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La lutte pour la suprématie dans l’Océan Pacifique

Dans le document LA CRISE. économique sociale politique (Page 122-126)

L’agression du Japon en Mandchourie, sa pénétration dans la Chine septentrionale et la Mongolie, signifient la rupture violente du pacte des neuf puissances de Washington au sujet de l’exploitation commune de la Chine, pacte qui constituait un élément important de la stabilisation temporaire.

Le centre de gravité de la politique mondiale s’est déplacé de ce fait de l’Europe vers l’océan Pacifique où a commencé déjà le nouveau partage du monde par la violence et où les quatre plus grandes puissances impérialistes : Etats-Unis, Angleterre, Japon et France luttent pour leur quote-part dans l’exploitation de la Chine et, partant, pour la suprématie dans l’océan Pacifique. Cette lutte se complique du fait de l’enchevêtrement des antagonismes impérialistes avec la lutte des deux systèmes et de l’existence de la Chine soviétique, cette deuxième brèche révolutionnaire dans le système de la société bourgeoise.

Pourquoi l’impérialisme japonais a-t-il commencé le premier la lutte armée pour la nouvelle répartition du monde ?

Il serait tout à fait erroné d’interpréter cela comme l’expression de la force de l’impérialisme

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japonais. Au contraire, dans un certain sens ce fut la faiblesse économique du Japon qui poussa les classes dominantes à cette politique de violence. Le Japon est un pays pauvre. Le revenu, par tête, de la population est comparable à celui des pays européens les plus pauvres : Lituanie, Lettonie, Roumanie.

Avec cela, l’inégalité dans la répartition des revenus est plus grande que dans les autres pays capitalistes. Au Japon, il y a d’une façon schématique : 30 milliardaires, 3 000 gens riches, 30 000 gens aisés ; la couche suivante, les paysans et la petite bourgeoisie citadine sont dans leur immense majorité des pauvres gens, le niveau de vie de la classe ouvrière se rapproche de celui des ouvriers coloniaux.

Cette forme extrême de la répartition des revenus restreint la force de consommation de la population au minimum et contraint l'industrie japonaise à chercher pour une grande partie de sa production des débouchés sur tous les marchés extérieurs. Mais étant donné l’âpreté actuelle de la concurrence internationale, les débouchés ne sont assurés que sur des marchés dominés par des monopoles. A cela s’ajoute le fait que le Japon ne possède pas sur son propre territoire (en dehors de la soie et du cuivre), de matières premières en quantité suffisante. Il lui faut importer le fer et l’acier, le coton et la laine, le bois et le pétrole, etc. De là le désir ardent de l’impérialisme japonais de conquérir les régions riches en matières premières afin de pouvoir monopoliser aussi bien les débouchés des produits industriels que l’exploitation des matières premières1.

La politique de conquêtes du Japon a été jusqu’ici couronnée de succès. Les protestations verbales n’ont pas manqué. La Société des Nations a condamné sous une forme prudente la conquête de la Mandchourie. En dehors de San Salvador (démonstration contre les Etats-Unis), aucun pays n’a reconnu l’Etat de marionnettes japonaises du Mandchoukouo. L’Amérique a déclaré solennellement qu’elle ne reconnaissait comme légale aucune modification faite par la violence. Que reste-t-il aujourd’hui de ces protestations sur le papier ?

Les causes en sont les suivantes :

Par l’occupation de la Mandchourie et la pénétration en Mongolie, le Japon élève une barrière militaire entre l’Union soviétique et la Chine soviétique et complète en même temps sa base territoriale pour la guerre contre l’Union soviétique. Dans ce sens, il agit en tant qu’avant-garde de la bourgeoisie mondiale dans la lutte des deux systèmes. C’est pourquoi, au premier stade de son raid de brigandage, le Japon a été soutenu effectivement par l’Angleterre et la France - bien que d’une façon voilée par des gestes pacifiques - alors que l’Allemagne fasciste se plaçait ouvertement aux côtés du Japon.

Ce motif a joué aussi un certain rôle dans l’attitude passive des Etats-Unis2. Mais les éléments décisifs ont été les suivants :

L’antagonisme fondamental anglo-américain ne permet pas actuellement aux Etats-Unis de

1 Le capital japonais a évincé absolument de Corée ses concurrents. Plus de 90 % du commerce extérieur coréen sont monopolisés par le Japon.

