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I) L'IAE : un groupe professionnel ? (professionnalisation / profession)

2- La construction d'une représentation officielle

Pour Richard Wittorski (2008), la professionnalisation (au sens de "constitution d'un groupe social") relève « d’une logique d’auto-assignation par les groupes professionnels eux-mêmes, inscrivant ainsi les professions dans une stratégie de communication externe de nature politique ». Ainsi, la construction d'un groupe professionnel nécessite qu'il soit visible, identifiable, et reconnu par le politique. Cette reconnaissance passe notamment par une

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représentation du groupe auprès des instances politiques officielles. Mais encore faut-il que ce groupe ait un représentant.

Parmi les missions attribuées à l'URIAE dans son objet social figure celle de représentation. Ainsi, l'URIAE a pour objet de « représenter les intérêts des structures adhérentes aux présents statuts auprès de tout organisme ou institution concernés directement ou indirectement par l’objet ou les activités des structures adhérentes » (Annexe 1, p. 1). Dans la plaquette de présentation de l'URIAE, il est précisé la nature de ces organismes : les CDIAE, les CTI, les CTA...

Le comité départemental de l'insertion par l'activité économique (CDIAE) est une instance politique. Ainsi, outre le préfet de département, le CDIAE comprend le directeur départemental du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle (DIRECCTE) ; le directeur départemental des affaires sanitaires et sociales (DDCS) ; le trésorier payeur général ; des élus, représentants des collectivités territoriales et de leurs groupements ; un représentant de Pôle Emploi ; des représentants du secteur de l'IAE ; des représentants des organisations professionnelles et interprofessionnelles d'employeurs ; des représentants des organisations syndicales. Le CDIAE a notamment en charge la rédaction d’un plan départemental de l’insertion par l’activité économique (PDIAE).

La commission territoriale d'insertion (CTI), ou commission locale d'insertion, est une instance moins politique. Composée d'acteurs institutionnels, collectivités territoriales, personnes de droit privé ou public œuvrant dans le domaine de l’insertion, elle a pour mission de recenser l'offre disponible d'insertion et d'évaluer les possibilités d'évolution et de diversification, d'adresser des propositions au président du conseil général en vue de l'élaboration du programme départemental d'insertion...

Le comité technique d’animation (CTA), instance pilotée par Pôle Emploi, est une instance plus technique : composée de techniciens du conseil général, de Pôle Emploi et de représentants de SIAE, elle établit le diagnostic local (définition du profil des publics pouvant accéder à une structure de l'IAE) en fonction des orientations arrêtées par le service public de l'emploi. Elle assure le suivi, l’accompagnement, l'analyse des difficultés des salariés en insertion inscrits ou non à Pôle Emploi, en lien avec les acteurs responsables de l’orientation et de l’accompagnement. Les CTA ne sont pas présents dans toutes les agences Pôle Emploi.

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Comme on le voit, les lieux où l'URIAE représente les SIAE (avec d'autres réseaux) sont plus ou moins politiques. Il s'avère qu'au sein de l'instance la plus politique, le CDIAE, seuls les réseaux sont représentés, et pas les salariés permanents de SIAE eux-mêmes. Ainsi, à un certain niveau de décision, il est nécessaire de pouvoir présenter un seul interlocuteur représentant tout un secteur. C'est ce que tente de faire l'URIAE au sein des CDIAE.

Jouer ce rôle de représentation des SIAE adhérentes à son réseau, et donc par extension de l'IAE, nécessite un important travail de réflexion et d'arbitrage.

Car il ne s'agit pas seulement de porter la voix de toutes les SIAE adhérentes à l'URIAE. Il faut également prendre en compte le fait que l'URIAE n'est pas le seul réseau de l'IAE dans la région Nord - Pas-de-Calais et que, malgré les divergences que peuvent avoir ces réseaux entre eux, la voix portée politiquement doit être cohérente.

C'est dans cette idée que l'URIAE travaille dans une optique de collaboration avec les autres réseaux. Ainsi, son conseil d'administration est composé de six collèges dont l'un représente les "réseaux ayant des adhérents à l'URIAE et ayant signé une convention spécifique avec l'URIAE" (Annexe 1, art. 4, p. 2). De plus, symboliquement, une réduction de 100 € sur leur cotisation annuelle est proposée aux SIAE adhérentes aux réseaux signataires d'une charte partenariale avec l'URIAE, à savoir COORACE, la FNARS, Chantier Ecole, le CLNRQ, le CNEI et l’UNAI.

