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3.2 Une séparation difficile à gérer pour les enseignants

3.2.7 La notion de danger externe et danger interne

En originant l’angoisse dans le danger de la séparation et de la perte de l’objet, ainsi que celui de la castration, il semblerait tout d’abord que Freud mette l’accent sur le danger

113 Freud, S. ibid, p.53 114

Freud, S. (1926/1993). ibid, p 67, Le premier des désaides (ou détresse) résulte selon Freud de l’état d’inachèvement dans lequel « l’enfant d’homme est envoyé dans le monde » : « Le facteur biologique est l’état de désaide et de dépendance longuement prolongé du petit d’homme. L’existence intra-utérine de l’homme apparait face à celle de la plupart des animaux relativement raccourcie ; l’enfant d’homme est envoyé dans le monde plus inachevé. L’influence du monde extérieur réel en est renforcée,[…] les dangers du monde extérieur rehaussés dans leur significativité et la valeur de l’objet, qui seul peut protéger contre ces dangers et remplacer la vie infra-utérine perdue, énormément accrue. Cette situation instaure les premières situations de danger… »

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extérieur plutôt qu’intérieur quant à l’apparition de l’angoisse. Il répond lui-même à cette objection :

« On peut objecter que la perte de l’objet (la perte de l’amour de la part de l’objet) et la menace de la castration sont des dangers qui menacent de l’extérieur au même titre qu’une bête féroce par exemple et qu’ils ne sont donc pas des dangers pulsionnels. Mais le cas n’est pourtant pas le même. Il est vraisemblable que le loup nous attaquerait quelle que soit la façon dont nous nous comportons envers lui, alors que la personne aimée ne nous retirerait pas son amour et nous ne nous verrions pas menacés de castration si nous ne nourrissions, en notre for intérieur, certains sentiments et certaines intentions. Ainsi ces motions pulsionnelles deviennent des conditions déterminant le danger extérieur et de ce fait deviennent elles-mêmes dangereuses ; nous pouvons maintenant combattre le danger extérieur par des mesures prises contre les dangers intérieurs » (Freud, 1926115). Cependant, l’inverse vaut également et Freud ajoute que « souvent la revendication pulsionnelle ne devient un danger (intérieur) que parce que sa satisfaction entraînerait un danger extérieur, donc parce que ce danger intérieur représente un danger extérieur » (ibid)116. Le besoin, donc la pulsion, porte en lui-même les germes de l’angoisse, cette angoisse étant amplifiée ou contenue (atténuée) par les conditions extérieures.

Comme je viens de le développer en référence à la théorie freudienne, la problématique inconsciente de perte ou de séparation peut servir de fil conducteur à la compréhension psychodynamique de formes d’angoisse et ceci à toutes les étapes du développement psychoaffectif. Ces références aux stades précoces de développement par les problématiques narcissiques observées lors des entretiens présenteront pour moi un intérêt dans les analyses de mes entretiens cliniques.

En effet de manière conceptuelle, les théorisations freudiennes et kleiniennes que je viens de décrire sur l’angoisse de séparation dans la relation objectale, introduisent à l’origine et à l’importance des affects de culpabilité et au ressenti d’impuissance dans les processus de séparation et de maturation psychique ; il s’agit d'affects que j’ai précisément relevés dans mes entretiens. Si la notion d’impuissance renvoie à la détresse du nourrisson, la culpabilité est une manifestation chez l’enfant du Surmoi naissant ; elle est la conséquence,

115

Freud, S. (1926). ibid, p. 58.

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des fantasmes destructeurs de l’enfant qui croit, dans sa réalité psychique, avoir endommagé et détruit l’objet total.

Le passage de l’école primaire au collège, qui correspond à une séparation dans la réalité, implique également une position et une identité différente entre les enseignants du 1er degré et les professeurs du 2nd degré, dont les enjeux psychiques sont différents. L’école « primaire » entretient et/ou renforce en effet symboliquement ce lien primaire ; la dénomination ne contient-elle pas elle-même ce lien particulier ? L’école primaire correspondrait à l’enfance et à la période de latence ; le collège et le lycée à la puberté, à l’adolescence.

Dans les processus psychiques, toute épreuve de séparation viendrait donc réactiver cette relation objectale, où les motions pulsionnelles internes du sujet pourraient lui faire revivre une éventuelle défaillance de l’objet, source d’angoisse. Que cela soit par le sentiment d’abandon ou de surinvestissement de l’objet, ces angoisses se référeraient à des stades narcissiques du développement infantile.

Le mécanisme de projection de l’enseignant (e) sur son élève, opérant un retour de son soi- élève/collégien à travers des pages revisitées de son propre parcours scolaire, prendrait la forme d’une angoisse sociale quant à un processus inconscient de peur pour le collégien d’être délaissé par le Surmoi protecteur, renforcée dans le cas de l’élève en grande difficulté qui ne répond pas aux exigences et aux attentes de l’école.

Cette épreuve ne pouvant être dépassée que par l’intériorisation d’un bon objet en soi, support d’un auto-étayage et d’une renarcissisation, elle conduit à la nécessité de trouver des voies d’éconduction pour reprendre le terme de Freud. Le processus de dégagement que j’ai repéré chez certaines enseignantes serait à rapprocher de ce terme d’éconduction. Je proposerai donc de relier le concept d’angoisse signal et les processus d’éconduction qui y sont associés selon Freud, au processus de dégagement mis en place dans ce contexte par l’enseignante pour se prémunir contre une situation vécue comme insupportable (l’échec de ces élèves), au moyen d’objets culturels ; dégagement de processus internes à partir d’objets externes, socialement reconnus et valorisés qui permettraient à l’enseignant de se ressourcer au niveau de son soi-enseignant. Le recours à des éléments culturels

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participerait à créer le bon objet, c'est-à-dire, l’élève qui réussit, participant à renarcissiser117 l’enseignant dans sa fonction.

Avant de poursuivre je me dois de préciser ici la notion de narcissisme à travers la définition qu’en donne B. Pechberty (2003)118

rappelant que le narcissisme désigne « les bases libidinales fondatrices du Moi et du sentiment d’identité ». Les questions liées à l’idéalisation et aux valeurs s’enracinent dans le narcissisme dont le développement est soumis aux différentes instances. L’auteur se réfère aux modèles théoriques proposés par J. Laplanche et J. Lacan, soulignant l’importance des liens entre l’image de soi, la relation au semblable et à autrui. Il s’agit alors « de penser les mouvements de projection et d’identification du soi-professionnel de l’enseignant et de ses différentes parties (soi- enseignant et soi-élève) avec les publics réels d’élèves ». Il précise enfin que « le narcissisme peut être source de régression, assurant des positions de retrait et de repli face à des situations conflictuelles internes ingérables, mais aussi base de sécurité et d’appui pour préserver un équilibre et un lien à la situation » (ibid).

Si je reprends maintenant le fil de mon propos, la mise en évidence du concept de séparation en fin d’école primaire me conduit à me poser deux questions :