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La structure visuelle d’un lieu comme élément rassurant

ANALYSE DES DONNÉES

6 ANALYSE DES DONNEES

6.3 EXPÉRIENCE SENSORIELLE DES LIEUX

6.3.2 La structure visuelle d’un lieu comme élément rassurant

Par « structure », on entend l’« agencement, entre eux, des éléments constitutifs d'un ensemble construit, qui fait de cet ensemble un tout cohérent et lui donne son aspect spécifique»7. Dans une ville, et plus particulièrement dans des lieux centraux, le peu de cohérence et la grande hétérogénéité de l’environnement sont frappants. Piétons, trams, bus et voitures se côtoient et partagent un espace parfois très restreint. De nombreuses informations et sollicitations diverses attirent le regard et les sens. Finalement, et nous reviendrons là-dessus dans le chapitre concernant l’expérience sociale, on y rencontre, qu’on le veuille ou non, un grand nombre de personnes inconnues, différentes et parfois surprenantes.

7 Sur www.cnrtl.fr, consulté le 20.03.2014. Créé par le Centre Nationale de Recherche Scientifique (CNRS), le Centre National de Recherches Textuelles et Lexicales (CNRTL) réunit un ensemble de ressources linguistiques informatisées.

Place Chauderon, Lausanne : « Piétons, trams, bus et voitures se côtoient et partagent un espace parfois très restreint »

En contraste avec cette grande hétérogénéité qui peut être vécue comme chaotique, beaucoup de patients évoquent un sentiment positif par rapport à la présence d’éléments structurants. Ce sentiment s’explique également par la tendance à prévoir et objectiver les situations du quotidien : un cadre structuré implique moins de stimulations diverses et imprévues. Les résultats que nous dégageons d’après les entretiens rejoignent certaines hypothèses déjà formulées. Lorsqu’elle décrit des lieux qui pourraient être plus « inclusifs », « libérateurs d’identités », Parr cite des espaces verts pour les activités de jardinage collectif organisées. Elle insiste sur l’aspect « domestiqué » de ces jardins pour expliquer qu’ils sont a priori plus apaisants qu’une forêt, beaucoup trop « sauvage » (Parr 2008 : 81). Söderström décrit également comment des lieux où certaines barrières (physiques et sociales) sont définies et structurées, peuvent être vécus comme rassurants (il parle de sentiment de « sécurité intérieure ») (Söderström 2008, 2009). Ainsi, dans les témoignages des patients, des lieux très hétéroclites (un parc, un supermarché, ou encore la ville de New York) sont vécus comme agréables, rassurants, entre autres du fait de leur structure visuelle.

Il s’avère que dans leur description d’un lieu « idéal », beaucoup parlent d’un endroit de verdure un peu en dehors de la ville. Or si l’aspect naturel et la tranquillité qu’offre un parc semblent importants, les remarques précisant qu’il ne s’agit pas d’une forêt ou d’un champ, mais bien d’un parc, illustrent cette préférence pour des lieux construits, et donc, en général,

plus structurés. Parmi les parcs cités, le parc Mon Repos présente notamment de par son agencement une structure visuelle certaine.

Parc de Mon Repos, Lausanne.

Lieu au cœur de la ville et à la fois protégé de celle-ci.

La régularité et l’harmonie des formes peuvent constituer des éléments structurants.

Indépendamment de l’aspect naturel du parc, la notion de structure s’exporte et s’applique à d’autres lieux : une personne nous décrit la COOP avec les mots suivants: « ça donne toujours un peu l’impression de rentrer dans un truc artificiel où y a pas de fenêtre, où y a toujours du jour, mais moi je trouve que y a un peu quelque chose de… pas de protecteur, mais on est un peu dans une sorte de bulle… le fait qu’il y ait pas de fenêtre ça peut être bizarre mais moi je trouve que ça peut être positif (…) on vient pour acheter quelque chose de précis, on sait où sont les choses » (homme, 20 ans, Mr F.). Plusieurs termes nourrissent la thématique de la valorisation d’un lieu structuré : « on sait où sont les choses » rend clairement compte de l’aspect structuré des rayons, qui sont disposés et organisés selon une logique répétée dans tous les magasins COOP ainsi que dans d’autres supermarchés. Les termes « protecteur », « bulle » et « pas de fenêtre » se rapportent plutôt au fait qu’un lieu dont les barrières sont clairement définies peut constituer un élément structurant pour l’expérience spatiale et réduire le risque d’interventions externes inattendues. La thématique de la crainte de l’imprévu a déjà été mentionnée en introduction et elle sera développée dans différentes parties de l’analyse. Finalement, et nous reviendrons là-dessus dans un chapitre de l’expérience sociale, la

remarque « on vient pour acheter quelque chose de précis » rend compte de comment une activité clairement définie offre une structure sociale, qui peut être rassurante.

Une autre personne dit, lorsqu’elle parle des aspects qu’elle aime à New York : « on s’y retrouve très vite, c’est tout en carré, donc c’est facilement repérable où on est » (homme, 20 ans, Mr G.). Le système de numérotation des rues régulier et logique de New York rappelle les couloirs reproduits d’un supermarché, l’un et l’autre offrant des repères stables. Une autre personne, alors qu’elle parle des aspects visuels positifs de la gare, souligne qu’elle est « bien agencée », et précise : « le côté avec les voies, puis en bas avec les petits magasins ça fait un peu comme une micro ville dans la ville. Ça je trouve bien». (homme, 20 ans, Mr F.)

Plusieurs autres éléments peut-être moins évidents rejoignent cette valorisation d’une structure visuelle. Par exemple, la précision avec laquelle certains patients décrivent l’itinéraire de chez eux jusqu’à Chauderon montre à quel point il est clair dans leur tête. Cela rappelle encore une fois la tendance à l’hyper réflexivité, puisque le parcours est ici pensé préalablement, peut-être afin de pouvoir mieux s’y préparer. Un autre exemple est la nécessité qu’avait une personne de constamment changer l’agencement des choses dans les moments où elle n’allait pas bien (« c’était jamais comme il faut où c’était») (femme, 27 ans). Cela suppose, sans l’expliquer de manière évidente, une aspiration (ici jamais satisfaite) à une certaine structure, à un ordre de son environnement. On peut également souligner que les patients valorisent tout particulièrement les lieux qui offrent une perspective, un point de vue. La position en hauteur permet en effet d’avoir une vision d’ensemble, de savoir où l’on se situe par rapport à ce qui nous entoure et de se rendre compte de comment cet environnement est « structuré ».

6.3.3 Moments de crise : la stimulation sensorielle comme élément déclencheur