• Aucun résultat trouvé

CHAPITRE 3 DE LA VISION À L’APPLICATION : LES MÉCANISMES DES

3.2.3 LA NOTION KINGIENNE DU GLISSEMENT INSIDIEUX DE

Essentiellement, nous critiquons le mécanisme du glissement sur deux points. En premier lieu, notre critique porte sur la « rencontre de deux mondes » dans l’histoire d’horreur. King devrait préciser la nature de cette rencontre : est-ce que cette rencontre est la rencontre (le passage) du monde fictionnel naturel au monde fictionnel surnaturel ? En amalgamant l’horreur et le fantastique, King (1995a : 42) ne prend pas en considération la possibilité de leur séparation : l’horreur pure, le fantastique pur et l’horreur-fantastique (mélange à divers degrés). En suivant cette logique, seulement l’horreur-fantastique, qui se range dans le merveilleux (interprétation surnaturelle du monde), offrirait la possibilité d’un véritable glissement d’un monde à l’autre. Par conséquent, la notion de glissement ne serait pas universelle. En guise d’exemple, la légende urbaine Le Crochet relève de l’horreur pure : sans hésitation, tout converge vers une explication naturelle du monde fictionnel. Tout bien considéré, le fait que

48 Notons qu’un personnage antagoniste peut avoir la figure du mentor au début de l’histoire ou tout le long de

King catégorise l’horreur comme un sous-genre du fantastique lui fait généraliser la notion du glissement sans considérer la possibilité de l’horreur sans la présence du fantastique. En définitive, King (1981 : 81 et 310) aurait intérêt à préciser ce qu’il entend par un « glissement » et par des « notes discordantes ». Au fond, peut-être qu’il entend par cela une sorte de progression vers un paroxysme sans le passage obligatoire d’un monde à l’autre (l’horreur deviendrait de plus en plus présente dans l’histoire jusqu’à ne plus laisser de place à autre chose). Chose certaine, des précisions sont nécessaires puisque la notion du glissement est en lien plus ou moins direct avec la notion des genres (fantastique et horreur). Mentionnons qu’en sémiotique, Rastier (dans Hébert, 2014 : 255) propose une conception de l’imaginaire symbolique (les trois zones anthropiques) qui renchérit les propos de Todorov quant à la frontière entre le naturel (étrange) et le surnaturel (merveilleux) que nous retrouvons dans le fantastique :

Le niveau sémiotique de l’entour humain se caractérise par quatre décrochements ou ruptures d’une grande généralité, qui semblent diversement attestés dans toutes les langues décrites, si bien que l’on peut leur conférer par hypothèse une portée anthropologique. [...] Les homologies entre ces ruptures permettent de distinguer trois zones : une de coïncidence, la zone identitaire ; une d’adjacence, la zone proximale ; une d’étrangeté, la zone distale. La principale rupture sépare les deux premières zones de la troisième. En d’autres termes, l’opposition entre zone identitaire et zone proximale est dominée par l’opposition qui sépare ces deux zones prises ensemble à la zone distale. Ainsi se distinguent un monde obvie (formé des zones identitaire et proximale) et un monde absent (établi par la zone distale). Les trois zones [...] sont créées, instituées, peuplées et remaniées sans cesse par les pratiques culturelles.

Somme toute, il est possible de retrouver de l’horreur en restant dans les deux premières zones (identitaires et proximales), c’est-à-dire sans tomber dans le surnaturel, dans la zone distale. Dans le cadre d’une autre recherche, il serait d’ailleurs intéressant de réfléchir sur les idoles dans l’horreur. Ils sont des médiateurs entre les deux premières zones et la zone distale, la troisième

zone. Dans l’ensemble, nous pourrions peut-être distinguer deux sortes d’idoles : positives (ex. Dieu, dieux, anges, etc.) et négatives (vampires, diable, démons, etc.).

En deuxième lieu, si le glissement à lieu, il ne respecte pas les règles que lui confère King. Primo, le glissement ne s’effectue pas toujours lentement, progressivement, insidieusement; d’ailleurs, dans la pratique, King ne suit pas toujours sa propre théorie. Par exemple, la nouvelle « Une sale grippe » (« Night Surf ») dans le recueil Danse Macabre (« Night Shift ») de King (1976 : 114), plonge immédiatement les personnages dans un univers parallèle postapocalyptique et commence par cette phrase : « Lorsque le type fut bien mort et que l’odeur de sa chair calcinée se fut dissipée, nous reprîmes tous le chemin de la plage. » Au contraire, lorsque le glissement a lieu, King aurait de surcroît dû ajouter quelques précisions sur son rythme. Dans la typologie de Genette (1972 : 82), il existe au moins trois bris de la temporalité, qui se présentent chacune avec ses particularités : l’analepse (ou le retour en arrière), la prolepse (ou l’anticipation) et l’anachronie. Afin de donner raison à King quant au rythme du glissement lorsqu’il a bel et bien lieu, il est parfois crucial de redonner au récit sa temporalité première, sa chronologie originale en enlevant les différents bris temporels. Par exemple, le récit peut commencer avec une fille qui court dans une ruelle, puis revenir douze heures auparavant à la situation initiale : il y a donc la présence d’une prolepse (la révélation d’un évènement à venir) ou d’une analepse (un retour en arrière), selon l’action que l’on prend comme point de repère. Également, la temporalité est toujours double ; du point de vue narratologique, King aurait donc eu avantage à différencier le temps du récit (TR) et le temps de la narration (TN) de Genette (1972 : 77). En guise de synthèse, disons que le temps de la narration est de l’ordre des évènements tels que racontés (la temporalité du récit), alors que le temps du récit, selon le

chercheur (Genette, 1972 :77), est de l’ordre des évènements tels qu’ils se sont passés dans leur monde fictionnel :

Le récit est une séquence deux fois temporelle : il y a le temps de la chose-racontée et le temps du récit (temps du signifié et temps du signifiant). Cette dualité n’est pas seulement ce qui rend possibles toutes les distorsions temporelles qu’il est banal de relever dans les récits (trois ans de la vie du héros résumés en deux phrases d’un roman, ou en quelques plans d’un montage « fréquentatif » de cinéma, etc.) ; plus fondamentalement, elle nous invite à constater que l’une des fonctions du récit est de monnayer un temps dans un autre temps. La dualité temporelle si vivement accentuée ici, et que les théoriciens allemands désignent par l’opposition entre erzählte Zeit (temps de l’histoire) et Erzählzeit (temps du récit) […].

Puisque nous avons différencié l’histoire du récit (sa mise en forme narrative), nous emploierons les termes le temps de l’histoire (TH) et le temps du récit (TR) afin d’éviter toute confusion. En d’autres mots, King aurait intérêt à développer sa pensée sur la double nature de la temporalité narrative (TH et TR) lorsqu’il y a effectivement un glissement progressif vers un autre monde (la présence du surnaturel).

3.2.4 UNE NARRATOLOGIE DE L’HORREUR : LA MONSTRATION INTERNE ET