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La négociation et les relations interpersonnelles

CHAPITRE V L’(in)égalité de traitement des demandeurs

5.2 La négociation et les relations interpersonnelles

Deuxièmement, la relation entre demandeur et coordonnateur et le devoir d’assistance sont aussi marqués par une dynamique de relations interpersonnelles et de négociation entre acteurs. Le succès du processus de demande repose aussi sur la capacité des deux acteurs de développer leur relation et d’obtenir un résultat de négociation qui sert aux deux parties. D’abord, les coordonnateurs ont différentes approches envers les demandeurs. Certains préfèrent, à la suite de la requête, contacter directement le demandeur par téléphone, afin de créer dès le départ un lien313, alors que d’autres font tout par écrit avec des lettres

officielles314. Dans tous les cas, le BAI doit envoyer un accusé de réception, mais le contact

peut aussi être effectué pour enjoindre au demandeur de préciser sa demande. Évidemment, ces deux façons de faire peuvent créer différents délais selon les ministères, celle utilisant uniquement la communication écrite étant nécessairement plus lente que le coup de téléphone direct. Des coordonnateurs nous ont informé prioriser la relation de confiance entre le demandeur et l’équipe d’AI, et ainsi préférer le téléphone pour que le demandeur ait un interlocuteur humain avec qui il peut préciser sa demande315. D’autre vont assigner

des demandeurs citoyens ou médias avec des analystes qu’ils connaissent déjà (dans le cas où l’identité du demandeur est connue) et avec lesquels ils ont déjà développé une relation établie316. Il y a donc plus d’une façon d’entretenir une relation avec les demandeurs, mais

dans tous les cas, la relation, ou le contact avec le demandeur, nous semble très important pour les coordonnateurs, notamment lorsque ceux-ci, doivent pour bien répondre à la demande, entrer dans une dynamique de négociation.

Ainsi, il est apparu que plusieurs coordonnateurs vivent un dilemme sur la question de la négociation avec le demandeur. Le coordonnateur doit, dans plusieurs cas, contacter le demandeur pour préciser la requête quand elle n’est tout simplement pas claire317. Ils le

font aussi pour tenter de réduire la tâche, surtout si la demande est extrêmement

313 Entrevue 3 314 Entrevue 9 315 Entrevue 10 316 Entrevues 2, 3, 4 317 Entrevue 10

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volumineuse. Cependant, les coordonnateurs ne peuvent non plus perdre trop de temps à négocier la requête ; si le demandeur persiste et ne veut pas la préciser ou la réduire, ce temps sera perdu pour enclencher le processus. L’objectif du coordonnateur est de donner des options aux demandeurs, pour préciser la requête318, notamment dans le cas de

demandeurs abusifs. Certaines requêtes peuvent représenter des mois de travail319, ce qui,

simplement d’un point de vue opérationnel, oblige le coordonnateur à demander une réduction de la demande.

Dans ce contexte, les coordonnateurs n’ont pas beaucoup d’outils pour négocier. Principalement, ce sont les possibles prorogations qui peuvent servir d’outil de négociation320. Les demandeurs qui se voient présenter un délai de plusieurs années sont

obligés de préciser leur requête pour en réduire la portée en termes de nombre de pages afin de réduire ce délai. Les frais de recherche, avant d’être abolis, servaient aussi d’outil de négociation, mais ne sont cependant plus une option pour les coordonnateurs. Certains sont mécontents d’avoir perdu cette option pour réduire les demandes trop volumineuses321.

Les coordonnateurs ont donc, dans cette négociation, un double objectif : réduire la charge de travail au maximum, tout en tentant au mieux de satisfaire le demandeur et de s’assurer qu’il obtienne les documents demandés. Car, nous le rappelons, chaque requête est envoyée au OPI, qui doit trouver et numériser les documents. Les BAI sont conscients que les OPI sont bien souvent débordés et ne pourront pas répondre à une demande de plusieurs dizaines de milliers de pages. La dynamique de négociation est, pour le coordonnateur, un moyen de créer un premier filtre entre l’OPI et le demandeur, afin de faciliter la tâche des unités de service322.

Cependant, plusieurs peuvent associer ces tactiques de négociations à des éléments de la culture du secret, souvent dénoncée par la CAI et par certains auteurs323 . Les

coordonnateurs ont surtout à cœur la protection des documents, et utilisent la négociation

318 Entrevues 1, 10 319 Entrevue 3 320 Entrevue 5 321 Entrevues 1, 4 322 Entrevue 10

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simplement comme un autre outil, comme les exemptions, ou les délais infinis, pour empêcher les demandeurs d’obtenir les documents demandés. Or, bien que ces critiques puissent s’avérer exactes dans certains cas, plusieurs coordonnateurs semblaient plutôt insister sur l’utilité de la négociation dans une perspective de maximisation des efforts d’assistance et de satisfaction client. L’objectif est de faire gagner du temps pour tous. Pour eux, l’objectif de la loi n’est pas de donner accès au plus grand nombre de documents possibles, mais de s’assurer que le demandeur obtient ce qu’il veut. Un exemple nous a été raconté : une requête qui initialement représentait plusieurs millions de pages a finalement été réduite à quelques dizaines à la suite d’une négociation, laissant le demandeur très satisfait324. Dans ce cas précis, le demandeur ne savait pas exactement ce qu’il cherchait,

et c’est la négociation qui lui a permis de préciser sa requête et de la formuler de façon que le BAI puisse lui donner les documents dans un temps raisonnable. La négociation est donc au cœur du processus et est selon nous souhaitable, même si elle peut étirer les délais, simplement pour une question de faisabilité et de service-client.

En résumé, le devoir d’assistance, essentiel à la relation entre demandeur et coordonnateur, est donc marqué par différents niveaux de relations de confiance. Il est caractérisé par des mécanismes de négociation qui, dans certains cas, peuvent se conclure par des résultats satisfaisants pour les deux parties. Mais ils peuvent aussi résulter en échec si le demandeur n’est pas satisfait ou si le coordonnateur se voit obligé de traiter une demande déraisonnable, empêtrant ainsi toute son équipe.