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La recherche d’un soutien financier et moral

Néanmoins, en France comme au Québec, le besoin de soutien moral et financier est nommé comme la principale raison de s’engager chez les jeunes membres des organisations d’entraide étudiées. L’association fonctionne comme un soutien pour accompagner la transition vers la vie adulte, soutien qui peut prendre diverses formes : orientation, information, formation, soutien moral, dépannage alimentaire, bourses, etc. La recherche de ressources matérielles est mise en avant dans les raisons initiales de s’engager. Les conditions socio-économiques de sortie de placement deviennent difficiles pour ces jeunes, dans un contexte de solidarité publique qui, comme nous l’avons déjà évoqué plus haut, réduit les financements d’aide aux jeunes et renvoie cette solidarité aux familles. En France, les jeunes interviewés « frappent à la porte » de l’association pour des financements de logement, de permis de conduire, d’aide à la poursuite d’études, de formation, de transports. L’ADEPAPE compte sur des subventions différentes qui lui permettent de fournir une aide matérielle aux jeunes. Cette aide peut prendre la forme de dépannage alimentaire, d’aide financière pour payer la caution pour un logement ou pour payer les services d’électricité, de gaz, entre autres. Tel est le cas de Gabriel, 24 ans, qui avait demandé de l’aide lors de la fin de son contrat jeune majeur à 21 ans, l’année de son bac. Souhaitant entrer à l’université et faisant une demande de logement étudiant, il est dirigé vers

l’association par la directrice de l’Aide sociale à l’enfance de son département pour demander une caution de 300 euros pour le logement :

« C’était bon pour moi de partir en fait en logement étudiant et en fait pour me guider, pour trouver si tu veux une caution… Il faut bien une caution pour le logement […] L’ASE de S. [la ville où le jeune a été placé] m’a dit, moi, je connais l’ADEPAPE [du département étudié], donc elle pourra sûrement t’aider, donc il m’a donné les coordonnées, et c’est comme ça que j’ai connu l’ADEPAPE. J’ai pris contact du coup avec l’ADEPAPE. Ils ont pu m’aider, j’ai pu avoir la résidence étudiante pour accéder en licence de psychologie. »

Également, Alassane, 23 ans, ancien mineur étranger isolé. Actuellement manœuvre la nuit, arrivé en France à 16 ans et demi, placé à l’ASE jusqu’à ses 21 ans, envisageant une formation d’ascensoriste témoigne :

« C’est mon éducatrice après le contrat jeune majeur qui a découvert l’ADEPAPE sur Internet, puis elle m’a dirigé là. Je suis là pour m’informer, je ne connais pas tout le système français, le système social, pour qu’ils puissent m’informer, m’orienter […] J’ai eu mon bac professionnel en maintenance des équipements industriels en 2012. Et après, j’ai commencé un BTS en conception organisation des systèmes automatiques, toujours dans l’industrie. Le contrat jeune majeur s’arrête à 21 ans, il me restait encore un an en BTS, ça a beaucoup impacté, affecté sur mes études. Dans ma dernière année, j’ai été obligé de chercher un boulot pour subvenir à mes besoins. C’était très, très compliqué, je n’ai pas pu avoir mon BTS. Les cours étaient de 8 heures à 17 h 30. Une demi-heure pour me préparer. Le travail commençait à 18 h 30, jusqu’à minuit. C’était très difficile pour me réveiller. »

Ou bien le témoignage d’Amélie, dans le journal interne d’une des associations françaises étudiées. Née en 1989, placée à l’âge de 10 ans dans un foyer de l’Aide sociale à l’enfance, elle tombe enceinte à 17 ans. Elle doit alors partir en foyer de jeunes travailleurs (FJT) tout en faisant une formation d’aide à la personne. Elle s’installe chez le père de l’enfant durant la fin de la grossesse qui subvient à ses besoins durant cette période. Elle se sépare ensuite de lui après l’accouchement.

« J’ai dû prendre mon propre appartement, et j’ai décidé de reprendre mes études par correspondance pour pouvoir m’occuper en même temps de ma fille, j’avais des difficultés financières car je n’avais aucune aide pour payer mes cours de CAP Petite Enfance, c’est à partir de là que je me suis tournée vers l’ADEPAPE qui m’a beaucoup aidée par soutien moral et financier. Depuis ce jour, j’ai régulièrement le soutien de l’ADEPAPE du département [X] et de l’ADEPAPE du département [Y] d’où je dépends maintenant, et je suis adhérente. »

Enfin, Linda, 32 ans, qui a été aidée par l’ADEPAPE de son département à la sortie de l’ASE pour réussir son diplôme de BTS (notamment aide au paiement d’un ordinateur portable) :

