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La politique pénale de la Cour pénale internationale

Section 1 : Les conditions relatives à l’engagement des poursuites

E) La politique pénale de la Cour pénale internationale

a) Les conditions entourant la recevabilité d’une affaire

L’article 14 (1) du Statut de Rome dispose que « tout Etat partie peut déférer au Procureur une situation dans laquelle un ou plusieurs des crimes relevant de la compétence de la Cour paraissent avoir été commis, et prier le Procureur d'enquêter sur cette situation en vue de déterminer si une ou plusieurs personnes identifiées devraient être accusées de ces crimes ». L’article 15 (1) du Statut de Rome dispose que le Procureur peut également « ouvrir une enquête de sa propre initiative au vu de renseignements concernant des crimes relevant de la compétence de la Cour ».

L’article 17 (1) du Statut de Rome liste une série de critères encadrant la recevabilité d’une situation. L’article 17 (1) (d) dispose « qu’une affaire est jugée irrecevable par la Cour lorsque l’affaire n’est pas suffisamment grave pour que la Cour y donne suite ». Dans ce cas, une enquête ne peut être ouverte conformément à l’article 53 (1) (b)221. La notion de gravité, pourtant peu utilisée dans le Statut de Rome est une condition tenant à la recevabilité d’une situation. Cela revient à dire que la seule commission d’un crime international ne permet d’engager automatiquement la compétence de la Cour, encore faut-il que ce crime soit suffisamment grave.

b) L’appréciation de la gravité comme critère de recevabilité

C’est dire alors que la gravité d’une affaire est laissée à l’appréciation du Procureur. Le principe de l’opportunité des poursuites est alors applicable. Celui-ci s’oppose au principe de légalité des poursuites. L’opportunité des poursuites était déjà applicable devant les tribunaux ad hoc. Le Procureur était alors « titulaire d’un pouvoir discrétionnaire dans le

Statut de Rome de la Cour pénale internationale, 1er juillet 2002, Recueil des Traités des Nations unies, vol. 221

2187, n° 38544, Article 53 (1) (b) : « Le Procureur, après avoir évalué les renseignements portés à sa

connaissance, ouvre une enquête, à moins qu'il ne conclue qu'il n'y a pas de base raisonnable pour poursuivre en vertu du présent Statut. Pour prendre sa décision, le Procureur examine si Si l'affaire est ou serait recevable au regard de l'article 17 ».

choix des poursuites et dans la détermination de sa politique criminelle »222. Son pouvoir absolu se caractérisait en effet par le choix d’enclencher ou non des poursuites ou encore de les suspendre.

Le critère de gravité de l’article 17 a été utilisé par le Procureur de la Cour pénale internationale à partir de 2005223. Il a notamment été invoqué « pour expliquer le refus d’ouverture d’une enquête sur les allégations de crimes de guerre (traitements inhumains et meurtres)224 par des soldats britanniques en Iraq, lors du premier examen préliminaire dont cette situation a fait l’objet, ainsi que la situation relative aux navires battant pavillon comorien, grec et cambodgien (dite « Affaire de la flottille de Gaza »225)

»

226.

Dans l’affaire relative aux agissements des soldats britanniques en Irak, le procureur a estimé que malgré que les crimes en question ressortaient bien de la compétence matérielle de la Cour pénale internationale, ces derniers n’étaient pas suffisamment graves au regard des autres situations dont la Cour était en charge à l’époque à savoir le Soudan, l’Ouganda et la République démocratique du Congo.

L’on peut encore une fois s’interroger sur les poursuites engagées contre Al-Mahdi. Ce dernier a été déclaré coupable de crime de guerre consistant en la destruction de biens cultuels. L’auteur a donc été déclaré coupable227 alors qu’aucune personne physique n’a été tuée. Toutefois, lors de l’ouverture de l’enquête en janvier 2013, d’autres crimes étaient visés. En effet, dans le Rapport établi au titre de l’article 53-1 du Statut de Rome, le Bureau du procureur avait signifié que, dans le contexte de la rébellion dans le nord du pays, des tombeaux musulmans avaient été délibérément endommagés dans la ville de Tombouctou, des bases militaires ont été attaquées à Gao, Kidal et Tombouctou, 70 à 153 détenus auraient été LE GALL, E., « L'opportunité des poursuites du procureur international : du pouvoir arbitraire au contrôle 222

insuffisant », in Revue internationale de droit pénal, Vol. 84, 2013, pp. 495-514.

SCHABAS, W., « Prosecutorial discretion v. judicial activism at the International Criminal Court », in 223

Journal of international criminal justice, 6 (4). 2008, pp. 731-761.

Bureau du Procureur, février 2006, Réponse du BDP concernant les communications reçues à propos de 224

l’Irak.

Bureau du Procureur, 14 mai 2013, Referral of the « Union of the Comoros » Under Articles 14 and 12(2)(a) 225

of the Rome Statute arising from the 31 May 2010, Gaza Freedom Flotilla situation.

MAGNOUX, C., « The Sound of Silence : le pouvoir discrétionnaire du Procureur de la Cour pénale 226

internationale à travers l’utilisation des critères d’intérêts de la justice et de gravité lors de l’ouverture d’une enquête », in Revue québecoise de droit international, Décembre 2017, pp. 9–36.

Voir infra, p. 83. 227

exécutés à Aguelhok, et des actes de pillage et de viol auraient été commis. Par ailleurs, des cas de torture et des disparitions forcées avaient été signalés dans le contexte du coup d'Etat militaire.

Le critère de gravité a été interprété pour la première fois par la Chambre préliminaire I dans l’affaire Lubanga et plus particulièrement dans la décision relative à la Requête du Procureur aux fins de la délivrance d’un mandat d’arrêt en vertu de l’article 58228. Selon la Cour, le critère de gravité de l’article 17 était atteint si trois considérations étaient prises en compte; à savoir, si le comportement mis en cause dans l’affaire est à grande échelle ou systématique et a provoqué l’indignation de la communauté internationale, si les personnes soupçonnées entrent dans la catégorie des plus hauts dirigeants et enfin si la personne portant la plus haute responsabilité l’est du fait du rôle joué par son organisation dans la perpétration des crimes ou du fait de son rôle dans cette organisation quand les crimes sont commis. Le critère a été précisé par le Bureau du procureur. L’examen de la gravité des crimes « peut être mené selon une approche tant quantitative que qualitative »229, l’approche qualitative étant entendue comme celle « qui s’intéresse aux circonstances des crimes »230. Il semble donc que le filtre opéré par le procureur ne soit pas subordonné à la nature du crime international, mais aux circonstances de ces crimes.