Cette collaboration est d'ailleurs un objectif affiché. Ainsi, dans le rapport d'activité 2012, l'objectif décrit pour la mission de représentation de l'URIAE en 2013 est de « tisser de nouvelles alliances, d’expérimenter de nouvelles collaborations, de partager les sources d’information, les analyses, les outils et surtout d’accepter de consentir une parcelle de nos pouvoirs réels ou supposés avec les autres réseaux de l’IAE et de l’ESS dans notre région.» (rapport d'activité 2012, p.36)

Pour décrire ce rôle de représentation, l'URIAE évoque le principe de subsidiarité. « Au même titre que les SIAE, la nécessité de subsidiarité politique dans l’IAE et dans l’ESS et la mutualisation de nos pratiques et de nos moyens constituent désormais notre horizon.» (rapport d'activité 2012, p.36) Le principe de subsidiarité cherche le niveau pertinent d'action publique, c'est-à-dire à éviter de faire à un niveau plus élevé ce qui peut l'être avec plus d'efficacité à une échelle plus faible. En clair, l'URIAE accepte de ne pas être le seul représentant de l'IAE au niveau régional (même s'il est celui qui compte le plus d'adhérents), et de s'effacer lors que certaines initiatives sont déjà prises par d'autres réseaux, afin de ne

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pas tomber dans la répétition ou l'incohérence. Pour exemple, le catalogue de formation de l'URIAE ne reprend pas certaines formations qui sont déjà proposées par Coorace au niveau national : l'URIAE se fait plutôt le relais de ces formations auprès des SIAE adhérentes, et si suffisamment de structures sont intéressées pour monter un groupe, alors c'est Coorace qui organise et anime la formation, avec l'aide logistique de la chargée de mission formation de l'URIAE.

L'URIAE tente donc de porter une parole officielle. De par cette démarche, elle joue un rôle dans la régulation des tensions du groupe professionnel. Pour construire cette parole, l'URIAE dispose de plusieurs outils, notamment la tenue de commissions par type de SIAE. Ces commissions regroupent différents salariés d'ACI, d'AI, d'EI ou d'ETTI entre eux qui discutent de problématiques propres à leurs structures. La commission ACI a ainsi été beaucoup sollicitée en 2012 pour la mise en place de la convention collective des ACI, dite Synési.

Pour travailler sur l'image de l'IAE, l'URIAE mène et met à disposition des études sur le secteur. En 2012, elle a mené une étude sur "la plus-value économique, sociale et territoriale des SIAE", qui a été présentée à son assemblée générale le 7 mars 2013. Cette étude a notamment donné lieu à un article dans l'hebdomadaire La Croix du Nord, n°2304 daté du 15 au 21 mars 2013, et intitulé « Les structures d'insertion, ce n'est pas de l'occupationnel ». Cette étude et cet article sont un bon exemple du travail que fait l'URIAE pour améliorer et crédibiliser l'image de l'IAE. Ce travail de "représentation" est bien une façon pour l'URIAE de gérer les tensions du groupe professionnel.

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La construction de l'IAE en tant que groupe professionnel est liée à une histoire chaotique, remontant aux années 80. Au gré des lois et des circulaire, l'IAE se construit un cadre légal, mais la construction de son identité est loin d'être terminée. Fondée sur plusieurs paradoxes (notamment le fait que les structures d'insertion sont "non-insérantes"), l'IAE est traversée par des tensions entre les acteurs, qui ont des valeurs communes fortes mais une vision divergente des finalités de leur secteur professionnel. L'URIAE, de par son rôle de représentation politique, contribue à gérer ces tensions entre les acteurs, et donc participe à

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la professionnalisation de l'IAE. Mais qu'en est-il de la « professionnalisation-flexibilité du travail » dont parle Wittorski (2008) ? Les acteurs de l'IAE se reconnaissent-ils entre eux grâce à leur conception du "travail bien fait" au sein du groupe professionnel ?

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