• Aucun résultat trouvé

CHAPITRE 3 : LA PRÉSENTATION DE SOI ET LA COMMUNICATION NON

II. La représentation du sujet par un personnage virtuel

Selon Ervin Goffman (1959) dans la vie quotidienne, il existe des « façades » chez les individus. Ces « façades » correspondent aux accessoires qui permettent à l’individu de jouer un rôle sans forcément qu’il le veuille et de prendre des apparences dans un « décor ». Le « décor » est l’ensemble d’éléments fixes tels que le mobilier, la décoration où se situe l’individu qui l’oblige à jouer son rôleέ Une fois que l’acteur quitte ce « décor » il pourra arrêter son jeu. Les « façades » peuvent contenir une « façade personnelle » où l’individu dépend d’un « décor » mobile qui l’accompagne, il

pourra se faire des représentations pour jouer le rôle d’un personnage partout. Cette « façade personnelle » se traduit par les manières de s’exprimer, les manières de se tenir ainsi que les manières de se vêtir qui permettent à l’individu de se représenter en société. Selon Ervin Goffman (1959) et Robert Ezra Park (1950)56, le monde est une mise en scène de l’individu dans sa vie quotidienneέ « Ce n’est probablement pas par

un pur hasard historique que le mot personne, dans son sens premier, signifie un masque. C’est plutôt la reconnaissance du fait que tout le monde, toujours et partout, joue un rôle, plus ou moins consciemment» (Park, 1950, p. 249). Ainsi « l'acteur doit

agir de façon à donner, intentionnellement ou non, une expression de lui-même, et les autres à leur tour doivent en retirer une certaine impression » (Goffman, 1959, p. 12). Le rôle que prend l’individu dans sa représentation dans sa vie quotidienne dépend aussi de la conviction qu’il a pour ce personnage qu’il se représente et l’impression qu’il donne aux autresέ « C'est dans ces rôles que nous nous connaissons nous-mêmes

(...). En ce sens, et pour autant qu'il représente l'idée que nous nous faisons de nous- même - le rôle que nous nous efforçons d'assumer -, ce masque est notre vrai moi, le moi que nous voudrions être. A la longue, l'idée que nous avons de notre rôle devient une seconde nature et une partie intégrante de notre personnalité. Nous venons au monde comme individus, nous assumons un personnage, et nous devenons des personnes. » (Park, 1950, p. 250). Ainsi Ervin Goffman (1959) situe différents autres cas de ces jeux de rôle :

- La réalisation dramatique où l'individu pendant qu'il joue son rôle, utilisera des attitudes de sorte à rendre sa représentation la plus réelle possible. Il va utiliser des petits détails dans ses manières et comportements pour rendre sa présentation la plus sérieuse et naturelle possible.

- L’idéalisation est le fait que l’individu va jouer un double rôleέ L’un en public, l’autre en privéέ L’acteur va donc se comporter d’une certaine manière en public afin de cacher des activités incompatibles avec l’image qu’il veut donner de lui- mêmeέ Mais une fois rentré à la maison, l’individu va se comporter différemment.

- La cohérence de l’expression est le fait que l’individu tienne un jeu crédible où les gestes ont une grande importance dans l’interprétation de son rôleέ Les moindres attitudes de travers peuvent faire perdre la crédibilité du rôle de l’acteur devant son publicέ

- La représentation frauduleuse est le rôle frauduleux que prend l’individu soit volontairement (malintentionné) soit involontairement (défensif). Ce rôle est dangereux car si l’acteur est démasqué, il perdra toute confiance de son publicέ - La réalité et la simulation sont le fait que l’individu se fasse une représentation

de manière soit sincère soit mensongèreέ Le premier cas, c’est quand il se représente réellement comme le personnage qu’il joue en société de façon honnête (sans arrière-pensée). Tandis que dans le cas de la simulation, l’individu est acteur et se représente faussement à un personnage que pour obtenir quelque chose d’autrui (un escroc par exemple ou un acteur de cinéma)έ En général ce deuxième cas n’est pas pris au sérieux par le publicέ

La présentation de soi selon Ervin Goffman (1974) nous présente aussi les situations de groupe, des rôles que l’on prend dans les équipes, les comportements régionaux, mais ce qui nous intéresse le plus dans cette approche c’est la présentation de soi chez l’individu et les différents cas de jeux de rôle que nous avons citésέ Nous pouvons admettre que l’utilisateur d’un dispositif immersif contrôlant un personnage virtuel va se représenter en jouant un certain rôle puisqu’il va rentrer dans un nouveau « décor ». "Dans cette optique, le joueur vient investir un corps d’emprunt pouvant l’accueillir et le rendre autre. En revêtant une « seconde peau » pixelisée et animée, le corps biologique – siège de l’esprit dans la tradition chrétienne puis philosophique occidentale – serait délaissé au profit d’une nouvelle enveloppe charnelle capable de lui octroyer dans un « outre-monde » une nouvelle existence." (Pereny & Amato, 2010, p. 92).

