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Seconde partie Les systèmes adaptatifs

2.4. La génération du sens dans les systèmes adaptatifs

Un système adaptatif à boucle d'interprétation est une entité distinguée de son environnement, présentant un caractère d'organisation particulier qui en fait l'identifie et qui est définissable formellement de façon suffisante. Le système n'est tel qu'il est à un instant donné que par ce qui le décrit, c'est à dire par ses parties, ses composantes, les relations entre celles-ci, les relations entre les relations, et par son action effective réfléchie sur l'environnement et sa réaction réfléchie aux actions de l'environnement sur lui-même.

Par ces actions réfléchies sur l'environnement, le système prend place dans la durée. Ce placement dans la durée, avec la possibilité de spatialiser et de modeler les choses de l'environnement, va lui permettre de tirer les conséquences prévisibles ou inéluctables de ses actions dans diverses situations, d'affirmer des contraintes induites, de poser de nouvelles hypothèses et de définir de nouvelles possibilités de situation ou d'action.

2.4.1. Complexité organisationnelle des systèmes adaptatifs

Nous dirons qu'un système est considéré comme organisationnellement complexe si la combinatoire de ses parties est importante au regard de son enveloppe externe (de sa surface membranaire ou de son interface multimodale selon les cas) et si son fonctionnement revient à opérer des changements de partition dans sa structure interne [Cardon 96]. Un tel système a ainsi une complexité organisationnelle correspondant au nombre de ses parties possibles, qui est évidemment exponentiel devant la dimension de l'enveloppe externe. La cohérence d'un tel système réside d'une part dans sa structure, à partir des relations entre les entités qui le composent et d'autre part dans son immersion spécifique dans le contexte dans lequel il existe et se comporte.

Un système adaptatif sera basé sur une architecture organisationnellement complexe. Il sera évidemment plus que cette architecture, par les caractères fonctionnels de ses composants élémentaires et par sa capacité à se réorganiser.

Dans les systèmes adaptatifs, organisationnellement complexes, l'échange entre ceux-ci et l'environnement se réalise par adaptation réciproque, sans que l'échange direct d'informations soit suffisant pour réaliser les adaptations mutuelles. On nomme ce processus "clôture opérationnelle des systèmes autopoiétiques" [Varela 89]. Cette notion a été appliquée par F. Varela aux systèmes vivants individuels fermés par des membranes et plus ou moins étendu aux groupes de systèmes vivants élémentaires.

La clôture opérationnelle doit être entendue, en ce qui concerne les systèmes adaptatifs à boucle d'interprétation, radicalement. Le système ne reçoit pas de l'information sous la forme d'une entité objective, quantitative, assurant une communication réifiée avec l'extérieur et qu'il intégrerait plus ou moins directement pour se l'approprier, mais se reconforme selon l'environnement qu'il perçoit globalement, d'une certaine façon qui est celle que lui permet la complexité de sa structure et ses tendances à la modification. Le caractère de clôture conduit à considérer le système comme étant une représentation propre et dynamique de ce que l'on appellera son contexte et lui-même mêlés, par opposition à un système réactif qui contient, entre autres choses, une certaine représentation de ce contexte sous forme de structures informationnelles, les classiques Systèmes à Base de Connaissances (SBC).

Le système opérant par clôture opérationnelle réalise une adaptation à lui-même et au milieu dans lequel il est placé. Il est une composante non indépendante de ce milieu, dont il exprime d'ailleurs une représentation et qui lui permet d'agir. La clôture opérationnelle traduisant pour le système le processus d'adaptabilité est donc le moyen d'exprimer son contexte et lui-même, en évitant d'établir une distinction de genre entre un ensemble et un autre, qui seraient disjoints et mis en relation par le seul transfert physique d'entités informationnelles.

