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II. CORRESPONDANCE ENTRE LES FORMES DE LA LITTÉRATURE ORALE ET

II. 2. La symbolique du noeud dans l'esthétique koongo

Dans l'esthétique occidentale, la vérité est souvent synonyme de dévoilement, au niveau philosophique cette question est connue et traitée67. Dans l'esthétique koongo, il convient plutôt de concevoir qu'il y a dénouement. Cet aspect commence seulement à s'exprimer dans certains travaux tant la profusion des nœuds (zita) est explicite au niveau esthétique (figure 19).

vue de détail de la jambe

© musée du quai Branly

Figure 19 : Nkisi, « Statuette rituelle au pied-bot et clous » [71.1892.52.22]

Cette entrave s'applique aussi bien à une communauté villageoise qu'à une personne humaine68 au sens où le corps humain, le corps social ou l'objet rituel s'affectent,

s'infectent et se désinfectent de façon similaire : le pied bot replié sur lui-même par exemple, nœud anatomique, signale la monstruosité sacré ou mbi. Rapporter à ce qui se donne à voir dans le corpus, je formule l’hypothèse que cette typologie de nœuds n'ayant pas le même nom suivant les circonstances, n'a a priori pas le même sens non plus.

L'idée de noeud sémantique fut à l'origine inspirée par une maxime populaire recueillie dans le premier tiers du XXe siècle :

Diavova nua onsinga wayikanga

« La parole qui sort de la bouche est une corde qui se lie d'elle-même. »69.

67 M. Heidegger, Essais et conférences, Paris, Gallimard, 1958, pp. 312-313. 68

Voir à ce propos W. MacGaffey, op. cit., p. 13 et N. J. Snoep, Recette des dieux: Esthétique du fétiche, Paris, Actes sud, 2009, p.11.

69 R. Wannyn, Les proverbes anciens du Bas-Congo (notés en 1936 dans la langue orale), Bruxelles, édition du Vieux Planquesaule, 1988, (Deuxième Série), p. 59.

Ci-dessus, c'est le verbe kànga qui est utilisé afin de signifier ce que noue la parole. L'administration d'un remède par un-e praticien-ne traditionnel-le ngàngà est également kànga70. Toujours dans une dimension religieuse, il y a cette devinette (ki-

mpá) :

Q. - Funda dyakanga Nzambi (un paquet attaché par Dieu).

R. - Nkandi (le palmiste)71

Ainsi que sa variante consacrant la mystique du noeud et l'analogie symbolique entre la botanique et l'anatomie humaine en l'occurrence le nombril et la noix de palmiste :

« Le petit paquet que Nzambi a ficelé ne se défait pas. Qu'est-ce ? Le nombril! »72

Zita, autre type de nœud, désigne « un paquet, un tas » (Nsondé, 1999) qui rappelle

certains types d'objets (figure 20) mais aussi le « lien du mariage » (zita di longo), ou encore « le nœud de la question » (zita di mambu)73.

Figure 20 : Nkisi,

« Paquet rituel à la douille blanche »

[71.1892.70.23]

© musée du quai Branly

Enfin ma-kolo, du singulier kolo signifiant « noeud, articulation (de végétaux) »74 prend un tout autre sens dans le cadre d'une situation matrimoniale problématique ou complexe. La forme sentencieuse Nzò, nkisi makolo - littéralement le foyer ou la famille est nkisi des noeuds - signifie peut-être que le foyer (nzò) est une allégorie du noeud-porte-monnaie (ma-kolo) du pagne féminin, ou bien que le foyer est la quintessence de la cristallisation des situations noueuses. Le foyer (nzò), et par

70 O. Stenström, op. cit., pp. 63-64.

71 M. Soret, Les Kongo Nord-occidentaux, Paris, PUF, 1959, pp. 30-31

72 J. Van Wing, Études Bakongo, op. cit., p. 297; également pour le lien entre anatomie humaine et symbolique botanique : « La forêt que Nzambi a plantée repousse toujours. Nommez-la. Les cheveux ! »

73 R. Butaye, op. cit. 74

extension l'union matrimoniale, est le lieu par excellence de l'alliance de deux

kaandá, à travers la coexistence de l'homme et de la femme. Nombre de consultations

auprès des praticiens ngàngà visaient à dénouer des problèmes relatifs à la stérilité et à la fécondité. Sur la statuaire, à l’inverse des « mambu cloués », kolo soit le nœud en tant que mambu noué signifierait la résolution d’un problème75.

L'analyse à la loupe binoculaire76 du « réceptacle rituel oblong en vannerie » collecté dans le Loango à la fin du XIXe siècle (figures 21 a-b-c-d-e) révèle une infrastructure dans laquelle le nœud tend vers l'infiniment petit :

© musée du quai Branly, photo Patrick Griès

Figure 21a : Nkisi, « Réceptacle oblong en vannerie » [71.1892.70.28]

Figures 21 b- 21c : détails à la loupe binoculaire [71.1892.70.28]

« Les brins sont reliés entre eux par des nœuds qui enferment par endroits des plumes d'oiseaux et qui sont parfois recouverts de toiles d'araignées. »77

75

R. Farris Thompson, op. cit., p. 52.

76 P. Richardin, V. Mazel, Compte-rendu d'étude C2RMF (FZ 33593), Centre de Recherche et de Restauration des musées de France, 2004, p. 2.

77

Figures 21d – 21 e : détails à la loupe binoculaire [71.1892.70.28] Source des clichés à la loupe binoculaire : P. Richardin, V. Mazel, Compte-rendu d'étude C2RMF (FZ 33593), Centre de

Recherche et de Restauration des musées de France, 2004, p. 2.

Dans le Pool, une espèce d'araignée carnivore est précisément appelée Mukanga-bumi (ctenidae), elle tient justement le rôle de praticien-ne ngàngà dans un conte (ki-

nsámu) très populaire : Nkééngé ndééké (la cadette) et Nkééngé m’kuluntu (l’aînée).

Je veux y voir une référence au verbe kangà signifiant autant l'action d'administrer un remède que celle d'entraver, avec lequel cette exégèse du nœud dans l'esthétique koongo a commencé. Ainsi la personne qui délivre une parole rituelle, tout comme celle qui sculpte, qui noue ou assemble, consacre, produit des nœuds sémantiques mais doit également proposer des remèdes qui sont les conditions de possibilité d'un dénouement du sens (bangula), comme le dit l'adage qui est l'énonciation d'un principe de l'herméneutique koongo :

Wa ta ngána, bangula ! Qui prononce ngána, doit divulguer tout son sens !

Je précise que bangula, plus qu'un éclaircissement, décrit l'action de décortiquer comme on fait de la cosse d'une arachide ou bien d'une graine qu'on libère de sa gangue, que l'on dénude.

II. 3. L'ob-scène et la dialectique de l'ouvert et du fermé dans