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La Grèce, ou la reconnaissance de la force

« Il n’est possible d’aimer et d’être juste que si l’on connaît l’empire de la force et si l’on sait ne pas le respecter » 1.

« Ce que montre le poète, et qui a frappé Simone, c’est essentiellement la faiblesse de l’âme humaine, de toute âme humaine, devant la force » 2.

Esquissée au cours de l’analyse de l’oppression sociale (notamment lors de la critique de Marx), la réflexion sur la force est particulièrement présente dans les textes de la maturité, dans les Cahiers et les fragments. Le commentaire de l’Iliade est décisif à cet égard. Les enjeux de la notion de force apparaissent

1 OC II 3, p. 251.

2 SP II, p. 247.

clairement dans l’interprétation weilienne du poème. C’est à partir de là que la réflexion de Simone Weil sur la Grèce antique prend forme, pour se déployer ensuite dans toute son ampleur dans l’interprétation originale de la pensée de Platon, ainsi que dans sa lecture de la tragédie grecque. Et c’est particulièrement autour des notions weiliennes de force et de faiblesse qu’on voit ici se préciser

« sa » Grèce.

V-1 L’Iliade ou le poème de la force

V-1-(1) L’évolution de « L’Iliade ou le poème de la force »

Alors que Simone Weil exprime violemment son hostilité envers les Romains et les Hébreux, elle affirme sans réserve sa grande admiration des Grecs anciens 3 selon une appréciation qui se retrouve dans toute son oeuvre, des travaux de jeunesse jusqu’aux derniers fragments écrits à Londres. Les sujets choisis pour les dissertations présentées devant Alain montrent son enthousiasme pour la pensée de Platon (ainsi que pour Descartes et Kant) 4. Son intérêt se porte aussi sur les aspects architecturaux ou scientifiques de la pensée grecque 5. Si l’intérêt général de Simone Weil pour la Grèce antique est manifeste, il faut bien préciser que « sa » Grèce correspond à une vision partiale de la civilisation grecque, selon le même type de déformation marquant sa vision des anciens Hébreux ou de la Rome antique. « Sa » Grèce s’incarne par prédilection dans quelques œuvres : l’Iliade, les pièces d’Eschyle et de Sophocle, et la philosophie de Platon et des Stoïciens.

« L’Iliade ou le poème de la force » (paru en 1940-1941, composé en 1938-1939), se focalise directement sur le concept de « force ». La réflexion sur cette notion de force a d’évidence des origines dans le contexte socio-politique des années 1930, elle est aussi fortement déterminée par l’interprétation, longuement travaillée, de l’épopée d’Homère.

3 Ils ont, dit-elle, « la grâce au départ », S, p. 233.

4 Le première dissertation intitulée « Le Conte des six cygnes dans Grimm » (OC I, p. 57-59) s’enracine dans la pensée platonicienne en équissant une méditation sur les mythes à l’instar de Platon. Le deuxième intitulée « Le Beau et le Bien » (OC I, p. 60-73) et le troisième « Du temps » (OC I, p. 74-79) marquent ses premières réflexions philosophiques sur le beau, le bien et le temps avec les pensée de Platon et de Kant.

5 Voir, par exemple, le mémoire intitulé « Science et perception dans Descartes », rédigé en 1929-1930 en vue du Diplôme d’études supérieures, OC I, p. 159-221.

L’influence des œuvres d’Homère dans la littérature et la philosophie est bien sûr inestimable. Pour ne citer que quelques auteurs du 20e siècle, on peut évoquer parmi tant d’autres James Joyce (Ulysse 1922), Nikos Kazantzakis (Odyssée 1938), Christa Wolf (Cassandre 1983), Derek Walcott (Omeros 1990) 6, Rachel Bespaloff (1895-1945), qui écrit sa propre Iliade (paru en 1943) après avoir lu « L’Iliade ou le poème de la force » de Simone Weil. Suivant une méthode pédagogique originale, Alain traitait volontiers des sujets philosophiques à partir d’œuvres littéraires, parmi lesquelles l’Iliade était l’une des plus fréquemment analysées. Le commentaire du texte par Simone Weil est basé sur une nouvelle traduction de certains passages (correspondant à environ 250 lignes de citation, où chaque ligne traduit un vers grec). Elle présente ses principes de traduction dans une note jointe à l’article : « La traduction des passages cités est nouvelle.

