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La poursuite d’un idéal plus que d’une personne ?

Section 2 : Qualification et polyvalence

C. La poursuite d’un idéal plus que d’une personne ?

Nous avons vu les formes de polyvalence que nous pouvions retrouver dans une structure ou dans le parcours d’un employé. Nous allons maintenant nous intéresser à la réalisation de cet objectif de polyvalence. Nous sommes donc en mesure de nous demander si cette théorie n’est pas un idéal totalement inaccessible.

Un employé qui soit totalement polyvalent, connaisse tous les sujets, toutes les missions d’une structure et qui, en plus de cela, sache les réaliser à la perfection semble assez utopique. Il serait le rêve de nombreuses structures. Un employé avec un salaire correct, disons quelques centaines d’euros au-dessus du SMIC, et qui soit capable d’absolument tout faire. Vision idéalisée d’un employeur, position moins avantageuse pour le salarié en question.

La théorie de Darwin portait sur les mécanismes de la sélection naturelle des espèces. La polyvalence peut être un des effets lointains de cette théorie. L’homme s’adapte depuis la nuit des temps. L’acquisition de nouvelles compétences nous est naturelle c’est pourquoi nous pouvons avancer que la spécialisation n’empêche pas la curiosité et l’envie d’apprendre. Pour donner suite à ce que nous avons avancé, l’employé culturel est bien un employé passionné. Il sait dès le début de sa carrière que toutes les activités et missions qu’il réalisera ne seront pas nécessairement inscrites dans sa fiche de poste. Même s’il est motivé par son travail, son employeur ne peut pas non plus tout exiger de lui.

Les budgets, sujet sensible du domaine culturel, ne permettent pas de proposer des salaires très élevés. Comme nous l’avons montré, les salaires du secteur privé sont plus intéressants que ceux du secteur culturel. Alors, trouver un employé qui corresponde à tous les critères d’une fiche de poste et accepte le salaire proposé doit être passionné pour subsister dans la structure. Il est aussi possible que certaines structures publient des offres qui paraissent impossibles où il est mentionné que les employeurs recherchent quelqu’un en sortie d’études, mais qui aurait déjà 5 ans d’expérience dans le domaine. Ces paradoxes illustrent très bien les tensions entre réalité et idéal pour un employeur.

Si on ajoute la polyvalence dans l’équation, les volontés d’un employeur concernant son personnel sont encore plus complexes. Évidemment, des qualités d’adaptation sont nécessaires surtout lorsqu’une structure crée et organise des événements. Comme nous l’avons déjà mentionné, chaque événement et chaque soirée nécessite des compétences et une maîtrise très

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particulière des aléas pouvant survenir lors de ce type de manifestation. Ces savoirs si spécifiques ne se retrouvent que très rarement dans des bureaux.

Une entité culturelle doit également s’adapter et évoluer. La polyvalence ne peut concerner uniquement les employés d’une structure. Elle concerne également la vision globale que peut avoir le public à propos d’elle. Dès lors, une structure ayant une forte inertie est beaucoup moins à même de réaliser de nouveaux projets et d’intéresser de nouveaux spectateurs. C’est un travers qui ne peut pas être sous-estimé par les entités créatrices d’événements. La nature humaine implique le besoin de sortir d’une routine, d’être témoin ou acteur de nouvelles choses, parfois jusqu’à participer à des activités porteuses de sens pour lui. Une structure proposant inlassablement le même spectacle ou la même activité se déroulant toujours exactement de la même façon n’aura pas lieu de perdurer. Le public pourrait y être ponctuel, au sens où il assisterait peut-être à une proposition de la structure, mais son intérêt ne serait pas renouvelé. Dans le pire des cas, la structure verrait un désagrégement de son public et un désengagement qui deviendrait néfastes à sa survie. Évidemment, cette situation dystopique n’existe pas aujourd’hui. Tout employé du domaine culturel est conscient qu’il faut se renouveler et proposer différentes activités.

Même si une structure culturelle est spécialisée dans sa définition, elle peut proposer différentes choses autour de son activité principale. Une structure culturelle est spécialisée au sens où une galerie de peinture sera bien plus à même d’exposer des toiles que de projeter des films. Une salle de cinéma quant à elle sera plus spécialisée dans la projection que dans le spectacle vivant. Un théâtre sera plus susceptible de proposer des pièces que des opéras et ainsi de suite. Cela ne veut pourtant pas dire que des formes hybrides ne peuvent naître, mais, comme nous l’avons montré pour un employé, il faut un minimum de spécialisation pour qu’une équipe ne se perde pas en projets divers.

