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Partie 3 : Cadre théorique

2. La réussite éducative comme norme sociale

Après la coéducation, nous nous attachons désormais à définir le concept de réussite éducative, objectif final du dispositif « Ouvrir l’école aux parents pour la réussite des enfants ». En effet, les acteurs de la coéducation ont pour objectif commun la réussite de

l’élève. Mais si « réussir, c’est, pour l’individu, se développer comme personne « éduquée ». » (Hadji, 2012, p. 156), que signifie au juste réussir pour un enfant ?

2.1. Réussite éducative ou réussite scolaire ?

Dans la Circulaire de 1981, Alain Savary, Ministre de l’Éducation nationale, évoque le besoin de « réduire (...) l’échec scolaire. » (Ministère de l’éducation nationale, 1981). Il faudra cependant attendre jusqu’en 1992 pour que la notion de « réussite éducative » apparaisse grâce au plan d’action du Ministère de l’éducation québécois (Feyfant, 2014, p. 3). Selon Glasman (2010) ce changement serait dû à « une expression se voulant plus positive, portée vers les progrès, plus offensive et moins défensive » (in Feyfant, 2014, p. 3). Plusieurs rapports et actions politiques ont alors été mis en œuvre en France à partir de 1997, dans le but de favoriser cette « réussite éducative ». En 2007, le plan de cohésion sociale relatif au dispositif de la réussite éducative, connu sous le nom de « Plan Borloo », retiendra la réussite éducative comme « l’un des cinq champs prioritaires de l’action de l’État dans le cadre des contrats urbains de cohésion sociale » (Ministère de l’éducation nationale, 2007).

Si Feyfant (2014) précise que « la réussite éducative est indissociable de la réussite scolaire et vient le plus souvent en accompagnement de préoccupations centrées sur l’école. » (p. 5), au Québec, la réussite éducative est « un processus de développement personnel et social » qui s’étend au-delà de la scolarité. Feyfant (2014) rapporte également l’idée de Baby (2010) selon laquelle la réussite éducative ne concerne pas seulement l’« aide aux devoirs » mais également l’aide à l’enfant pour s’intégrer dans l’école (p. 15). La réussite scolaire serait ainsi l’une des conditions de la réussite éducative. De plus, le résultat de la réussite éducative, au- delà des validations de compétences fondamentales, se manifeste par « des capacités accrues d’apprendre, de se développer et de contribuer au bien-être collectif de la société. » (Pronovost et al., 2010 in Feyfant, 2014, p. 5).

Deux définitions ont été retenues au cours de nos lectures, proposant ainsi une compréhension globale de la réussite éducative, tant en termes de contextualisation que d’enjeux.

Repris par Feyfant (2014), la première définition retenue est celle de Glasman (2007) :

Comme état, on pourrait avancer que la réussite éducative, c’est ce à quoi parvient un enfant ou un adolescent au terme d’une période donnée, au cours de laquelle il a été soumis à une action éducative, et qui se caractérise par un bien-être physique et psychique, une énergie disponible pour apprendre et pour entreprendre, une capacité à utiliser pertinemment le langage et à entrer en relation, une conscience acquise de ce que l’école peut lui apporter et de ce qu’il peut en attendre, une ouverture d’esprit à son entourage et au monde. C’est aussi le but que ses éducateurs ont atteint dans le travail avec lui. Comme processus, la réussite éducative est l’ensemble des initiatives prises et des actions mises en œuvre par ses parents, par son entourage ou par des professionnels pour permettre à l’enfant ou à l’adolescent de se rapprocher et d’atteindre cet état, et la progressive appropriation par l’intéressé de ce qui lui est fourni. (p. 4 et 5)

De façon complémentaire, Feyfant (2014) définie la réussite éducative de la façon suivante : La réussite éducative concerne des quartiers (devenus des territoires), qu’ils soient qualifiés de prioritaires (confusion forte avec l’éducation prioritaire, en France) ou de populaires, à l’adresse des enfants en difficulté(s) ou pour lesquels sont détectés des signes de fragilité ou encore des enfants issus de l’immigration ou d’origine sociale populaire (textes plus anciens) ou de milieux défavorisés. (p. 5)

