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Chapitre 2 : Les collectionneurs et l’économie du marché de l’art

2.5 Les motivations

2.5.1 La décoration et les raisons sentimentales

Ces motivations sont souvent moins abordées par les économistes, les sociologues et les historiens de l’art étudiant le marché de l’art. Elles sont cependant les plus citées lorsque les individus expliquent leurs intentions derrière l’acte de collectionnement.

Collectionner peut répondre à un aspect pratique ou fonctionnel. Certains collectionneurs achètent des œuvres d’art afin de répondre à des besoins décoratifs et esthétiques. Ils jugent qu’une œuvre précise complèterait la décoration d’une pièce de leur maison ou encore, ils désirent en faire le point focal de leur environnement et construire un espace de vie autour.

L’expression « amour de l’art » demeure relativement générique. Elle est utilisée pour recouper les raisons sentimentales associées à l’acquisition d’une œuvre (préférence pour un artiste ou un « type » d’art, un coup de cœur, etc.) ou encore les motivations associées à une tradition familiale ou un héritage. Des collectionneurs acquièrent des œuvres d’art par nostalgie, pour perpétuer la collection commencée par les anciens propriétaires ou encore pour honorer la mémoire de ces derniers et continuer leur travail. Il existe, d’après Zorloni, quatre modèles

économiques pour étudier la consommation de biens artistiques, plus précisément la demande pour de tels biens. Chaque modèle est relié aux besoins auxquels la consommation répond. Ainsi, la consommation de biens artistiques et culturels peut répondre à des besoins émotifs : « The first model [of consumption] is linked to cultural-interest motivations and stems from a completely inner, aesthetic need, in which the consumer’s emotive side predominates. » (Zorloni 2013 : 119). La décision d’acquérir une œuvre et non une autre est dictée par les émotions.

Un bien est normalement consommé pour sa fonctionnalité, comme l’affirme Nathalie Moureau dans son ouvrage Analyse économique de la valeur des biens d’art : la peinture

contemporaine. Alors que les fonctions de certains biens sont manifestes, les œuvres d’art ne

remplissent pas nécessairement des fonctions prédéfinies ou claires. Réduite à ses plus simples caractéristiques, une œuvre d’art a pour fonction de décorer l’environnement dans lequel elle est exposée50.

Cependant, la consommation d’un bien ne repose pas seulement sur son utilité de base, surtout lorsqu’il est question de biens de luxe comme une œuvre d’art. Nathalie Moureau explique :

La nouvelle théorie du consommateur enseigne néanmoins que ce ne sont pas les propriétés techniques, physiques des biens qui procurent l’utilité, mais plutôt que celles-ci constituent des inputs qui, combinés au savoir du consommateur permettent de produire les biens finals, la satisfaction retirée étant corrélée au niveau du savoir de l’individu […]. (Moureau 2000 :168)

La fonctionnalité de l’objet ne devient alors qu’un élément à considérer parmi d’autres dans la prise de décision de l’acquisition d’un bien. Outre la satisfaction « physique » ou fonctionnelle du bien, il existe, toujours selon Moureau, une satisfaction « psychique » (Moureau 2000 : 169), c’est-à-dire qu’une participation intellectuelle est requise dans l’utilisation du bien. Une gradation de la fonctionnalité de l’objet devient possible. Certains objets ont un « caractère fonctionnel » élevé, mais n’amènent aucune satisfaction psychique

50 Il est important de rappeler que Nathalie Moureau effectue cette analyse en étudiant la peinture contemporaine

(tableaux, toiles, panneaux). Elle exclut donc les autres pratiques artistiques. Néanmoins, les hypothèses de l’économiste s’appliquent dans une certaine mesure aux sculptures et autres œuvres tridimensionnelles.

(c’est-à-dire aucune participation intellectuelle). Certains biens ont un caractère fonctionnel faible, mais amènent une satisfaction intellectuelle élevée. Cette gradation n’est pas définitive et s’inscrit à des degrés variables pour chaque objet.

Comment expliquer alors le plaisir esthétique que certains collectionneurs retirent de leurs œuvres d’art ? L’économiste française explique de cette manière cet aspect du collectionnement : « Ainsi le collectionneur éclairé éprouvera une satisfaction intense à la contemplation d’une œuvre qui constitue un moment clef de l’histoire de l’art, savourant la gymnastique intellectuelle consciente ou non qui lui permet de se confronter à lui-même dans sa contemplation de l’œuvre. » (Moureau 2000 : 169)

Alors que la majorité des auteurs (Velthuis, Zorloni) consultés dans le cadre de cette recherche ne font pas de liens entre la décoration et le statut social (et sa recherche) du collectionneur, Nathalie Moureau et l’économiste Don Thompson associent ces deux raisons de collectionner. Thompson affirme que les œuvres d’art ayant une valeur (économique et symbolique) supérieure sont exposées dans les pièces les plus fréquentées, le collectionneur voulant montrer à ses convives ses possessions exceptionnelles. Par ailleurs, il placera les œuvres qu’il préfère, le plus souvent indépendamment de leur valeur, dans les espaces plus intimes (Thompson 2014 : 32). Ainsi, le fait de posséder une œuvre d’art (et non une reproduction) peut satisfaire certes des besoins décoratifs, mais surtout « renvoie […] à la satisfaction de l’ego de l’individu » (Moureau 2000 : 172).

Figure 2. Capture d’écran faite le 25 avril 2017 tirée du

compte Instagram de la galerie londonienne The Unit. Photo sans crédit.

Dans ces exemples, les œuvres remplissent à la fois une fonction décorative et une fonction sociale. Les œuvres, exposées dans les endroits dits publics, seront admirées par les visiteurs. De plus, elles complètent la décoration des pièces et s’harmonisent avec leur environnement.

Figure 3. Capture d'écran tirée du site Internet Curbed le 1er novembre 2017.

Salon d'Alberto Mugrabi dans sa résidence à Gramercy Park North, dans la ville de New York. Une œuvre de Jean-Michel Basquiat est accrochée au-dessus du foyer (Dailey 2015). Photo sans crédit.