Le caractère fonctionnel des systèmes réactifs lie leur environnement à leurs domaines de représentation, qui est une image de l'environnement, en les associant fonctionnellement par l'information qui passe de l'un à l'autre. Il n'est plus question de cette liaison fonctionnelle avec les systèmes adaptatifs. Celui-ci comprend une certaine représentation de son environnement et l'environnement a, éventuellement, en tant que système adaptatif, une perception et une représentation de ce dernier. Un système adaptatif est donc morphologiquement correspondant à son contexte [Morin 86], puisqu'il le fait apparaître tel il est et qu'il participe, en étant physiquement et temporellement dans son contexte, à sa constitution. Cette propriété a été présentée par E. Morin [op cité] sous le nom de principe hologrammatique.

2.4.3. Principe de réciprocité

En ce qui concerne les systèmes adaptatifs, leur propriété d'opérer leur action de reconformation structurelle par clôture opérationnelle nécessite de définir un principe d'existence réciproque avec leur contexte et entre systèmes, permettant l'adaptation réciproque. Sans ce principe, on serait conduit à considérer des transferts effectifs, des échanges directs d'informations entre systèmes et contextes, ce que nous ne retenons pas, où bien alors à envisager la séparation absolue et l'incommunicabilité, sauf par le hasard. Ce principe de réciprocité, d'adaptation engagée, est consécutif de la notion de clôture. Il détermine le sens naturellement concordant de l'évolution comportementale d'un système adaptatif dans son contexte également adaptatif, le

sens communautaire de toutes les structures sociales considérées dans l'IAD, les tendances agrégatives de tous les groupes d'individus vivants.

Ne souhaitant donc pas disjoindre le système adaptatif de son contexte, pour le lier ensuite à celui-ci par la constitution d'un lien explicite, il nous faut considérer que le système est immergé dans son contexte, sous l'action du principe de réciprocité. Il est donc une expression au moins mimétique de celui-ci, en l'exprimant dynamiquement.

La réflexivité se place en ce point. Le système prend sens en existant par réciprocité avec son contexte :

• le contexte prend sens par l'action du système et des sous-systèmes qui le composent,

• le système prend sens par auto-adaptation organisationnelle par rapport à son contexte.

2.4.4. La génération du sens

Nous pouvons alors définir ce que nous appelons le sens généré par un système adaptatif organisationnellement complexe.

Définition du sens généré

Le sens généré par un système adaptatif complexe est le produit autoréférent de la reconformation de sa structure d'interprétation qui représente, pour lui, son contexte et lui- même situé dans son contexte.

Le sens généré, que l'on appellera aussi sens émergent, est une partie localement stable de la structure plastique du système qui s'est reconformée. La raison de cette reconformation sera évidemment placée dans la structure elle-même et non dans un sous-système de contrôle détaché. Ce sera ce que nous avons appelé le souci. La réflexivité du sens est la propriété qu'une fois généré sous la forme d'une certaine sous-structure non indépendante, celui-ci est un produit déclenchant des adaptations suivantes : le système adaptatif est le prisonnier de sa production, de sa mémoire, de son existence. Le sens généré atteste le contexte qu'il perçoit, ainsi que l'organisation du système lui-même représenté dans son contexte. On ne peut pas en effet concevoir un système adaptatif qui serait capable de percevoir objectivement un contexte, hors de lui-même se le représentant : le système adaptatif a une ipséité irréductible.

Ainsi, dans cette approche, nous considérons que le système dans son ensemble exprime au moins mimétiquement son contexte et a, de plus, la capacité à s'exprimer sur lui-même situé dans cette représentation du contexte. Cette réflexivité est le fondement de l'autoréférence et sera plus tard, en s'appuyant sur des formes langagières, la connaissance de soi, la connaissance de la connaissance [Morin 86] et constituera bien l'émergence de la notion de soi dans un système à boucle d'interprétation [Weyhrauch 95]. L'ensemble de ces propriétés permet de définir la finalisation nécessaire d'un système adaptatif considéré comme complexe et opérationnellement clos dans son environnement.