Nous retenons alors que la réussite scolaire englobe une dimension centrée sur l’école et les missions relatives au statut d’élève, tandis que la réussite éducative, tout en s’y appuyant, développe la dimension d’épanouissement personnel de l’enfant dans sa globalité. Nous faisons le choix d’accès notre travail de recherche sur cette notion de réussite éducative. La réussite éducative est introduite par quatre missions selon la loi sur l’instruction publique du Québec (2006) : instruire, socialiser, qualifier et adapter les pratiques (in Feyfant, 2014, p. 10). Ces missions regroupent les actions à mener pour permettre aux enfants d’être en réussite éducative. Nous les détaillons ci-après :

Actions Mission n°1 :

Instruire

- Éduquer à la citoyenneté et à la morale civique

- Développer la pratique d’activités artistiques, culturelle et sportives - Une organisation des apprentissages sur l’ensemble du socle commun

Mission n°2 : Socialiser

- Égalité d’accès à l’éducation - Encourager la scolarisation précoce

Mission n°3 : Qualifier

- Lutter pour la persévérance pour pallier la sortie sans qualification - Lutter contre le décrochage par la mise en place d’alliance

éducative

- Changer les pratiques enseignantes et promouvoir le leadership

Mission n°4 : Adapter les

pratiques

- Changer le contexte d’apprentissage

- Gérer l’hétérogénéité par l’accompagnement scolaire

Tableau 1: Missions et actions favorisant la réussite éducative des enfants, loi sur l’instruction publique du Québec (2006)

Nous considérons donc ces missions et les actions qui en découlent comme des supports à la favorisation de la réussite éducative des enfants. Cependant, la réussite ne se développe pas qu’au sein de l’établissement scolaire. En effet nous développerons dans la prochaine sous- partie l’influence de l’espace familial dans cette réussite éducative.

2.2. Famille et réussite éducative

Notre recherche consiste à évaluer le dispositif « Ouvrir l’école aux parents pour la réussite des enfants ». Le nom même de ce dispositif induit une relation entre la réussite des enfants et l’implication parentale dans leur scolarité. Nous avons démontré précédemment que l’implication des parents est indispensable à la mise en place effective du processus de coéducation et que ce processus favorise le développement éducatif et personnel de l’enfant. Nous pouvons donc considérer que l’implication des parents dans la scolarité de leur enfant favorise la réussite de celle-ci. Selon Baby (2010) la réussite éducative se compose

effectivement d’un premier volet « réussite éducative scolaire » et d’un second « réussite éducative familiale » (Feyfant, 2011). Dans ce sens, Feyfant (2014) rapporte qu’« un ensemble de travaux récents envisagent l’échec scolaire d’un point de vue global : apparaissent alors des travaux adoptant une approche écosystémique, liée aux milieux socio- économiques faibles et à l’intervention éducative parentale. » (p. 16).

Le modèle écosystémique (Bronfenbrenner, 1979) (…) préconise d’étudier les phénomènes sociaux et les individus en tant que systèmes en interaction avec d’autres systèmes, donc de les étudier dans leur globalité et non pas considérés isolément. Il s’inspire de l’écologie et de la systémique : la systémique est une méthode d’analyse et de synthèse qui prend toujours en considération l’appartenance d’un élément à un ensemble et l’interdépendance de chaque système avec les autres systèmes de cet ensemble. Quant à l’écologie, c’est l’étude des relations que les êtres vivants entretiennent avec leur environnement en vue d’atteindre un équilibre adaptatif . (Terrisse et al., 2008 in Feyfant 2014, p. 16). Il en ressort donc que la participation des parents, et des familles de manière plus générale, occupe une place toute aussi importante que l’école dans la réussite éducative de l’enfant. « La collaboration école-famille fait partie des facteurs de réussite. » (Feyfant, 2014, p. 18).

