331 Dans la mythologie grecque, Ganymède est l’amant de Zeus et l’échanson des dieux.

332 Zeus roi des dieux, règne sur le ciel et a pour symboles l'aigle et le trait de foudre. Fils de Cronos et de Rhéa, il est marié à sa sœur Héra. Il est le père de plusieurs dieux et de très nombreux héros.

goût pour l’œuvre d’art, derrière lequel il eut pu s’abriter si j’avais été m’étonner du choix du sujet spécial. 334 (sic) »

Le visiteur cherchant un "prétexte" pour engager l’entretien avec Corydon, aperçoit le portrait de Walt Whitman, qui figure sur la traduction qu’en donne Léon Bazalgette335.

Bazalgette tire Walt Whitman qui est un pédéraste selon Corydon vers l’hétérosexualité. En effet André Gide s’indignait de la traduction des Feuilles d’herbe de Walt Whitman faite par Léon Bazalgette, qui effaçait toute allusion homosexuelle à la vie de Whitman. Gide avait convaincu Jean Schlumberger de proposer avec lui une nouvelle traduction plus fidèle « Pour Whitman, il me semble que ce qui me choque dans cette publication, c’est l’idée qu’en de tels temps nous pourrions[…] prendre attitude de manifestants en faveur d’une cause qui nous semble vitale à nous personnellement mais qui ne peut être en ce moments-ci qu’une raison de désarroi pour le pays. Il va s’agir de reconstruire la France ; (…) il y a quelques chose d’indécent, au moment où chacun donne si libéralement sa vie, où tant de pauvres garçons vont se trouver mutilés, défigurés, privés à jamais de toute joie amoureuse, il me semble, dis-je, indécent que nous reformions aussitôt notre cohorte pour la défense de nos propres intérêts sentimentaux. 336»

Tout ce que Corydon soutient dans l’œuvre de Gide est en opposition avec le travail de Bazalgette : « — Je prépare un article sur Whitman, une réponse à l’argumentation de

Bazalgette.337 » Corydon présente son syllogisme « — Whitman peut être pris comme type de l’homme normal. Or Whitman était pédéraste. — Donc la pédérastie est un penchant

normal.338 »

Nous arrivons à la deuxième partie qui aborde l’histoire d’Alexis B. et de Corydon son aimé. Le personnage de Corydon provient des Eglogues339 du poète romain Virgile. Alain Goulet s’exprime sur le choix du nom de Corydon « Comme pour Philoctète ou Amyntas, le titre de

Corydon témoigne de la manière dont Gide vit avec sa culture classique aussi bien que

334 GIDE André, Corydon, op. cit., dialogue I, p. 16.

335 Léon Balzagette (1873-1928). Ce poète américain est celui qui facilite à tous l’accès à l’esprit et aux œuvre s de Walt Whitman. En 1908, il publie Whitmann, l’homme et l’œuvre, puis en 1909, la traduction des Feuilles

d’herbe du Walt Whitman. « C’est à Bazalgette que nous devons d’aimer Whitmann » confiera Duhamel dans Propos critiques, Figuière, 1912.

336 André Gide- Schlumberger, Correspondance, Paris, Gallimard, 1993. pp. 604, 605, Lettre de Gide, 6 juin 1916.

337 GIDE André, Corydon, op. cit., p. 18.

338 Ibid. p. 17.

339 Le terme faisait référence à l’origine à des suites de poèmes courts de genre indifférent, odes, épîtres, satires, épigrammes, bucoliques, etc., à des extraits de recueils d’auteur. Les Anciens appelaient « églogues » les poèmes du recueil de Virgile intitulé les Bucoliques et les poètes latins postérieurs à Virgile prirent l’habitude d’appeler leurs propres poèmes bucoliques « églogue », par référence au célèbre poète d’Auguste et Mécène. De là serait venu l’emploi du mot églogue dans le sens de poème pastoral, et l’identification de ce mot avec celui de « bucolique ».

biblique, du latiniste qui se promenait avec son Virgile en poche, lisant en latin la deuxième églogue des Bucoliques, à laquelle il a déjà emprunté l’épigraphe du Traité du Narcisse et qui présente le berger Corydon soupirant pour le bel Alexis, jetant ses plaintes aux monts et aux forêts « Ô cruel Alexis, tu dédaignes mes chants : point de pitié pour moi. Tu veux donc que je meure ? » Dans ces poésies pastorales apparaissent Ménalque, Mœlibée, Tityre, autant de noms qui parcourent l’œuvre de Gide. Quant au bel Alexis, on le retrouve dans la confession de son Corydon. Signalons que, déjà au XVIIIe siècle, le nom de Corydon était couramment associé à l’homosexualité, ce que montre par exemple une épigramme de Voltaire visant l’abbé Desfontaines, traducteur de Virgile et condamné pour sodomie.340 » Mais

contrairement à la version de Virgile, Gide effectue quelque transformations. D’abord, dans le deuxième Eglogue, il s’agit d’une plainte "monologique" : Corydon, qui brûle de désir pour Alexis, décrit sa passion malheureuse. Corydon conclut que son amour pour Alexis est naturel et inévitable, comme il l’est chez les animaux. Dans la réécriture gidienne c’est Alexis qui aime Corydon, le fiancé de sa sœur, l’homosexualité se met à exister au sein de la famille. Ayant peur d’une consommation « d’impur341 » entre eux, Corydon est sévère avec Alexis. « Alexis, pensant qu’il fut rejeté à cause des ses habitudes et de sa nature « monstrueuse 342 » se suicida par désespoir d’amour.343 » Ce processus aboutit à une destruction de la future famille, en l’occurrence la séparation du frère et de la sœur avec Corydon.