Chaque ligne traduit un vers grec, les rejets et les enjambements sont scrupuleusement reproduits ; l’ordre des mots à l’intérieur de chaque ligne est respecté autant que possible » 7. La correspondance avec Jean Posternak montre qu’elle se réfère à la traduction par Paul Mazon 8. Mais l’Iliade de Simone Weil ne concerne ni les problèmes textuels ni la tradition épique. On est loin de l’œuvre d’un spécialiste, comme l’indique Holoka, qui traduisit en anglais et commenta le travail de Simone Weil. D’après lui, en premier lieu, « l’orientation de sa critique est éthique » 9.

Paris étant alors sous occupation allemande, « L’Iliade ou le poème de la force » est publié à Marseille, dans les Cahiers du Sud de Jean Ballard, en décembre 1940 et janvier 1941. Il est signé Emile Novis, anagramme de Simone

6 Référence indiquée par James P. Holoka, Simone Weil’s The Iliade or the poem of force. A Critical Edition, New York, Peter Lang, 2003, p. 1.

7 OC II 3, p. 277.

8 Paul Mazon et al., Homère : Iliade, 4 vol., Les Belles Lettres, 1937. Cf. OC II 3, p. 318-319, n. 163.

9 James P. Holoka, op. cit., p. 8.

Weil. La date de sa rédaction est difficile à établir avec précision 10. On trouve des traces du projet de l’article dans ses notes de cours pour le lycée et dans sa correspondance entre 1936 et 1939.

Il faut maintenant mettre en évidence quelques éléments biographiques ayant une influence sur sa réflexion à propos de l’épopée. Du 4 décembre 1934 au 22 août 1935, Simone Weil travaille dans une usine comme manœuvre. Le contact avec des personnes subissant un travail écrasant la rend consciente de la souffrance réelle des travailleurs et lui fait toucher l’expérience du « malheur » à la fois biologique et social. Autre expérience douloureuse bien connue de Simone Weil, ses maux de tête récurrents. Mais, elle considère que cette souffrance, biologique et individuelle, n’est qu’un « demi-malheur »11. L’autobiographie spirituelle adressée au P. Perrin en 1942 explique cette distinction entre ce

« demi-malheur », personnel et le « malheur » proprement dit, social. « Après mon année d’usine, écrit-elle, […] j’avais l’âme et le cœur en morceaux. Ce contact avec le malheur avait tué ma jeunesse. Jusque-là je n’avais pas eu l’expérience du malheur, sinon le mien propre, qui, étant le mien, me paraissait de peu d’importance, et qui d’ailleurs n’était qu’un demi-malheur, étant biologique et non social.[…]. Étant en usine […], le malheur des autres est entré dans ma chair et dans mon âme » 12. Un tel contact avec le malheur peut lui faire écrire que les travailleurs ont besoin de poésie comme de pain13. Vers 1936, Simone Weil reprend son vieux projet de rendre accessibles aux masses populaires les chefs- d’œuvres de la poésie grecque 14. Elle compose ainsi des textes formés d’extraits de traductions et de commentaires des tragédies de Sophocle pour le journal Entre

10 Simone Fraisse propose les dates de 1938 et 1939 dans l’avant-propos des Œuvres complètes,OC II 3, p. 33.

11 Cf. AD, p. 41.

12 Ibid., p. 41-42.

13 Cf. OC IV 1, p. 422.

14 Cf. CO, p. 154.

nous, destiné aux travailleurs d’usine. « [Les poèmes grecs] seraient même bien plus émouvants pour le commun des hommes, ceux qui savent ce que c’est que lutter et souffrir, que pour les gens qui ont passé leur vie entre les quatre murs d’une bibliothèque » 15, écrit-elle. Le premier texte sur Antigone est bien paru dans Entre nous. Chronique de Rosières, le 16 mai 1936 tandis que le second prévu, portant sur Electre n’a pas été publié. Un texte sur l’Iliade qu’elle a voulu écrire pour ce journal n’est pas rédigé 16. La relation détériorée avec son chef à l’usine fait avorter le projet de la traduction de l’Iliade.