L’éducation familiale intervient avant l’entrée de l’enfant dans le système scolaire puis tout au long de sa scolarité. Pour que cela soit réalisable, l’École a un rôle évident à jouer, celui de l’intégration des familles. Même si l’institution scolaire a pendant longtemps réduit le rôle des familles à celui de responsable de l’éducation comportementale et morale des enfants pour ne se soucier que de celle des élèves (Jésu, 2004, p. 45), il est désormais acquis que « les interventions éducatives et socio-éducatives doivent se coordonner, la continuité de prise en compte de la fragilité ou des difficultés des élèves et de leurs familles étant un gage de réussite. » (Feyfant, 2014, p. 18). Pour exemple, en 2006, le Groupement d'Intérêt Public (GIP) pour la réussite éducative de Paris a fixé sept grands principes dans le cadre d’un dispositif de réussite éducative, justifiant tous d’un lien avec l’environnement familial de l’enfant. Voici ces axes :

- considérer les parents, premiers éducateurs de leurs enfants, comme partie intégrante du dispositif de réussite éducative ;

- placer l’enfant et sa famille au centre d’un dispositif de partenariat institutionnel ;

- permettre une approche globale et concertée de la situation d’un enfant présentant des signes de fragilité par l’ensemble des partenaires concourant à sa réussite éducative ;

- viser la réussite éducative de l’enfant et non pas seulement la réussite scolaire en prenant en compte les différents « temps de l’enfant » : temps scolaire, temps périscolaire, temps extrascolaire et temps en famille ;

- proposer à un enfant et sa famille un parcours individualisé d’actions (individuelles et/ou collectives) devant lui offrir réussite et épanouissement ;

- travailler dans le respect de l’enfant et de sa famille en respectant la loi et au travers d’une charte de déontologie ;

- proposer des actions sans se substituer au droit commun notamment aux dispositifs de protection de l’enfance en cas de danger ou de risque de danger. (Feyfant, 2014, p. 6)

En France, malgré un goût prononcé pour le « soutien à la parentalité » (Réseau d’écoute et d’appui et d’accompagnement des parents (REAAP), lieux d’accueil parents-enfants, mallette des parents, points info-familles (PIF), etc.), « les risques liés à l’intervention auprès des parents sont ceux de la moralisation de la vie familiale ou ceux de la disqualification ou invalidation parentale. » (Ouhmida, 2006). Cependant, l’« éducation parentale » n’a pas pour finalité d’apprendre aux parents comment élever leur enfant ou remplir leur « rôle de parents », mais « vise leur appropriation de connaissances et compétences (« empowerment ») pour prendre les décisions les plus favorables à leur enfant » (Terrisse et al., 2008 in Feyfant, 2014, p. 18). En outre, face à cette mission d’éducation, tous les parents ne sont pas égaux en termes de ressources.

2.3. La réussite pour tous et l’égalité des chances

D’après le rapport de la Cour des comptes de 2010 les fortes inégalités sociales face à la réussite scolaire relevées par de nombreuses études seraient dues à une « distillation ségrégative », c’est-à-dire une relation entre l'origine sociale et le destin scolaire (Royal, 2010).

La distillation ségrégative est continue depuis la scolarité élémentaire jusqu’à l’accès à un baccalauréat général avec mention : les milieux familiaux influencent la qualité des parcours dans l’enseignement primaire et secondaire, mais aussi les choix d’orientation aux différentes étapes de la scolarité et, en particulier, à l’entrée dans l’enseignement supérieur. (Cour des comptes, 2010, p. 29).

La différence d’appartenance sociale serait ainsi à l’origine de nombreuses disparités éducatives notamment en ce qui concerne la connaissance du système scolaire, de la culture scolaire et la compréhension des attentes implicites de l’école (Rayou et Van Zanten, 2011), comme nous l’avons précédemment évoqué. De plus, comme Feyfant (2014) l’affirme, « de nombreuses études montrent que l’éducation familiale est un facteur déterminant de la réussite scolaire des élèves, avant leur entrée dans le système scolaire et dans leur accompagnement en cours de scolarité. » (p. 18). Nous avons, par ailleurs, précédemment établit le lien entre la famille et la réussite éducative.

Toutefois, les milieux familiaux ne sont pas seuls responsables, puisque, comme l’affirme Pierre Bourdieu et Passeron (1970), l’école participe à la reproduction des inégalités sociales en les transformant en inégalités scolaires (in Duru-Bellat, 2002, p. 86). Le Ministère de l’Éducation nationale (2014) soulève d’ailleurs que « l’école française ne se contente pas de reproduire les inégalités mais qu’elle les aggrave. L’enquête Pisa publiée par l’OCDE en décembre 2013 l’a récemment rappelé : la France est le pays développé où les déterminismes sociaux sont les plus forts. ».

