• Aucun résultat trouvé

DANGEROSITÉ CRIMINOLOGIQUE : UN RECOURS ÉLARGI À LA PSYCHIATRIE

A. DANGEROSITÉ OU DANGEROSITÉS : UN CONCEPT ANCIEN ET DES DÉFINITIONS INCERTAINES

1. La dangerosité, notion pérenne de politique criminelle (10)

La dangerosité, ce n’est pas le danger, « ce qui menace la sûreté, l'existence de quelqu’un ou de quelque chose » (Petit Robert). Ce n’est pas non plus le risque, « danger éventuel plus ou moins prévisible » (Petit Robert) ou « possibilité, probabilité d’un fait, d’un

événement considéré comme un mal ou un dommage » (Petit Larousse), mais c’est plutôt dans ce registre, celui de la probabilité, que l’on se situe.

Sans précision, la dangerosité désigne en effet pour le dictionnaire le « caractère dangereux » (Petit Robert et Petit Larousse) ou « la probabilité de passage à l’acte délictueux ou criminel » (Petit Larousse).

La Haute Autorité de Santé insiste sur la nécessité d’évoquer la notion de « violence, acte par lequel s’exerce la force, qu’elle soit physique ou morale », pour définir la dangerosité, « habituellement abordée comme un risque de violence » et « étudiée sous l’angle des passages à l’acte violents ou des condamnations pour acte violent » (19).

Deux composantes apparaissent ainsi au premier plan lorsque l’on cherche à cerner au mieux la notion de dangerosité : d’une part une référence à la criminologie, d’autre part la notion de probabilité.

Une perspective historique est intéressante pour resituer la dangerosité, et cette référence à la criminologie, dans les débats.

Danet rappelle que la dangerosité est une notion pérenne de politique criminelle, « séculaire et mutante », qui apparaît formellement à la fin du 19ème

siècle, au terme d’une succession de dénominations : témibilité, nocuité, périculosité, état dangereux et enfin dangerosité (10).

La thématique de l’individu dangereux est probablement à l’origine des deux « écoles » que sont en matière criminologique l’école positiviste d’anthropologie criminelle italienne d’un côté, et l’école de la défense sociale, d’abord belge avec Prins, de l’autre (11).

Le concept est notamment formé par l’école positiviste italienne de la seconde moitié du 19ème

siècle de Lombroso, Ferri et Garofalo. Ce dernier définit en 1878 la témibilité : « perversité constante et agissante d’un délinquant et la quantité de mal que l’on peut redouter de sa part ». Il définit en parallèle l’adaptabilité d’un délinquant, « conditions dans lesquelles il cessera d’être dangereux », défendant l’idée qu’une enquête sociale s’impose dans le cadre de l’évaluation de la dangerosité (20).

Voyer établit que c’est dans un contexte de défense sociale que naît le concept de dangerosité au 19ème

siècle, c’est-à-dire dans une volonté de protection de la population contre le crime (9).

Indissociable de la criminologie depuis sa naissance, et de sa tentative d’aborder le problème de la délinquance, Debuyst explique que le concept devenu omniprésent est né de l’objectif de contrôle des individus dangereux : la notion de dangerosité « trouve son origine dans une volonté politique qui s’est clairement affirmée : celle de gérer une population d’individus posant problème, en vue de la discipliner et d’exercer sur elle un contrôle » (15). On recherche la maîtrise des activités criminelles et la gestion des populations susceptibles de heurter l’ordre social afin de s’en protéger. La dangerosité est utilisée pour tenter de comprendre les conditions nécessaires au passage à l’acte et l’évaluation de la probabilité d’un comportement délinquant futur (15).

A l’époque contemporaine, la dangerosité se voit proposer différentes définitions. Pour les uns « propension à commettre des actes d’une certaine gravité, dommageables pour autrui ou pour soi, fondés sur l’usage de la violence », elle est pour d’autres une construction sociale qui se modifie selon les valeurs changeantes de la société (9).

C’est d’ailleurs bien l’idée que reprend la Haute Autorité de Santé, lorsqu’elle souligne que « la dangerosité est une perception subjective qui connaît des évolutions en fonction du temps et des lieux et au regard des exigences variables du droit pénal positif et des attentes de la société en termes de sécurité et de protection » (19).

Bénézech insiste sur l’absence de définition valable de la dangerosité, et tente la définition suivante : « état, situation ou action dans lesquels une personne ou un groupe de personnes font courir à autrui ou aux biens un risque important de violence, de dommage ou de destruction » (21–23).

C’est la définition de l’état dangereux par Debuyst en 1953, « phénomène psychosocial caractérisé par des indices révélateurs de la grande probabilité pour un individu de commettre une infraction contre les personnes ou les biens », qui représente la définition la plus retenue de la dangerosité criminologique à ce jour : appréciée autrefois au regard de

l’acte passé, elle s’évalue désormais au regard des actes à venir (24,25). Mais Debuyst, pour qui la dangerosité est avant tout la « maladie infantile de la criminologie », ajoute qu’elle est aussi la « probabilité que présente une situation de donner lieu à des comportements de ce genre », mettant en exergue les deux visages de l’évaluation de la dangerosité : la dimension personnelle, et la dimension situationnelle et environnementale (20,26). Il préconise un éclatement de la notion de dangerosité, voyant en elle une « préoccupation qui unifie artificiellement une pluralité de difficultés se situant dans des problématiques différentes et qui pourraient donner lieu à une pluralité de démarches ».

Quelle que soit la définition retenue, elle prend en compte l’ensemble des facteurs environnementaux et situationnels susceptibles d’engendrer un passage à l’acte (27). Nombre d’auteurs insistent ainsi sur l’importance des circonstances lorsque l’on aborde la dangerosité : Buffard par exemple préfère parler de « situation dangereuse » (26). Cette importance accordée aux circonstances traduit combien les observations révèlent que la

dangerosité ne présente pas un caractère permanent, qu’elle est souvent fluctuante,

dépendante de facteurs environnementaux, de facteurs de stress, ou encore de facteurs de protection, et doit à ce titre être considérée comme un processus dynamique (27).

La dangerosité et son corollaire le risque sont les deux concepts qui font évoluer la justice pénale avec l’entrée en vigueur du Code Pénal de 1994. Relevant du champ pénal, jamais explicitement définie dans les textes de loi mais renvoyant clairement au souci de

prévention de la récidive (comme en témoigne par exemple le titre du rapport Burgelin de

juillet 2005 : « Santé, justice et dangerosité : pour une meilleure prévention de la récidive »), cette dangerosité qualifiée désormais de criminologique se manifeste par une absence de pathologie psychiatrique, et diffère de la dangerosité psychiatrique (28).

2. Dangerosité criminologique et dangerosité psychiatrique, une distinction

Outline

Documents relatifs