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B. Catalyse homogène et chimie bio-inspirée

III- La sulfoxydation énantiosélective de thioéthers

III-1. Avec des complexes mononucléaires de fer non héminique

Depuis une vingtaine d’années, les sulfoxydes énantiopurs connaissent un vif intérêt en synthèse et catalyse asymétriques suite à la découverte faite au début des années 1980 selon laquelle ces molécules optiquement actives sont de très bons auxiliaires chiraux. De plus, ils entrent dans la composition de nombreuses substances bioactives, notamment médicamenteuses, comme l’oméprazole qui est l’un des médicaments les plus vendus au monde.83 C’est la raison pour laquelle de nombreuses méthodes de catalyse d’oxydation asymétrique de thioéthers ont été développées. Celles utilisant des complexes de titane,84a d’aluminium,84b de vanadium,84c et de manganèse84d ont été les plus étudiées, contrairement aux complexes de fer, bien que ce métal soit plus abondant (donc peu cher) que ceux utilisés dans ce domaine. Le peu de cas où des catalyseurs à base de fer ont été développés font intervenir des porphyrines de fer possédant des structures complexes, et qui requièrent l’iodosylbenzène ou des alkylhydroperoxydes comme oxydants, et n’apportent que des excès énantiomériques modérés (< 50%).

Cependant, en 2003, Bolm et coll. ont mis au point un procédé catalytique permettant l’oxydation rapide de thioéthers avec une bonne énantiosélectivité (max. 90% ee). Cette méthode a consisté en la formation in situ d’un catalyseur à base de fer à partir de [FeIII(acac)3] et de ligands dérivés du (S)-tert-leucinol 1 (Schéma I-26).85

Schéma I-26. Système catalytique de Bolm et coll. à base de FeIII effectuant l’oxydation asymétrique de thioéthers en sulfoxydes.

Ce procédé possède des avantages, et ce, à bien des égards. En effet, il permet de travailler à température ambiante et à l’air en utilisant le peroxyde d’hydrogène comme oxydant. De plus, le complexe [FeIII(acac)3] est commercial et peu cher. Pour ce qui est des

ligands de type 1, ils sont facilement synthétisables à partir de l’aminoalcool correspondant et des dérivés du salicylaldéhyde.

Les ligands 1a-c n’ont pas permis d’atteindre de très bonnes énantiosélectivités avec le thioanisole comme substrat (ee = 26% avec 1a, 13% avec 1b, et 23% avec 1c). Par contre, avec les ligands 1d et 1e ayant des substituants halogénés sur le cycle aromatique, l’énantiosélectivité est bien meilleure (ee = 55 et 59%, respectivement). En faisant varier les substrats et en utilisant uniquement 1e comme ligand, de très bonnes énantiosélectivités ont été atteintes (ee = 70% pour le 2-naphtylméthylsulfure, 78% pour le para- bromophénylméthylsulfure, et 90% pour le para-nitrophénylméthylsulfure). Qui plus est, aucune sulfone n’a été détectée lors de la réaction, ce qui démontre que les énantiosélectivités obtenues ont résulté directement d’une oxydation asymétrique du substrat, et non d’une résolution cinétique par suroxydation du sulfoxyde.

Bien que ce procédé ait permis d’effectuer des catalyses de sulfoxydation asymétriques avec de très bons excès énantiomériques, les rendements ont été relativement faibles (15-44%). De plus, aucune investigation pour la compréhension du mécanisme n’a été

menée. Toutefois, ces travaux sont prometteurs pour le développement de nouveaux catalyseurs d’oxydation à base de fer.

Bryliakov et coll. ont publié, en 2004, leurs travaux sur deux complexes de fer possédant des ligands tétradentates de type salen pour effectuer la catalyse de sulfoxydation asymétrique de thioéthers avec l’iodosylbenzène comme oxydant (Schéma I-27).86

N N O O FeIII Cl (R,R)-1a Ph Ph N N O O FeIII Cl (S,S)-1b * * * * R S R' R S R' O Complexe 1 PhIO (1,1 eq.) * R S R' O O +

Schéma I-27. Catalyseurs à base de FeIII utilisés pour la sulfoxydation énantiosélective.