Pour y remédier et « rétablir une certaine égalité des chances » (Saint-Pierre, 2011 in Feyfant, 2014, p. 14), l’École se doit alors d’adapter son fonctionnement et sa pédagogie à l’ensemble de la population scolaire, ce qui implique d’agir de manière équitable.

Au-delà de sa participation à la reproduction des inégalités sociales, des recherches empiriques ont démontré que l’école est également un lieu possible de réduction des inégalités sociales (Duru-Bellat, 2002, p. 87). En effet, Hadji appuie cette idée de la manière suivante « la conception libérale de l’éducation vise à éliminer tous les obstacles externes à l’égalité des conditions de la réussite des élèves. » (Hadji, 2012, p. 43)

La création du dispositif de réussite éducative est l’un des moyens mis en œuvre par l’École pour tenter d’agir sur cette distillation ségrégative.

Sont concernés par le dispositif de réussite éducative, les parents dont les enfants âgés de deux ans jusqu’à seize ans se retrouvent dans des secteurs en ZEP ou en REP ou de quartiers classés en ZUS. Il s’agit donc de familles menacées ou en situation de précarité. Souvent ces dernières acceptent un accompagnement lorsqu’il s’agit de favoriser la réussite scolaire de leurs enfants. Il est donc plus pertinent, selon le sociologue Glasman, de les sensibiliser à la réussite éducative sous le prisme de la réussite scolaire (Ouhmida, 2006).

Effectivement, malgré les difficultés que les familles ont a surmonter pour dépasser ces obstacles sociaux, beaucoup sont conscientes de l’importance de la réussite scolaire de leur enfant pour leur avenir professionnel. Rayou et Van Zanten (2011), précise à cet effet que « la scolarité réussie est un « passage obligé de la transmission du statut social » et souvent un « critère de l’accomplissement par les parents de leur rôle social. ». » (p. 101).

Pour faciliter cette réussite, les familles et les institutions mettent en place des « stratégies scolaires » (Rayou et Van Zanten, 2011) telles que le soutien scolaire, les projets personnalisés ou encore l’ouverture de l’école aux parents d’élèves. C’est ainsi que le dispositif « Ouvrir l’école aux parents pour la réussite des enfants » trouve son origine, dans une volonté croisée d’ouverture de l’institution scolaire aux parents immigrés et d’accompagnement de leurs enfants vers la réussite scolaire.

Ce dernier donne aux parents une opportunité d’implication dans la réussite scolaire de leur enfant, notamment par l’apprentissage du français et l’aide à la compréhension des attentes et des outils scolaires. Cela permet aux parents d’être actifs dans le suivi scolaire de leur enfant et de renforcer ainsi leur sentiment d’efficacité et leur implication dans leur réussite. Alava (2013) liste par ailleurs les actions favorables à l’amélioration du sentiment d’efficacité chez

les parents, relevées lors d’une recherche visant à accroître les alliances famille-école comme moyen susceptible de prévenir l’échec scolaire et de réduire le décrochage scolaire :

- Se sentir à l'aise quand on rencontre les enseignants ; - Apprendre à apprécier les réunions ;

- Aller toujours aux réunions scolaires ;

- Aller voir les enseignants dès que mon enfant rencontre des difficultés ; - Participer à des activités avec l'école ;

- Comprendre que la société agit pour la réussite scolaire.

Dans ce sens, Hadji (2012) affirme qu’« il s’agirait de viser l’égalité des chances en travaillant à l’égalité des ressources. La perspective est plus celle d’une lutte contre l’exclusion, par l’éducation des différences provenant de l’environnement géographique et social, que d’une lutte pour l’égalité. » (p. 140).

Pour conclure, la réussite éducative est une norme fondamentalement socialeancrée dans un contexte social, familial et institutionnel auquel appartient l’enfant. Malgré de nombreux obstacles, chaque acteur de la réussite éducative met en œuvre des stratégies afin de pallier aux possibles manques de ressources dans le but de favoriser l’égalité des chances pour tous les élèves. Mais comment juger de cette réussite ? L’un des moyens le permettant est l’évaluation. Il s’agit du troisième et dernier point de ce cadrage théorique.