Il faut attendre l’année 1937 pour pouvoir saisir l’origine de l’interprétation de l’Iliade. Alors professeur de philosophie au lycée de Saint-Quentin, Simone Weil, suit l’exemple d’Alain et choisit l’Iliade comme texte d’étude du premier trimestre de l’année scolaire 1937-1938. Les notes prises pour ce cours permettent de saisir le cheminement de sa pensée menant à l’article consacré à « la philosophie de la force ».

Vers janvier 1938, de récurrents et violents maux de tête contraignent Simone Weil à demander un congé maladie. Elle écrira à ce sujet plus tard dans un petit carnet de notes : « Depuis 1938 jusqu’au printemps 1940, mon existence fut comme annulée par la douleur physique ; les quelques moments de répit relatif que je pouvais avoir dans cette période ne furent consacrés – exception faite pour deux ou trois des articles mentionnés plus haut – qu’aux jouissances d’art et à la composition littéraire et poétique » 17. Un tel état physique doublé de l’expérience du malheur détermine une analyse particulière de l’épopée d’Homère et peut même jouer le rôle d’une sorte de clef interprétative. Simone Weil a achevé l’article initialement destiné à LaNouvelle Revue Française à la fin 1939.

15OC II 2, p. 333.

16 Cf. CO, p. 154.

17 OC VI 1, p. 402.

Rappelons enfin à quel point l’article définitif est ancré dans le contexte politique de son temps. Dans l’avant-propos des Œuvres complètes, Simone Fraisse revient sur le processus de rédaction de l’article. Elle souligne que « le portrait du guerrier ne peut être dissocié de l’image d’épouvante qu’Hitler présentait au monde en 1938-1940 » 18. Et quand Simone Weil écrit « quelle intensité de compréhension pourrait naître d’un contact entre le peuple et la poésie grecque, qui a pour objet presque uniquement le malheur ! » 19, elle pense non seulement aux malheurs dérivant du contexte social, mais aussi évidemment à ceux relevant du contexte historique et politique le plus récent. Comme Simone Fraisse le remarque encore, « bien que ce texte relève en apparence de réflexions littéraires et philosophiques, on peut y découvrir l’écho de préoccupations politiques sous-jacentes »20 . Esquissant une critique sociale et intégrant l’expérience que sont auteur a faite du malheur, l’interprétation de l’Iliade par Simone Weil se nourrit des événement contemporains, car on vit la Seconde Guerre mondiale 21.

V-1-(2) L’effet de la force dans l’Iliade

L’Iliade fait le récit de la dixième année de la guerre de Troie. Elle commence avec l’invocation de la colère d’Achille. Le terme utilisé, mênis, est généralement employé pour qualifier le colère divine, or il s’applique ici à la colère

18 Simone Fraisse, « Avant-Propos », OC II 3, p. 35.

19E, p. 95

20Simone Fraisse, ibid.

21 Un épisode de l’époque de la guerre rapporté par Simone Pétrement témoigne de l’importance prise par l’ouvrage d’Homère pour Simone Weil. Quand elle fut convoquée au commissariat de police en 1941, « comme elle pensait qu’on voudrait l’arrêter, elle prépara une petite valise avec quelques vêtements et l’Iliade », SP II, p. 325.

d’Achille, un mortel. Cette colère plus qu’humaine est le thème de l’épopée.

L’Iliade voit le triomphe de la gloire d’Achille, « gloire impérissable » (IX, 413), acquise par la belle mort sur le champ de bataille. On pourrait considérer qu’Achille est le véritable héros de l’Iliade et que le thème central du poème est le récit de sa vie jusqu’à sa mort glorieuse. Cependant, renversant l’interprétation conventionnelle, l’article de Simone Weil définit tout autrement le sujet du poème homérique :

Le vrai héros, le vrai sujet, le centre de l’Iliade, c’est la force. La force qui est maniée par les hommes, la force qui soumet les hommes, la force devant quoi la chair des hommes se rétracte. L’âme humaine ne cesse pas d’y apparaître modifiée par ses rapports avec la force, entraînée, aveuglée par la force dont elle croit disposer, courbée sous la contrainte de la force qu’elle subit.22

Le sujet de l’Iliade ne se définit donc ni par rapport à une morale

héroïque de l’honneur ni par rapport à l'amour de la gloire. Le vrai héros et le vrai thème de l’Iliade, c’est la force. Le long article analyse dans cette perspective les différentes facettes de la notion de force, figurée tantôt comme la folie encouragée par les dieux, tantôt comme la passion destructrice dans le champ de bataille.

