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6 La notion de reconnaissance

Valeurs Savoirs

IV- 6 La notion de reconnaissance

L’énoncé introductif de la commande est exprimé en termes d’insatisfaction et de manque de reconnaissance « le groupe professionnel des aides-soignantes expriment une insatisfaction en terme de reconnaissance du travail effectué ». Il s’agira donc d’explorer le cadre conceptuel de la demande de reconnaissance.

La demande de reconnaissance est devenue une composante essentielle de la vie au travail. Elle touche toutes les organisations, privées et publiques, et toutes les professions, du bas en haut de la hiérarchie.

Par ailleurs, il ne peut pas y avoir d’intervention si on ne comprend le système dans lequel il faut intervenir. Si la commande initiale cherche à trouver des raisons à un des symptômes touchant les aides-soignantes (la recherche de reconnaissance), la réponse ne serait pas complète sans interroger l’organisation qui porte ces

symptômes.

Les acteurs d’une organisation se distinguent en cinq catégories selon Henry Mintzberg77 : les centres opérationnels (les opérateurs), le sommet stratégique (directeurs et adjoints), la ligne hiérarchique (tous les échelons intermédiaires entre les directeurs et les opérateurs), les analystes (concepteurs de process, normes, procédures et règlement intérieur, formateurs, évaluateurs, comptables) et personnels de support logistique (relation publique, service juridique, service courrier,

restauration, nettoyage des bâtiments) .

A l’hôpital, l’ensemble des opérateurs délivrent des services. Ils sont soit qualifiés (chirurgiens, biologistes, pharmaciens…) avec des diplômes de l’enseignement supérieur, modérément qualifiés (aides-soignants, technicien de surface), ou pas

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qualifiés (agents de service) avec des niveaux d’instruction plus bas. Toutes les autres qualifications se trouvent à l’exact intermédiaire des 2 extrêmes (infirmières, techniciens de laboratoires, préparateurs en pharmacie, ouvriers qualifiés…). Selon J. Nizet et F. Pichault78, il y a utilisation par l’organisation des savoirs et savoir faire acquis par les catégories d’acteurs de niveau V, et, selon les cas, reconnaissance ou non.

On peut donc d’ores et déjà se poser la question « l’aide-soignante est-elle reconnue dans son quotidien de travail auprès des patients à l’hôpital ? ». Dans les entretiens, cette demande de reconnaissance s’exprime ainsi :

« Nous, on aime notre travail…. On fait notre travail correctement…on est valorisé quand on fait bien son travail » […] Parfois on ressent un manque de reconnaissance, mais on se valorise soi-même par rapport aux soins qu’on prodigue »

Ou encore

« On aurait besoin qu’on nous dise parfois qu’on a bien bossé, qu’on a fait du bon boulot…pour nous rebooster » […] Le retour c’est un sourire, un merci… c’est ça la reconnaissance…on se dit qu’on a apporté un peu de joie de vivre, de bonheur… […] « Quand les médecins nous demandent notre avis, il y a une considération, on trouve sa place ».

On ressent bien dans ces propos l’écart entre un besoin criant de reconnaissance de leur travail et la satisfaction du peu qu’elles en retirent (un sourire, un merci). Comme si, ne trouvant pas de reconnaissance suffisante de la part de l’institution, elles en trouvaient elles même la parade ; « on se valorise soi-même par rapport aux soins qu’on prodigue », dans les retours que peuvent leur faire les patients. Elles savent naturellement que ces petits actes, peu visibles de l’extérieur, deviennent tout à fait importants pour ceux qui les reçoivent. Walter Hesbeen79 dit « « Il n’y a pas de

78 Introduction à la théorie des configurations, du « one best way » à la diversité organisationnelle,

Ed. de Boeck, 2007

petits ou grands actes de soins, il n’y a que des actes qui prennent de l’importance aux yeux

du sujet ».

Selon Christophe Dejours, la reconnaissance a un double sens : la gratitude d’une part et la

reconnaissance de la réalité d’autre part.

La reconnaissance qu’ont les patients par rapport à ces petits actes de soins ou cette gratitude est similaire à ce que Christophe Dejours appelle le jugement d’utilité. En fait le jugement

d’utilité porte sur la reconnaissance que le sujet travaille bien, qu’il est utile et qu’il peut aussi avoir des manières qui le distinguent des autres80. C’est ce qu’apprécie le patient, des petites attentions, un sourire, un bavardage, lui prendre la main…. Ce jugement d’utilité est bien diffèrent du jugement beauté qui, lui, est en général émis par la hiérarchie ou les pairs et porte sur la contribution singulière et collective à l’organisation du travail. Il s’annonce toujours en termes esthétiques « c’est du beau travail », il est beaucoup plus rationnel, il peut se quantifier (les toilettes ont bien été effectuées, les mesures d’hygiène ont été respectées, les repas ont été servis en temps et en heure, la traçabilité est écrite… etc….).

Ce jugement de beauté peut être porté par le secteur paramédical mais aussi par les médecins :

« Lors d’une réunion l’autre jour, le médecin nous a valorises, elle nous a

remerciées tout particulièrement…elle a dit qu’on savait prendre des initiatives, qu’on était rigoureuses, qu’on était des atouts majeurs… évidemment ça fait du

bien ! ».

Nous le voyons bien, les aides-soignantes ont un vrai besoin de se sentir utiles et investies. La reconnaissance passe aussi, et avant tout, par la communication. Il est important de prendre conscience que la communication inter-soignants est

essentielle.

Elle est l’essence même de la dynamique (individuelle ou de groupe) et du sens et de l’intérêt que l’on porte à ce qu’on fait.

80 C. Dejours (1993), De la psychopathologie à la psychodynamique du travail. Addendum à la 2e