Ces systèmes catalytiques se sont révélés efficaces en termes de conversion et de chimiosélectivité vis-à-vis de l’oxydation de différents thioéthers. Par contre, les valeurs des excès énantiomériques sont variables. Par exemple, pour l’oxydation du thioanisole (R = Ph et R’ = Me) avec (R,R)-1a dans le dichlorométhane, la conversion est de 74% avec une chimiosélectivité de 99% en faveur du sulfoxyde, mais l’énantiosélectivité est très faible (ee = 20%). Néanmoins, lors des oxydations du para-bromophénylméthylsulfure (R = p-BrPh et R’ = Me) et du benzylphénylsulfure (R = PhCH2 et R’ = Ph) catalysées par (R,R)-1a, de

bonnes valeurs pour les excès énantiomériques sont obtenues (ee = 41 et 58%, respectivement). Curieusement, en passant du dichlorométhane à l’acétonitrile comme solvant, et en utilisant le même complexe, l’oxydation du benzylphénylsulfure apporte un ee de 62% avec 95% de conversion pour le sulfoxyde correspondant. Quant au complexe (S,S)-1b, il n’a été testé qu’en oxydation du para-bromophénylméthylsulfure et du benzylphénylsulfure dans l’acétonitrile. Pour ces deux substrats, le taux de conversion est

sensiblement le même (90% pour le premier et 91% pour le second), et la chimiosélectivité est de 90% pour le premier et de 85% pour le second. L’oxydation du benzylphénylsulfure s’est faite avec une meilleure énantiosélectivité que celle du para-bromophénylméthylsulfure (ee = 62 et 43%, respectivement).

Cependant, les oxydations catalysées par les deux mêmes catalyseurs en employant d’autres oxydants (peroxyde d’hydrogène, tBuOOH, NaOCl et m-CPBA), n’ont donné aucune énantiosélectivité. De plus, aucune réaction n’a eu lieu avec l’hypochlorite de sodium concernant le benzylphénylsulfure.

Bryliakov et coll. se sont aussi investis dans des études mécanistiques à l’aide de la RPE et de la RMN 1H. Ces travaux ont mis en évidence l’intervention d’un intermédiaire [FeIII(salen)(OIPh)] lors de l’oxydation des thioéthers catalysée par les complexes (R,R)-1a et (S,S)-1b.

En 2007, Katsuki et coll. ont élaboré des complexes de fer de type Fe(salan) pour effectuer la catalyse de sulfoxydation énantiosélective, et ce, dans l’eau avec comme oxydant du peroxyde d’hydrogène (Schéma I-28).87

Schéma I-28. Complexes Fe(salan) comme catalyseurs de l’oxydation énantiosélective du

thioanisole.87

Ces catalyseurs chiraux ont permis d’accéder à de bons rendements en sulfoxydes et à de très bons excès énantiomériques (Rdt = 89% et ee = 88% avec le complexe 3, Rdt = 91% et ee = 96% avec le complexe 4). Quant au complexe 5, il s’est avéré être peu efficace en termes de rendement et d’énantiosélectivité (Rdt = 21% et ee < 5%). Ces travaux ont montré que le complexe 4 est le catalyseur avec lequel les meilleurs rendements en sulfoxydes sont obtenus,

avec de très bonnes énantiosélectivités. Ainsi, a-t-il été utilisé pour des expériences d’oxydation asymétrique sur une gamme variée de thioéthers (Schéma I-29).87

Schéma I-29. Oxydation asymétrique de différents thioéthers catalysée par le complexe 4.

