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La structure informationnelle et les textes anciens

Examiner la structure informationnelle des phrases tirées des textes anciens pose des

problèmes. Même si nous avons des connaissances sur les règles prosodiques de la langue en question (dans notre cas l'ancien français), il est par exemple impossible de savoir quel(s) mot(s) serai(en)t accentué(s) en étudiant un texte en prose. Et l'accentuation des mots joue un rôle important pour la structure informationnelle, surtout dans des langues comme l'ancien français où il est possible de mettre l'accent sur un seul mot ou groupe, comme nous allons le voir au chapitre 4.4.

Petrova et Solf (2009) se basent sur la distinction de Molnár (voir ci-dessus) et la

représentation scalaire de Lambrecht (1994 : 109) en développant des sous-catégories afin d'obtenir une analyse plus fine. Par exemple, ils ne représentent pas la distinction entre les éléments connus et inconnus comme une opposition, mais plutôt comme un continuum dont les deux pôles sont les catégories « donné » et « nouveau » (Petrova et Solf 2009 : 145).14 D'ailleurs, ils affirment que ces notions doivent être restreintes au domaine d'établissement textuel : « 'donné' se restreint aux expressions qui renvoient à des référents déjà explicitement

14 Cette solution a été proposée par Prince (1981), cité dans Petrova et Solf (2009 : 135-136).

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mentionnés, tandis que 'nouveau' s'utilise pour des référents qui sont introduits dans le contexte pour la première fois » (Petrova et Solf 2009 : 145 ; ma traduction).15

Entre les deux pôles de « donné » et « nouveau », Petrova et Solf distinguent les catégories suivantes (Petrova et Solf 2009 : 146) :

des expressions qui réfèrent aux interlocuteurs

ancrage (anchoring)

pontage (bridging)

familiarité partagée (shared familiarity)

Il y a de bonnes raisons pour accepter une telle catégorisation. Néanmoins, dans le cadre de ce travail, où il a été nécessaire de se baser sur des phrases tirées de (con)textes divers, il m'a fallu employer un modèle de structure informationnelle relativement simple. Je me suis basée sur des mentions textuelles explicites pour décider s'il s'agit de référents qui devraient être catégorisés comme « nouveaux » / « inconnus » ou non. Le critère déterminant a été si le référent est nouveau dans le contexte immédiat, c'est-à-dire s'il vient d'être introduit ou

mentionné. Ceci veut dire que je n'ai pas fait de distinction entre l'information « généralement connue » mais nouvelle au contexte, et l'information inconnue proprement dite. Par exemple, dans l'exemple (22) le GP de Tintaiol est classifié comme portant de l'information nouvelle, bien que nous puissions supposer que les lecteurs de Tristan aussi bien que les personnages du roman connaissent le château en question.

(22) Quant je me fui hui matin departie de Tintaiol...

quand je me fus hui matin departie de Tintagel

« Quand j'étais partie de Tintagel ce matin... » (Le roman de Tristan en prose, 883, XIIIe)

Cette approche a l'avantage qu'elle ne nous pousse pas à faire des suppositions peut-être mal fondées en ce qui concerne les états de connaissance chez les locuteurs de l'époque. Tandis qu'on peut raisonnablement penser que des référents comme « le soleil » ou « la mer » sont généralement connus, il est difficile de savoir où il faut fixer la limite : est-ce qu'on peut

15 « '[G]iven' is restricted to expressions referring to explicitly pre-mentioned referents, while 'new' covers referents introduced to context [sic] for the first time.»

supposer a priori que « le roi Arthur » ou « Cornouailles » sont connus du public français à l'époque ? D'ailleurs, si on classifie ces éléments comme « connus », il faut toujours trouver un moyen de distinguer les éléments qui sont « connus » mais nouveaux dans le contexte, de ceux qui y ont déjà été introduits. Ceci serait possible avec un modèle plus scalaire, comme celui de Petrova et Solf (2009) présenté ci-dessus. Dans le cadre limité de ce mémoire, j'ai cependant choisi une approche quasi simplifiée pour répondre à ces questions. Cette approche permet néanmoins de séparer les éléments qui sont nouveaux ou inactifs dans le contexte de ceux qui sont connus ou actifs. Nous y reviendrons au chapitre 5.

3.5 Résumé

Dans ce chapitre, j'ai déliberé sur le concept de structure informationnelle et le manque de termes convenus qui existe dans cette discipline. J'ai présenté le modèle tripartite employé par Petrova et Solf (2009) et les trois couches informationnelles qu'on y trouve. J'ai expliqué mes raisons pour ne prendre compte que de la couche donné / nouveau dans le cadre du présent travail. Enfin, j'ai discuté quelques difficultés en ce qui concerne l'étude de la structure informationnelle dans des textes anciens et le défi de distinguer l'information donnée de l'information nouvelle d'une manière pratique.

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4 L'ancienne langue : syntaxe et prosodie

Dans ce chapitre, je présente quelques aspects importants de l'ancien et du moyen français.

D'abord, au sous-chapitre 4.1, je décrirai quelques caractéristiques syntaxiques importantes de l'ancien français, l'ordre des mots, la contrainte V2 et le sujet pro, faisant référence à des travaux primaires concernant la syntaxe de l'ancienne langue. Ici, je me base particulièrement sur le travail de Vance (1997), comme celui-ci a été fait sur les textes en prose La Queste del Saint Graal de 1220 et Saintré de 1456, étant ainsi comparable au présent mémoire en ce qui concerne le choix de textes.16

Le sous-chapitre 4.2 est consacré à la notion de topicalisation et à la clarification de ce terme, qui touche à des question liées au déplacement aussi bien qu'à la structure informationnelle.

Décrivant les propriétés syntaxiques de l'ancien français (842-1300), je rends compte au sous-chapitre 4.3 de la réanalyse de la structure de phrase qui s'est produite pendant la période du moyen français (1300-1500).17

Un aspect de l'ancien français qui sera important pour les hypothèses émises dans ce travail, est sa prosodie ou sa structure rythmique. Cette question sera alors traitée dans le chapitre 4.4. Ici, je m'appuierai surtout sur l'hypothèse émise par Adams (1989). Au sous-chapitre 4.5, je propose que les changements prosodiques décrits au 4.4 ont eu des conséquences sur le placement des GP traités dans ce mémoire.