Ajoutons que si l’article ne se focalise pas sur les glorieux exploits des héros, mais sur le destin misérable des esclaves, jouets de la force, cela n’est sans doute pas sans lien avec le contexte historique de sa rédaction correspondant à l’apogée de la puissance d’Hitler.

« L’Iliade ou le poème de la force » indique qu’il y a deux manières pour la force de frapper l’homme. En premier lieu, il y a la « force qui tue », forme brutalement élémentaire de la force. C’est la force du vainqueur ayant droit de vie

22 OC II 3, p. 227.

et de mort sur le vaincu, c’est la force capable d’anéantir les hommes et les choses.

« Quand elle [la force] s'exerce jusqu'au bout, elle fait de l’homme une chose au sens le plus littéral » 23. Indifférente à ce qu’elle a en face d’elle et n’amenant que mort avec elle, cette force se manifeste à l’homme avec la furie aveugle et inévitable d’un cataclysme naturel. Il n’y a pas un seul héros qui ne finisse par mourir par l’épée, que ce soit Hector, Priam, et même Achille. L’Iliade montre en permanence ce spectacle de destruction.

Cependant il ne s’agit pas, selon Simone Weil, du seul effet que la force exerce sur l’homme. L’autre pouvoir de la force est moins évident et plus subtil en ses effets : la « force qui ne tue pas ». Sous la menace de la mort, elle fait « une chose d’un homme qui reste vivant » 24. Au contact de la force, la victime n’est pas systématiquement anéantie, mais elle se transforme inévitablement, elle est comme vidée de sa personnalité, de son être. Dans le commentaire de l’Iliade (XXIV, 477-478), Simone Weil décrit la manière dont le fort reconnaît le faible en prenant l’exemple d’Achille et Priam, le vainqueur et le vaincu suppliant.

Rappelons le contexte. Lycaon, fils de Priam, qui avait été capturé par Achille et vendu par celui-ci à Lemnos, revient à Troie, après avoir été racheté. Il rencontre à nouveau Achille que la mort de Patrocle a rendu furieux. Vaincu une nouvelle fois, Lycaon se retrouve agenouillé devant Achille et le supplie. Pendant un bref instant il espère qu’Achille lui fera grâce de la vie mais il comprend bientôt que l’arme ne se détournera pas. Après sa mort, Priam adresse une supplication pathétique pour le corps de son fils, mais Achille pousse à terre le vieillard collé contre ses genoux. « Tout simplement, commente Simone Weil, il se trouve être aussi libre dans ses attitudes, dans ses mouvements, que si au lieu d’un suppliant

23 Ibid., p. 227.

24 Ibid., p. 228-229.

c’était un objet inerte qui touchait ses genoux » 25. Priam ne possède plus le pouvoir, propre aux êtres humains, d’arrêter, de réprimer, de modifier chacun des mouvements d’Achille, et devant ce dernier, la présence humaine de la victime n’offre qu’un objet matériel. Une telle inexistence des autres permet au fort d’exercer la violence. Cette force maniée par un homme, consistant en pouvoir perpétuel de vie et de mort, est « un empire aussi froid, aussi dur que s’il était exercé par la matière inerte » 26. L’Iliade illustre les effets d’une telle mécanique cruelle et montre le destin des hommes exposés à l’arbitre impitoyable de cette force brute.

Dans cette analyse sur les effets de la « chosification » de l’homme, Peter Winch distingue trois aspects : le premier est la force de tuer ; le deuxième est l’enlèvement d’une possibilité de refus pour le vaincu ; le troisième est l’incapacité pour le vainqueur ou l’oppresseur d’agir rationnellement, sous l’impulsion péremptoire de l’action brutale 27. En effet, Simone Weil identifie, en tant que fil conducteur de l’Iliade, la façon dont la force exerce ses abus et ses illusions sur ceux qui la subissent et sur ceux qui croient la détenir. Dans l’Iliade, ceux qui subissent la force peuvent être assimilés à des animaux peureux, à des arbres, de l’eau, du sable, à tout ce qui est mû par la violence des forces extérieures 28. Le vaincu se croit dans une totale impuissance, soumis tout entier aux caprices du vainqueur. Il est absolument dépendant, entièrement déterminé et dominé par la force. Mais la force agit également sur le vainqueur. La réaffirmation des effets de la force sur les forts constitue un trait majeur de l’interprétation d’Homère par Simone Weil. En identifiant force et violence, elle dévoile la dynamique de la