« Quand j’étais adolescente, j’étais en foyer, et quand je suis sortie du foyer, voilà pas de parents, quand bien même des parents vivants, ben, dans mon éducation, ben, ils n’étaient pas présents, hein. Le foyer, du moment que la justice émet un mandat, en disant stop, c’est fini, cette personne n’est plus sous la protection d’État. Eh ben, du coup, on se sent un peu perdu et ma meilleure amie d’enfance, qui, elle, était dans le même foyer que moi, et qui avait un peu plus de jugeote que moi, m’a dit, “écoute Linda, ben moi, je me suis inscrite dans une association qui s’appelle l’ADEPAPE, c’est superchouette, ils te donnent des conseils et t’aident mentalement, ils t’aident pécuniairement et ils te donnent beaucoup de conseils, ils font beaucoup de sorties, beaucoup d’animations”. »

Les rétributions matérielles directes du RIQ et de CARE Jeunesse sont quasi absentes étant donné qu’ils ne reçoivent pas de subventions publiques pour venir en aide aux jeunes. Pourtant, pour plusieurs jeunes, les ateliers offerts par le RIQ pour les préparer à la transition vers la vie adulte (apprendre à remplir une fiche d’impôts ou un bail, ateliers cuisine, etc.) sont vus comme une rétribution matérielle parce que cela leur permet d’acquérir des habilités de base pour faire face à la transition, surtout pour ceux qui n’ont pas pu compter sur le PQJ. Ainsi, Inès, membre du RIQ, âgée de 20 ans :

« J’ai réalisé à quel point ça peut être difficile des fois, à 18 ans t’es mis dehors, pis c’est débrouille-toi, trouve-toi une job, essaie de continuer tes études, pis paie un appart […] Déjà juste les réalités comme tu tombes à 18 ans, j’ai pas aimé mon passage à 18 ans et pourtant j’ai été bien structurée […] Les

responsabilités qui viennent avec […] Tsé disons que la semaine de ton anniversaire tu te fais appeler à la caisse tu te fais appeler par toutes tes affaires parce que c’est maintenant toi qui gères ça. »

Pour plusieurs jeunes du comité EDJeP, le fait d’être payés a été un moteur de leur motivation initiale à participer.

Le support moral est aussi évoqué par les jeunes parmi les raisons initiales de s’engager. Ces jeunes n’ont pas forcément de réseaux familiaux et d’amitiés et, pour plusieurs, l’attente de l’âge de majorité s’accompagne de la rupture des liens avec leurs réseaux institutionnels de la protection de l’enfance, ce qui les fragilise davantage. Ainsi l’association fonctionne comme un support moral pour accompagner la transition vers la vie adulte. La première coordonnatrice du RIQ, Alice, 29 ans, explique par exemple que les jeunes peuvent la « texter » seulement pour la saluer. Cela illustre, selon elle, le besoin d’un support moral de ces jeunes, « s’ils étaient proches de leurs frères, leurs sœurs, leurs parents, c’est probablement eux qu’ils auraient textés, mais là c’était nous ». Pour sa part, Nicolas, 28 ans, trésorier bénévole d’une des ADEPAPE de notre recherche, explique que le support moral est encore plus important que le support financier pour les jeunes :

« Le côté humain, c’est plus important que l’aspect financier. L’aspect financier, on va payer une facture d’eau, puis voilà. Mais les problèmes personnels, c’est important de les écouter. Ici, ils viennent, ils discutent, puis après il y a l’échange, il y a peut-être une solution, une voie qui s’ouvre, améliorer quelque chose. » Une partie plus minoritaire de jeunes avait déjà en entrant dans ce type d’organisations d’entraide un souhait de s’impliquer pour aider les autres et porter la voix des jeunes placés dans l’espace public, ceux-ci avaient déjà été socialisés à l’engagement dans leur parcours antérieur, mais la plupart des jeunes rencontrés ont au départ des raisons strictement individuelles, c’est la socialisation au sein de l’organisation d’entraide et le fait d’entrer en interaction avec d’autres individus ayant connu la même expérience de placement qui vont changer les liens à l’organisation d’entraide. Dans une dynamique de don/contre-don, ils vont se distancier de la position purement caritative dans laquelle s’inscrit habituellement le care, seule position que les jeunes ont connue jusque-là.

2. Ce qui maintient leur engagement

Les raisons de maintenir l’engagement se superposent dans plusieurs cas aux apports de l’engagement. Par exemple, la reconnaissance et la protection sont en même temps un apport et une raison de maintenir son engagement. Au-delà des rétributions matérielles et morales à l’engagement que nous avons pu voir dans les raisons initiales de s’engager, d’autres motivations sont au cœur du maintien de ces jeunes anciens placés et produisent des effets sur leur passage à la vie adulte, comme l’entraide, la constitution d’un réseau soutenant, le renversement du « stigmate » (Goffman, 1975) d’enfant placé, la socialisation citoyenne et la mobilisation autour des droits des anciens placés.