2. La représentation de soi par l’usage d’un avatar

Nous voulons étudier cette dimension que prend l’usager dans le contrôle de ce personnage virtuel que l’on nomme « avatar »57. « Ainsi, l’emploi du mot avatar semble

parfaitement apte à décrire cette illusion éprouvée consistant à s’immerger par procuration, par l’intermédiaire d’une corporéité tierce, dans un monde réclamant quelques interventions salutaires. » (Pereny & Amato, 2010, p. 92)έ L’avatar peut aussi

signifier l’image ou le dessin que choisit l’internaute de mettre pour se rendre dans un forum ou une messagerieέ C’est une entité à part entière qu’obtient l’internaute pour se représenter dans un espace communautaire, l’avatar peut être accompagné d’une phrase ou d’un slogan pour créer une représentationέ L’avatar dans notre dispositif va être le personnage virtuel représentant l’apprenant qui agit dans un environnement virtuelέ Selon Philippe Bonfils (2010), dans ces environnements immersifs, « l’utilisateur pénètre le monde virtuel sous la forme d’un personnage 3d (son avatar) ... il dispose en contrepartie de nouvelles fonctionnalités communicationnelles non verbales liées à son apparence, sa gestuelle et ses mouvements » (Bonfils, 2010, p. 115).

Outre cet avatar contrôlé par l’apprenant dans ce monde virtuel, il existera un autre avatar qui va représenter l’enseignantέ Dans notre système immersif les deux entités qui communiquent entre elles (enseignant, apprenant) ne se voient pas, elles ne voient que leur représentation virtuelle. Ainsi "la puissance heuristique des avatars provient du

fait qu’ils permettent à leur propriétaire de traverser l’écran pour accéder à un espace- temps info-communicationnel devenu collectif grâce à un réseau global ou local, et rendu perceptible et modifiable par l’interface. Ainsi, l’avatar autorise l’être humain à éprouver depuis l’intérieur même du système technique les logiques et ressorts intimes des milieux machiniques et réticulaires où il se trouve plongé." (Pereny & Amato, 2010, p. 90). À cet égard, une première hypothèse majeure sera avancée. Elle tiendra à démontrer qu'il est possible d’améliorer les techniques pédagogiques impliquées dans

57 "L’étymologie du mot avatar provient du sanskrit avatara qui conjugue l’idée de descente ou d’entrée (ava) et celle de traversée, de passerelle (tara) pour désigner l’incarnation terrestre occasionnelle de la divinité Vishnu. Dans la tradition théologique védique, puis hindoue, Vishnu l’Immanent veille sur le Dharma, l’harmonie cosmique. Il séjourne paisiblement dans les sphères célestes tant que les cycles de création-préservation-transformation s’accomplissent sur la Terre. Si le désordre ou l’injustice les menacent, il intervient pour rétablir l’ordre, quitte à provoquer de salvatrices catastrophes. Il se manifeste alors dans notre monde sous l’une de ses formes majeures ou mineures appelées avatars. A partir de là, le mot avatar a été adopté au début du XIXe siècle et s’est laïcisé dans maintes langues pour signifier métamorphose, transformation." (Pereny & Amato, 2010, p. 92).

l'utilisation des T.I.C. en cherchant à mieux comprendre les enjeux de la communication non verbale liés aux T.I.C. par la notion de l'identité. Si l'on retrouve des liens entre la conception des avatars et la personnalité de ses utilisateurs, leur comportement pendant une conversation à distance dans un univers interactif pourrait aussi être révélateur du caractère de l'individu. Des études ont démontré qu'une nouvelle conception de l'identité existe avec ces dispositifs (Auray, 2004; Georges, 2007). Cette identité s'exprime comme une ouverture à l'autre, y compris à ce qu'il y a de plus étranger dans l'autre. Ce phénomène est rendu possible par de telles pratiques. Notre étude va porter sur le lien que l’apprenant se fait avec ce personnage virtuel, quelles représentations et quels jeux de rôle prend-il pendant l’usage de son avatarέ Le lien que va avoir l’usager avec son avatar peut être fort tout dépend des représentations qu’il va se faire de luiέ Les apprenants qui vont pouvoir choisir leur avatar, vont les représenter en fonction de leur morphologie, de sorte à les rendre plus ressemblants. D’autres apprenants, dans leur personnalisation d’avatars vont plutôt les configurer de manière indépendante et vont utiliser leur imagination. Cet avatar devient un masque qu’ils portent, cette projection de soi peut prendre diverses formes que l’usager peut modifier lors de la phase de personnalisation. (Auray, 2004). « Le masque devient ainsi

libérateur et autorise certaines libertés d’expression sur des registres socio-affectifs. Il permet à divers sujets de s’exprimer là où ils ne se seraient probablement pas manifestés dans les mêmes situations interpersonnelles en face à face ... l’effet masque peut aussi brouiller les pistes situationnelles car il transforme les limites comportementales, et rend poreuses les frontières identitaires » (Bonfils, 2010, p. 123). Il est intéressant de noter que même ceux qui choisissent un personnage fantasmagorique peuvent aussi faire une création du personnage idéal qu’ils aimeraient êtreέ Le paramétrage des avatars peut permettre aux usagers d’apporter des messages d’où les « façades » que prennent les individus (Goffman, 1959). Selon Clause Lévi- Strauss, dans son ouvrage « La Voie des Masques » (1975), certaines sociétés pratiquent des rituels en utilisant des masques artistiques qui diffèrent selon leur style et se rattachent à des histoires ou des mythesέ Il démontre qu’« à chaque type de masques

se rattachent des mythes qui ont pour objet d’expliquer leur origine légendaire ou surnaturelle et de fonder leur rôle dans le rituel, l’économie, la société (…) » (Lévi-

Strauss, 1975, p. 19)έNous allons aussi observer les usagers qui n’ont pas la possibilité de personnaliser leur avatar. Ceux-là vont avoir un avatar par défaut, ils vont devoir

l’utiliser malgré euxέ Il sera donc intéressant de voir leur comportement pendant l’usage du dispositif et de noter le lien qu’ils ont avec cet avatar qu’on leur imposeέ