Ces études ont mis en exergue que la sulfoxydation de thioéthers possédant un groupement aromatique substitué en position ortho, produit extrêmement peu de sulfones permettant d’accéder à des réactions très chimiosélectives tout en étant très énantiosélectives

Des analyses en RMN 1H du système 4/thioéther/D2O ont montré un élargissement des

pics correspondant au thioéther, indiquant la coordination de celui-ci sur le fer du complexe.

III-2. Avec des complexes dinucléaires de fer non héminique

Au début des années 1990, des complexes dinucléaires de fer non héminique possédant une structure inspirée du centre actif de la méthane monooxygénase (MMO) ont montré des capacités catalytiques d’oxydation. En 1997, Fontecave et coll. ont mis au point le complexe [Fe2O(PB)4(H2O)2](ClO4)4, où le ligand PB est une bipyridine sur laquelle est

Schéma I-30. Catalyse d’oxydation d’alcanes et d’oxydation énantiosélective de thioéthers

avec le complexe [Fe2O(PB)4(H2O)2](ClO4)4.

Ce complexe s’est révélé apte à catalyser l’oxydation énantiosélective de thioéthers avec l’obtention de très bon rendements sans production de sulfone (78% de rendement pour la sulfoxydation du diméthylsulfure, 68% pour l’oxydation du para-tolylméthylsulfure, 90% pour celle du para-bromophénylméthylsulfure et 100% pour celle du thioanisole) ; ces réactions s’effectuant à -15°C avec le peroxyde d’hydrogène comme oxydant. Toutefois, les valeurs des excès énantiomériques sont assez faibles (ee = 21% pour l’oxydation du thioanisole, 28% pour celle du para-tolylméthylsulfure et 40% pour celle du

para-bromophénylméthylsulfure).

Il n’en reste pas moins que ce complexe dinucléaire de fer possède des propriétés fort intéressantes, à savoir l’obtention de très bons rendements et une stéréosélectivité significative, ouvrant un large champ d’investigations pour la catalyse asymétrique d’oxydation basée sur des complexes dinucléaires de fer non héminique avec le peroxyde d’hydrogène comme oxydant.

IV- Conclusion

L’efficacité, la stabilité et la sélectivité apportées par différents complexes mononucléaires et dinucléaires de fer non héminique ouvrent la voie à un nouveau type de catalyseurs qui pourraient prochainement être utilisés en synthèse organique dans la préparation de molécules complexes (par exemple des principes actifs de médicaments) et en bioremédiation dans des conditions répondant aux critères de la “chimie verte”.89

Ces catalyseurs bio-inspirés constituent de précieux atouts pour la compréhension des mécanismes moléculaires qui se déroulent au sein des enzymes lors d’un cycle catalytique. Un autre aspect avantageux de la catalyse homogène est la possibilité pour les complexes de reconnaître une plus large gamme de substrats que les enzymes, et de catalyser une plus grande variété de réactions. De plus, le transfert de chiralité peut être inversé par simple changement de la configuration de la copule chirale.

Toujours est-il que ces complexes de fer sont loin d’atteindre les performances des enzymes, que se soient en termes de nombre de cycles catalytiques et de sélectivité. En outre, la majorité des complexes qui a été décrite est utilisée en phase organique. C’est pour ces raisons qu’actuellement les industries misent davantage sur la biocatalyse, où des enzymes sont utilisées comme catalyseurs, ainsi que les biotechnologies avec des organismes entiers à l’exemple de bactéries génétiquement modifiées qui deviennent de véritables “usines chimiques” (Schéma I-31).90

Schéma I-31. Transformation du glucose en catéchol par une souche de E. coli

génétiquement modifiée.90

Cependant, une autre stratégie étudiée depuis la fin des années 1970 dans différents laboratoires de part le monde, pourrait fournir une autre méthode catalytique ayant l’avantage de réunir les mondes de la catalyse chimique et de la biocatalyse en tirant profit des avantages des deux domaines. Cette nouvelle stratégie repose sur l’utilisation de métalloenzymes artificielles.

C. Les métalloenzymes artificielles

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