25 Ibid., p. 230.

26 Ibid., p. 233.

27 Cf. Peter Winch, The Just Balance, op. cit., p. 147.

28 OC II 3, p. 245.

violence : « La violence écrase ceux qu’elle touche » 29. Le vainqueur se croit souverain, maître du destin des autres et du sien. Mais ce n’est qu’une illusion donnée par la force : « Personne ne l’a ; elle est un mécanisme » 30. Celui qui exerce triomphalement la force apparaît dans l’épopée sous le signe de « l’incendie, de l’inondation, du vent, des bêtes féroces, de n’importe quelle cause aveugle du désastre »31. On peut dire, après Miklos Vetö, que « le guerrier victorieux, devenu élan aveugle, rejoint le vaincu dans sa dépersonnalisation »32. Rolf Kühn remarque encore que « la violence "aveugle " [...] n’est rien d’autre justement qu’un élan chez celui qui pratique la violence » 33. Dans l’exercice du souverain domaine de la force, le vainqueur montre non seulement la supériorité de la force face aux faiblesses des vaincus, mais il dévoile le destin de tout homme. Aussi impitoyablement la force écrase, aussi impitoyablement elle enivre quiconque la possède, ou croit la posséder. Personne ne peut échapper à l’influence de la force.

Tous sont physiquement dans l’économie de la force. Telle est la conviction de Simone Weil dans l’interprétation de l’épopée 34.

29 Ibid., p. 240.

30 OC VI 3, p. 199.

31 OC II 3, p. 245.

32 Miklos Vetö, La Métaphysique religieuse de Simone Weil, op. cit., p. 80.

33Rolf Kühn, « Élan et force. Phénoménologie de la violence historique chez Simone Weil », art. cit., p. 287.

34 Cf. OC II 3, p. 245. La conception de la force au centre de l’intérêt analytique weilien se trouve déjà dans les Cahiers écrits entre 1933 et 1935 comportant aussi plusieurs citations de l’Iliade. On peut se référer ici en guise de complément à un article d’Emmanuel Lévinas publié en 1934 : « Quelques réflexions sur la philosophie de l'hitlérisme ». Dans cet article dont le titre peut évoquer l’article « Quelques réflexions sur les origines de l’hitlérisme » de Simone Weil, Lévinas affirme que l’hitlérisme ne provient pas d’un individu particulier, mais qu’il est « un réveil des sentiments élémentaires » et qu’il interroge « les principes mêmes d’une civilisation », Les Imprévus de l'histoire, Fata Morgana, 1994, p. 27. Ce qui est en jeu selon lui c’est « l'humanité même de l'homme » et le philosophe se réfère à la notion de force pour conclure :

Mais la force est caractérisée par un autre type de propagation. Celui qui l’exerce ne s’en départ pas. La force ne se perd pas parmi ceux qui la subissent. Elle est attachée à la personnalité ou à la société à qui l'exerce, elle élargit en leur subordonnant le reste. […], il [=l'ordre universel] est cette expansion même qui constitue l'unité d'un monde de maîtres et d'esclaves. La volonté de puissance de Nietzsche que l'Allemagne moderne retrouve et

Le fort n’est jamais absolument fort, ni le faible absolument faible, mais l’un et l’autre l’ignorent. Ils ne se croient pas de la même espèce ; ni le faible ne se regarde comme le semblable du fort, ni il n’est regardé comme tel.35

La force crée pour le fort la même sorte d’illusion que pour le faible, mais il s’agit d’une illusion de signe opposé. En effet, l’illusion du fort porte sur sa toute puissance : autant le vaincu se sent impuissant, autant le vainqueur s’enivre de son pouvoir illimité. Mais les deux hommes sont de la « même espèce ». Simone

La force crée pour le fort la même sorte d’illusion que pour le faible, mais il s’agit d’une illusion de signe opposé. En effet, l’illusion du fort porte sur sa toute puissance : autant le vaincu se sent impuissant, autant le vainqueur s’enivre de son pouvoir illimité. Mais les deux hommes sont de la « même espèce ». Simone