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La description dans Mémoires de porc-épic

CHAPITRE I ITINERAIRE VERS UNE ANALYSE INTERNE DU RECIT

II. Niveau narratif

3. La description dans Mémoires de porc-épic

Comme tout produit littéraire, notre corpus réserve une grande part à la description, car une narration ne peut se faire sans description. Celle-ci peut concerner les lieux, les personnages, ou bien les actions. Nous allons voir dans cette partie, comment la description est présentée dans Mémoires de porc-épic. Les investigations minutieuses de Philippe Hamon allaient se trouver couronnées en 1981 par son

Introduction à l’analyse du descriptif et, dix ans plus tard, par La description littéraire.

Le sujet n’est pas épuisé pour autant. A la question « Qu’est ce qu’une

1M.P.E. Page 139. 2M.P.E. Page 165.

3VALETTE, Bernard. 1992. Le Roman. Paris : Nathan. Pages 98-99. 4M.P.E. Page 12.

5M.P.E. Page 29. 6M.P.E. Page 34.

description ? »(Poétique 12), Philippe Hamon propose entre autres qu’elle forme un

tout autonome, une sorte de ‘bloc sémantique’, qu’elle vient plus ou moins en ‘hors

d’œuvre’ au récit et qu’enfin elle s’insère librement dans le récit1. « Toute description

serait un ‘effet de style’, une surenchère, un écart par rapport à la réalité. »2 En effet la description emporte le lecteur dans l’irréel, et laisse ainsi la place à l’imaginaire. L’esprit du lecteur accepte donc tous les écarts par rapport à la réalité, une des particularités du roman de Mabanckou que nous verrons tout au long de ce travail, à savoir la transgression.

« Genette envisage donc la description tantôt comme une figure de rhétorique, tantôt sous l’angle de son fonctionnement au niveau du sens global du récit, tantôt comme une modalité de la narration. »3

Ces définitions nous poussent tout de même à nous demander, comment reconnait-on une description ? Son repérage semble dépendre essentiellement de l’interprétation du lecteur car c’est un concept psychologique et non une unité linguistique. « Le système descriptif dépend de la place, de la fréquence, de la

proportion du fonctionnement. »4 Tout récit comprend en fait, bien que fortement mêlées et à des degrés très variables :

« d’une part des représentations d’actions et d’évènements qui constituent la narration proprement dite, et d’autre part des représentations d’objets ou de personnages, qui sont le fait de ce que l’on nomme aujourd’hui ‘la description’. »5

Nous rejoignons le point de vue de Genette pour dire que le lecteur a plus besoin de la description que de la narration. «On peut donc dire que la description est plus

indispensable que la narration, puisqu’il est plus facile de décrire sans raconter que de raconter sans décrire. »6 Nous notons qu’à plusieurs reprises le narrateur rapporte des descriptions sans pour autant raconter. La description de l’aspect étrange de l’autre

lui-même qui est détaillée sans action ou évènement à rapporter en est un bel exemple:

1Cité dans VALETTE, Bernard. 1993. Op.cit. Page 29. 2Idem. Page 30.

3Ibidem. 4Idem. Page 33.

5GENETTE, Gérard. 1969. Figures II. Paris : Seuil, Essais. Page 56. 6GENETTE, Gérard. 1969. Op.cit. Page 57.

« un clone boulimique sans cesse en train de courir, de cavaler,

d’enjamber les rivières, de se terrer dans le feuillage quand il ne ronfle pas dans la case de l’initié »1.

Genette donne un nouvel éclairage sur la distinction entre la narration et la description :

« La narration […] met l’accent sur l’aspect temporel et dramatique du

récit. La description au contraire, […], semble suspendre le cours du temps et contribue à étaler le récit dans l’espace. »2

A travers la narration, le lecteur est informé du déroulement des événements dans un cadre romanesque et dans un temps précis. Par contre, la description arrête le temps pour laisser place à l’espace du récit. « Les formalistes russes ont, parmi les premiers,

reposé la distinction : dynamique du récit / arrêt descriptif. »3Dans plusieurs passages du texte, la narration et la description coexistent, par exemple, lorsque Papa Kibandi fait boire à son fils le mayamvumbi, nous assistons à un arrêt narratif pour laisser place à la description de l’état du petit Kibandi après la prise de la potion.

« cet enfant qui ne parvenait plus à apaiser l’ivresse causée par

l’absorption du mayamvumbi, […], un nouveau monde s’ouvrait à lui, il était devenu une autre créature, l’être fragile que les villageois de Mossaka apercevaient derrière Papa Kibandi n’était plus qu’un pantin ».4

Pour conclure cette partie consacrée au niveau narratif, nous pouvons dire avec Todorov que « les romans sont toujours des machines à explorer le temps. »5

Nous avons accordé une grande importance à l'étude du temps romanesque, au détriment de la spatialité et ce pour de multiples raisons, la principale étant que tout roman se construit autour d'une narration ou de plusieurs séquences narratives et nous ne pouvions faire abstraction de cette particularité dans notre corpus. Dans ce sens « les

1M.P.E. Page 17.

2GENETTE, Gérard. 1969. Op.cit. Page 59. 3VALETTE, Bernard. 1993. Op.cit. Page 27. 4M.P.E. Page 48.

histoires enchâssées servent comme arguments. »1 Nous tenons à préciser cependant que contrairement à ce que la présence des micro-récits peut faire croire, Mémoires de

porc-épic n’est pas un récit enchâssé. Dans A la découverte du roman, Catherine

Durvye dit : « Il arrive que le narrateur principal délègue la narration à l’un de ses

personnages […]. Ces relais de narration successifs enchâssent les récits comme des boites gigognes. »2Ce n’est pas le cas dans notre corpus, il existe certes plusieurs récits mais le narrateur reste le même tout au long du texte.

Le niveau narratif nous a permis de relever les principaux types de narration et nous aurons ainsi décelé une mosaïque narrative dans notre corpus.

Nous nous intéressons à présent à la citation de Kouvouama. Ce spécialiste de l’Afrique centrale analyse la particularité de la narration dans les œuvres africaines, cette narration englobe l’imaginaire et l’irréel, et c’est ce que nous allons tenter de relever dans le prochain niveau de ce chapitre :

« La narration dans les œuvres romanesques et les évocations des contes africains recourent souvent à l'image, aux symboles, aux métaphores, aux structures cycliques et aux différents régimes de l'imaginaire (notamment les régimes diurnes et nocturnes) pour relater un événement, transposer un vécu et réinventer le monde de manière idéelle. »3

Après le niveau narratif, nous passons à présent au niveau thématique qui va explorer le bestiaire fantastique.

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