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CHAPITRE 5 : UN REGARD COMPARATIF

5.3 La réappropriation des traditions de résistance et

Nous avons démontré que les membres de l'IIYC parlent de leur mouvement à travers un cadre spirituel, et que les THW parlent de leur mouvement à travers un cadre multijuridique. Dans les deux cas, il s'agit d'une modalité de la résurgence où l'action est ancrée dans la continuité de leur lutte contre la colonisation. Les deux mouvements revitalisent des éléments d'idéologie et de pra- tique qui ont été employés par leurs communautés dans le passé, mais adaptent ces éléments à leurs réalités contemporaines.

Dans un cas, des jeunes se sont réapproprié la tradition spirituelle des mouvements autochtones de résistance du Midwest américain dans le contexte de #NoDAPL. Dans l’autre, ce sont des femmes qui se revendiquent d’une autorité légale et politique sur le territoire, dans la lignée de la résistance historique du peuple secwepemc. Comme le souligne Leanne Simpson (2017), cet an- crage dans le passé ne vise pas un retour en arrière, il s’agit en fait, comme elle le souligne, d’af- firmer un « présent autochtone » qui est propre à ces groupes — c'est-à-dire de se réapproprier

une identité autochtone contemporaine en lien avec ce passé. Bien que nous n'analysons pas ici comment les participant.e.s à ces mouvements vivent dans leurs vies quotidiennes cette affirma- tion identitaire (ce qui est le principal sujet de Simpson), nous pouvons déceler dans les représen- tations de ces mouvements une affirmation d’un mode de vie, de valeurs et de manières d’être en tant qu'individus faisant partie de collectivités autochtones. Simpson souligne la nécessité de

vivre les politiques décoloniales dans la vie quotidienne, et décrit la reconnaissance du passé comme une manière de nourrir une identité autochtone contemporaine.

Ceci est frappant lorsqu’on considère le travail discursif de l’IIYC. Le vidéo publié par le Conseil de jeunesse pour annoncer un mois de prière (IIYC Facebook, 1er décembre 2016) est un bon exemple de la manière dont ces jeunes activistes se sont réapproprié l'idée de faire un acte collectif de spiritualité pour engendrer un futur décolonial. Les membres de l'IIYC y invitent tout le monde à participer à distance à l'esprit de leur mouvement : « Peu importe d'où vous venez, qui vous êtes, comment vous priez ou quelle langue vous parlez, nous vous invitons à prier à votre manière » (ma traduction). Nous pouvons interpréter cette invitation envers des Autoch- tones et non-Autochtones comme une manière de revitaliser, de manière contemporaine, le mou- vement de la Danse des esprits. Comme le souligne Jasilyn Charger « ce n'est pas notre pro- blème, c'est aussi votre problème. C’est le problème des humains. Mais nous, nous sommes une génération » (ma traduction). Ici, elle identifie un enjeu universel, mais souligne le rôle particu- lier de sa génération, en écho aux prophéties de la Danse des esprits. La pratique de faire un acte collectif de spiritualité, tel que la Danse des esprits, ancre le mouvement dans la continuité de l'héritage de résistance des Autochtones dans cette région, mais elle est transformée pour s’adap- ter à la façon dont les jeunes perçoivent le besoin de se joindre à d'autres groupes et personnes

qui veulent voir le monde colonial transformé. Ainsi, l'action de l'organisation rappelle le passé, mais le mobilise pour créer une certaine manière d'être pour la jeunesse autochtone aux États- Unis. Selon une interprétation du « présent autochtone » articulé par l'IIYC, leur lutte est simi- laire à celle d'autres minorités, leur communauté autochtone est internationale, et le monde déco- lonial se réalisera à travers la protection de la Terre et le démantèlement des structures d'oppres- sion en se joignant à tout le monde… y compris à des non-Autochtones.

Dans le cas des Tiny House Warriors, nous constatons la manière dont l'identité féminine des ac- tivistes façonne la réappropriation du territoire et l'affirmation de la loi coutumière des Secwe- pemc. Le « présent autochtone » féminin est aussi mis en relation avec le passé, notamment en écho au langage utilisé dans le mémorial Laurier. On pense par exemple à la citation de Kanahus Manuel dans un vidéo publié le 1er mai 2018 : « Ce pipeline viole les droits de l'homme. Et ce pipeline viole et continue et continuera de violer les femmes autochtones et le processus de prise de décision. Nous sommes les détentrices de titres sur nos terres. En tant que femmes autoch- tones. Nous sommes les détentrices du titre » (ma traduction). Cette citation, dont la teneur rap- pelle le mémorial Laurier, fait valoir que la construction du pipeline brime les droits des femmes autochtones et le processus traditionnel de prises de décisions dans la communauté.

Pour résumer, nous voyons que les deux mouvements reprennent des idées et des pratiques héri- tées du passé, tout en les adaptant à leurs circonstances présentes. L'acte collectif de spiritualité associé à la Ghost Dance est réapproprié par les jeunes à Standing Rock pour être partagé avec tous ceux et celles qui pourraient ou voudraient participer à engendrer un monde décolonial. L'affirmation juridique du titre ancestral et la demande que le Canada respecte ses propres enga-

gements (des thèmes centraux du mémoriel Laurier) sont reprises par des femmes secwepemc afin de souligner les conséquences directes que le non-respect de ce titre entraîne pour la sécurité des femmes et des filles dans leurs communautés. Simplement dit, il y a, à l'évidence, dans les discours de ces activistes un héritage de résistance qui a été adapté aux réalités contemporaines de ces groupes spécifiques lors de leurs mouvements de réoccupation contre des projets d'oléo- duc.

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