2 Il faut souligner que dans le domaine du commerce extérieur il n’y a pas d’antagonismes d’intérêts entre les Etats-Unis et le Japon. Les Etats-Unis sont les meilleurs acheteurs du Japon, ils sont au premier rang de l’exportation, avec environ 40 % et au premier rang de l’importation avec environ 28 % (dans l’importation des Etats-Unis, le Japon occupe la deuxième place et dans l’exportation la quatrième). Il y avait à peine de concurrence sur le marché mondial jusqu’à ces tout derniers temps : les Etats- Unis exportent des matières premières et des moyens de production ; le Japon, des produits de l’industrie légère. Le capital américain a investi des sommes assez importantes dans l’industrie japonaise, avant tout dans l'électricité. Dans ces circonstances, il est naturel qu’il y ait aussi un courant pro-japonais au sein de la bourgeoisie des Etats-Unis

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s’engager dans un conflit déclaré avec le Japon sans une entente avec l’Angleterre ; or, toutes les tentatives de la diplomatie américaine de déterminer l’Angleterre à une action commune contre le Japon sont restées vaines.

La situation stratégique des Etats-Unis par rapport au Japon est très défavorable. La grande base navale des Etats-Unis, Pearl Harbor, dans les îles Hawaï, est beaucoup trop loin des côtes asiatiques ; les bases navales à Guam et aux Philippines, n’ont pas été, conformément à l’accord de Washington, développées de façon moderne. La flotte des Etats-Unis devrait dépasser, il est vrai, celle du Japon dans les proportions de 5 à 3 ; mais le Japon a développé effectivement sa flotte jusqu’à la limite permise par l’accord de Washington, tandis que les Etats-Unis n’essayent que cette année de rattraper le temps perdu en forçant le développement de leur flotte. Par suite de l’antagonisme anglo-américain, les Etats-Unis ne pourront jamais engager toute leur flotte contre le Japon (même si l’Angleterre se déclarait neutre) alors que le Japon avec toute sa flotte, appuyée sur ses nombreuses bases navales, peut attendre dans ses eaux territoriales, l’attaque de la flotte américaine. Dans ces circonstances, la supériorité stratégique du Japon dans les eaux asiatiques est manifeste. Dans cette situation, les Etats-Unis sont obligés de se borner provisoirement à des méthodes pacifiques de lutte (en particulier à l’achèvement d’une base puissante pour leur flotte aérienne dans les îles Aléoutiennes), afin de gagner du temps pour de nouveaux armements : reconnaissance de l’Union soviétique, soutien du gouvernement de Nankin au moyen d’emprunts, fourniture de matériel de guerre et d’instructeurs dans l’espoir de créer en Chine une armée apte à lutter contre le Japon et de gagner ainsi une base d’opérations géographiquement plus proche.

Cependant cet espoir de la bourgeoisie américaine ne s’est pas réalisé. Les classes dominantes chinoises, leurs généraux et le gouvernement corrompu de Tchiang-Kaï-Chek, qui avait saboté également la lutte héroïque des masses travailleuses chinoises contre l’agression japonaise à Changhai, ont capitulé en réalité devant l’impérialisme japonais pour pouvoir concentrer toutes leurs forces dans la lutte contre l’Armée rouge de la Chine soviétique. Dans cette lutte, ils jouissent du soutien de toutes les puissances impérialistes. Mais à une lutte contre le Japon on ne peut décider l’armée chinoise du Kuomintang. C’est la raison qui a encouragé les impérialistes japonais à proclamer, dans la fameuse déclaration du ministère des Affaires étrangères du 17 avril 1934, leurs prétentions au protectorat sur toute la Chine1. Pendant que l’antagonisme américano-japonais s’aggrave sans exploser cependant, il est survenu dans ces dernières années un certain changement dans les rapports entre l’Angleterre et la France à l’égard de Japon.

Les rapports anglo-japonais sont extrêmement compliqués et contradictoires. Alors que la bourgeoisie anglaise n’a rien à objecter à la conquête de la Mandchourie et de la Mongolie et au développement d’une base territoriale contre l’Union soviétique ; alors qu’elle considère le Japon Ŕ malgré la résiliation du traité d’alliance qui a subsisté jusqu’en 1922 Ŕ comme un allié potentiel dans la guerre tôt ou tard inéluctable contre les Etats-Unis, elle s’inquiète de la pénétration du Japon dans la Chine septentrionale qui est dirigée contre les intérêts immédiats de l’Angleterre. Les prétentions du Japon au protectorat sur la Chine tout entière sont insupportables pour l’Angleterre. L’agitation du Japon autour des mots d’ordre comme « la Chine à la race jaune », « contre tous les conquérants blancs », « l’Asie aux Asiatiques », constitue une attaque des positions de la bourgeoisie anglaise dans toute l’Asie, elle menace le cœur de la puissance coloniale anglaise, les Indes. (A cela s’ajoute la

1 Cette déclaration fut un ballon d'essai pour se rendre compte de la façon dont réagiraient les Etats-Unis et tout particulièrement l’Angleterre.