Il est alors possible d’envisager que ce que nous appelons « polyvalence » ne provienne pas de l’organisation d’une structure culturelle, mais bien directement des employés qui y travaillent. Comme nous l’avons exploré, le carcan institutionnel est sensiblement le même depuis la Révolution Française. Une structure existe par le biais de règles et de lois qui lui sont imposées. Elle doit répondre à ces obligations pour pouvoir prospérer. Les lois sont alors sensiblement les mêmes dans les structures du même domaine (Cinéma, théâtre, opéra, compagnie, galerie…), mais ce qui va nettement influer sur l’orientation et les projets de ces entités ce sont les employés. En fonction des compétences et des centres d’intérêt de chacun, il

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sera alors possible de développer certains types de projets. L’ambition d’un employé totalement formé sur tous les domaines peut alors refaire surface. Cependant, nous sommes tout à fait conscients que ce n’est pas possible. C’est ce qu’appuie également Patrick Micheletti dans l’ouvrage que nous avons déjà cité :

« L’individu transfère donc à son emploi un accroissement du niveau général des connaissances ou de l’habileté et des améliorations, le transformant en apprentissage permanent. C’est, en réalité, l’individu qui façonne son emploi et non l’inverse, car l’emploi est une base théorique qui doit être élaborée et testée sur le terrain. »

Spécialisation et polyvalence sont alors les deux termes d’un affrontement que nous pouvons encore débattre. Il nous semble évident que l’un ne puisse exister sans l’autre. L’employé culturel à toute épreuve serait un salarié extrêmement spécialisé dans le même domaine que celui de sa structure employeuse et, en même temps, curieux de tout, expérimenté de façon globale sur l’ensemble des missions pouvant échouer à une équipe et prêt à travailler pour un salaire précaire. Encore une fois, nous constatons qu’un tel employé n’existe pas.

Cela ne signifie pas pour autant qu’une version plus réaliste n’est pas possible. Puisqu’il faut des personnes capables de réaliser un travail de permanence à des horaires de bureau afin de faire avancer des projets, un salarié peut être capable de répondre à ces contraintes. Un salarié à qui l’on demande en plus d’assister et d’aider lors de la réalisation de projets peut être trouvé aisément également. Surtout dans le secteur culturel où les employés sont informés, dès leur prise de poste, qu’ils devront assurer une présence lors de certaines soirées ou de certains week- ends. Lorsque les missions sont clairement inscrites et expliquées, cela ne pose pas vraiment de problème. Dès lors où des missions supplémentaires à une fiche de poste sont régulièrement demandées à un employé, ces actions en dehors de son champ de compétence semblent nécessiter une récompense. Que cette récompense concerne une augmentation de salaire, puisqu’il a plus de responsabilités qu’au départ ou une validation de compétences, l’employé s’impliquant dans son travail a besoin de cette reconnaissance. Au risque d’être démotivé en cas d’implication personnelle sans avoir une quelconque appréciation de la part de ses supérieurs.

Nous sommes ici très loin de l’idéal évoqué au début de cette réflexion. Même si les attendes d’un employeur sont souvent plus élevées que les capacités des candidats à un poste, la réalité demande de faire la part des choses. La polyvalence est un réel atout pour un employé, elle est même nécessaire dans beaucoup de domaines puisque chaque mission peut évoluer et

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demander de nouvelles compétences. Cependant, le monde institutionnel français nous pousse à la spécialisation dès le début de nos études. Nous devons alors pallier les soucis de chaque position. De ce fait, l’employé culturel ne peut répondre à toutes les attentes d’une structure, mais il peut apprendre et évoluer au contact des missions qui lui seront transmises. Quant au salaire, c’est à chacun d’y chercher un chiffre le plus juste possible. Tout provient d’un équilibre que chacun doit trouver. S’il est possible d’idéaliser l’employé culturel, la réalité est loin de l’image que l’on peut en espérer. La polyvalence n’est pas un idéal inatteignable, seulement il ne faut pas trop en attendre d’elle et rester très pragmatique quant aux compétences des salariés. Nous pouvons maintenant nous intéresser à la réponse des employés face à cette quête de polyvalence dans le secteur culturel. Nous allons nous demander s’il est possible pour un employé de répondre à la demande en nous appuyant sur les formations et déformations opérées dans le secteur. Puis nous verrons si le secteur culturel est réellement un monde en perpétuelle mutation.

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Chapitre 2 : Est-il possible pour un employé de s’adapter à la demande ?

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