Corydon est convaincu par ce que l’abbé Gallieni disait : « L’important, écrivait-il à Mme d’Epinay, — l’important n’est pas de guérir, mais de vivre avec ses maux.344 » Pourtant Corydon regrette ne pas guérir cet enfant, mais à sa manière :

« — Averti, qu’auriez-vous donc fait ? — Je crois que j’aurais guéri cet enfant.

— Vous disiez tout à l’heure qu’on ne guérissait pas de cela ; vous citiez le mot de l’abbé : « l’important n’est pas de guérir… .

— Eh ! Laissez donc ! J’aurais pu le guérir comme je me suis guéri moi-même. C’est à dire ?

— En le persuadant qu’il n’était pas malade.

— Dites tout de suite que la perversion de son instinct était naturelle.

— En le persuadant que la déviation de son instinct n’avait rien que de naturel.345 »

340 GIDE André, Romans et récits, Tome 1, op. cit., Corydon, Notices, 2009. p. 1163.

341 GIDE André, Corydon, op. cit., p. 25.

342 Idem.

343 Claude Courouve souligne dans, les vicissitudes de Corydon, que ce drame a été inspiré par des faits réels, et par un petit récit, non publié, de l’ami Henri Ghéon, L’Adolescent, texte que Gide avait pu lire en 1907.

Ainsi, Corydon insiste sur le caractère naturel de ces penchants et termine cette partie du dialogue en émettant un souhait « …j’ai souhaité guérir d’autres victimes, souffrant du même malentendu : les guérir à la manière que j’ai dit.346 »

Pour Gide, l’homosexualité n’est pas une maladie. Dans une lettre à son ami Rouart, il affirme combien l’homosexualité participe de l’épanouissement de son être « […] je ne suis pas du tout misérable. Je me sens au contraire, sans cesse, plus joyeux que les autres hommes, et j’ai la prétention malgré tout d’avoir une vie en laquelle, plus tard, en m’y penchant pour m’y voir, je puisse me trouver beau. […] Je ne veux pas avoir honte. Mais, je le sens à présent mon ami, il va nous falloir de bien robustes épaules, et des convictions, car tu le sais : je ne veux pas d’hypocrisie ; elle est un suicide ― et montre que nous ignorons notre valeur.347 » Corydon entend donc «guérir d’autres victimes, souffrant du même malentendu348 » que celui dont Alexis souffrait en les persuadant de la naturalité de leurs habitudes et de leur nature. Chez Virgile Alexis vivait ; chez Gide, il se suicide. À ce propos Lawrence R. Schehr

souligne : « Corydon tout entier dépend de la mort de l’autre et de l’impossibilité de dialoguer avec l’être aimé, avec le fait que l’autre a toujours écrit. Car Alexis laisse derrière lui une lettre que l’on a lue mais qui ne sera pas relue ; c’est à dire, ni le narrateur ni le lecteur de

Corydon n’y aura accès. (sic) Alexis ne donnera de compte rendu ni de sa vie ni de sa mort et

ne pourra jamais justifier son amour. Sa lettre devient un objet à voir, pas un objet à lire ; son écriture devient image (et pas texte) et rejoint par la d’autres textes illisibles devenus Images : l’œuvre de Wilde, honnie, ou celle de Whitman. 349 »

Pour Lawrence R. Schehr, dans Corydon, la lettre d’Alexis le remplace, et ce n’est pas par hasard que la lettre se trouve au chevet du lit de Corydon : « Voici la lettre qu’au chevet de mon lit je trouvai. » Lawrence R. Schehr ajoute : « Par son écriture (par sa main), Alexis mort (par sa main), sera en quelque sorte capable de poursuivre au niveau imaginaire les rapports qu’il souhaitait avoir avec Corydon. Le travail de deuil chez Corydon, la guérison d’Alexis qui n’aura pas lieu, sera la réponse de celui qui reste à celui qui est mort : le discours de Corydon sera la traduction de son amour pour le défunt. En outre, Gide rappelle Virgile en forçant la syntaxe du texte français.350 » Chez Gide l’écriture se substitue au corps du

mort « Gide écrit pour indiquer que le corps vivant n’est plus présent ; mieux vaut-il avoir de

345 Ibid. p. 27.

346 Ibid. p. 28.

347 André Gide–Rouart, Correspondance, septembre 1894, I, septembre 1894, p. 187.

348 GIDE André, Corydon, op. cit., p. 28.