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concurrence grandissante des marchandises japonaises sur le marché mondial ; en particulier l’évincement croissant des cotonnades anglaises de tous les marchés coloniaux.)

De là, une nouvelle pénétration de l’Angleterre dans la direction du Sé-Tchouen occidental, du Tibet, de Sinkiang, de là le développement accéléré d’une chaîne de bases navales anglaises allant de Singapour à l’Australie (y compris les Indes néerlandaises) afin de prévenir à temps une pénétration ultérieure du Japon dans l’océan Indien ; de là, les efforts pour développer une protection aérienne unique pour tout l’Empire britannique. Malgré toute son « amitié », la bourgeoisie anglaise se prépare incontestablement aussi à une guerre contre le Japon. En même temps l’Angleterre a pris des mesures énergiques contre l’importation japonaise dans ses colonies1. (Réduction de l’exportation japonaise au niveau d’avant la crise par un système de contingentements.) D’où un certain éloignement entre les deux puissances jadis unies par des liens étroits d’amitié. La lutte entre les troupes anglaises et japonaises dans la Chine septentrionale en été 1934 est symptomatique à ce sujet2. Il y a beaucoup de présomption qu’à la conférence pour le désarmement naval en 1935, on verra agir plutôt un front anglo- américain contre le Japon qu’un front anglo-japonais contre les Etats-Unis (bien que l’antagonisme anglo-américain soit l’antagonisme fondamental, il n’exclut nullement une coopération momentanée des deux puissances).

L’éloignement relatif survenu entre la France et le Japon est motivé surtout par la prise du pouvoir par Hitler. Comme nous venons de l’expliquer, la bourgeoisie française cherche une sécurité contre Hitler en Europe orientale par des relations plus amicales avec l’Union soviétique alors que le régime fasciste allemand dans son isolement universel, cherche dans le Japon un allié pour la guerre contre l’Union soviétique. Dans ces conditions, l’amitié traditionnelle nippo-française ne pouvait manquer de subir un certain refroidissement3. Les contradictions européennes se rattachent de cette façon aux contradictions mondiales dans l’océan Pacifique.

Mais les succès de l’impérialisme japonais en Mandchourie sont chèrement achetés. La résistance de la population chinoise immobilise de grandes forces japonaises en Mandchourie.

L’armée mandchoue nouvellement formée n’est pas sûre : les mutineries, le passage aux partisans sont à l’ordre du jour, les préparatifs de guerre exigent des dépenses gigantesques. La faiblesse économique du Japon ne sera pas à la longue à la hauteur de ces exigences. Les dépenses militaires improductives sont dès aujourd’hui, alors que la « grande guerre » n’a pas encore commencé, supérieures à l’excédent de la production sur la consommation. Le pays dont l’économie semble prospérer, s’appauvrit encore davantage. Pour couvrir les dépenses des armements, les classes dominantes japonaises procèdent à une exploitation encore plus grande des ouvriers et des paysans japonais ainsi que de la population coloniale soumise, créant ainsi les prémisses objectives au renversement de leur domination. Et

1 Les rapports des Dominions anglais avec le Japon se sont par contre modifiés dans ces derniers temps dans ce sens que le Japon est devenu un acheteur important de laine et de blé australien ; il est aussi un grand acheteur de coton hindou, ce qui lui a permis d’arracher le fameux accord sur l’importation de produits textiles dans l’Inde. Les rapports se compliquent de plus en plus dans l'océan Pacifique.

2 Naturellement cela n’exclut nullement les affaires communes ; en été 1934 Ŕ au moment où nous écrivons ces lignes Ŕ il se trouve une délégation de l’oligarchie financière anglaise ayant à sa tête lord Barnby, le président de l’Union de l’industrie anglaise (F.B.I.) au Japon et en Mandchourie, pour rechercher la possibilité d’investissements de capital anglais en Mandchourie. Le Japon a un besoin très pressant de capital étranger pour le développement de ses armements.

3 Les intrigues du Japon au Siam constituent aussi une source d’inquiétudes pour la bourgeoisie française.

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pendant que les brigands impérialistes luttent pour le partage du butin chinois, la force de la Chine soviétique grandit, son territoire s’élargit ; dans des luttes continuelles se forme cette puissance des ouvriers et des paysans qui est la seule qualifiée pour renverser la domination des exploiteurs indigènes et étrangers, pour chasser les impérialistes de la Chine et résoudre de façon prolétarienne le « problème de l’océan Pacifique ».

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