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B. De l’imitation à l’individuation : la quête d’une identité

3. La construction d’une identité psychique et corporelle

3.1.

La constitution d’un moi corporel

Geneviève Haag a largement écrit au sujet de la constitution de l’identité au sens large grâce à ses observations du nouveau-né (avec celle d’Esther Bick), de l’enfant avec autisme et de l’enfant en situation de polyhandicap. Elle évoque les premières étapes du développement du moi par la constitution première d’un moi-corporel. Elle le relie à la maturation de l’image du corps qui se fait de manière céphalo-caudale comme la maturation neurologique. Elle montre l’intrication entre les vécus corporels (sensoriels) et les premières ébauches de vie psychique.

La première notion dont parle G.Haag est celle de la formation de la peau ou « première contenance »17 après la rupture brutale qu’est la naissance.

Elle relie les réflexes archaïques observables chez le nourrisson lors de la dénudation par exemple (cris, hypertonie…), avec le « phénomène peau » et la maturation d’un sentiment d’enveloppe : la première peau.

Ce sentiment d’enveloppe se construit au fur et à mesure des soins maternels (notamment le nourrissage), par la combinaison du contact-dos du portage et de la pénétration du regard (interpénétration du regard) sans oublier l’enveloppe sonore qu’elle crée. C’est notamment la rythmicité de ces échanges qui amène la représentation de l’enveloppe corporelle. Ce sentiment premier d’enveloppe n’affecte d’ailleurs pas l’ensemble du corps dans un premier temps, il est plus vraisemblable qu’il existe d’abord dans le tête-à-tête. L’enveloppe n’est établie que vers 2 mois et demi mais est centrale dans les premiers sentiments de différenciation avec l’autre. Cette notion peut être rapportée sur certains points au holding et handing de Donald Winnicott.

17 Geneviève Haag « Constitution du moi-corporel et de toutes les étapes du développement du moi qui sont

La deuxième étape serait la construction de la partie haute du corps (de la tête à la ceinture pelvienne) avec la formation de l’axe vertébral et de la verticalité. Cette partie haute s’intègre par les jeux de mains, le croisement de l’axe (vers 3 ou 4 mois) qui correspond au rassemblement des deux hémi-corps.

La dernière étape est celle de l’intégration des membres inférieurs qui commence vers 5 mois. C’est le moment où l’enfant joue avec ses pieds et explore ses parties érogènes du bas du corps.

La formation d’une première identité se fait dans l’interaction avec l’autre et dans l’ébauche de la relation entre l’enfant et ses parents. La constitution du narcissisme ne peut pas se concevoir sans faire appel à la relation à l’autre : « Pour être soi, il faut se nourrir des autres et dans le même temps il faut se différencier des autres » écrit Philippe Jeammet. La construction du sujet se fait dans la rencontre avec l’autre. Dans l’idée de la nécessité d’une base narcissique, la reconnaissance par autrui est indispensable au sentiment d’identité.

Le narcissisme primaire est lié à la naissance du Moi, c’est un état précoce où l’enfant prend son propre corps comme objet d’amour. Les attentions et les soins des parents renforcent le narcissisme de l’enfant. C’est ce que montre Catherine Potel par cette citation : « Les expériences fondamentales – qui s’enracinent dans les expériences du corps en relation à l’autre et à son environnement- vont constituer un socle identitaire primaire, cette base narcissique solide, qui permettra d’accéder à des processus cognitifs qui engagent la pensée, la réflexion, ces mécanismes de symbolisation plus secondarisés ». 18

Pour Julian De Ajuriaguerra, avant la formation du Moi, l’organisation infantile se joue à un niveau narcissique.19 Ainsi, les ébauches du Moi viennent se concrétiser dans les échanges et réponses corporelles (postures, tonus, mimiques, voix…) avec le parent qui assure à l’enfant une sécurité affective et identitaire. C’est par cette sécurité interne que l’enfant va pouvoir s’ouvrir au monde, et explorer de façon sereine les objets, l’espace et l’autre.

Pour certains, l’imitation précoce prouve que le bébé a des moyens de se différencier et de se situer dans l’environnement dès les premières semaines.

18 Catherine Potel « Etre psychomotricien » page 85, Erès, 2010 19

D.Stern pose la question de la perception et du vécu du nourrisson dans l’interaction avec l’autre. Est-ce qu’il aurait déjà un soi et un autre au tout début? Qu’en est-il de sa capacité à associer ce qu’il voit, sent et ressent pour constituer une personne dans sa totalité ? Pour lui, les nourrissons sont « pré-programmés » pour avoir une conscience des processus d’organisation-de-soi. Il n’y aurait pas de période d’indifférenciation totale entre soi et l’autre, comme il n’y aurait pas de phase « autistique ». Il suggère que les expériences d’union peuvent être considérées comme « le succès de l’organisation active de soi-avec-l’autre » plutôt qu’une incapacité à différencier soi et l’autre.

3.2.

Image du corps et schéma corporel

Paul Shilder parle de l’image du corps et de son rapport à l’imitation. Il estime que la vision du corps d’autrui contribue à l’élaboration d’une représentation de notre propre corps. Lorsqu’un sujet imite les gestes d’autrui, il met en évidence les ressemblances existantes entre les images corporelles de chacun. L’image du corps abordée aussi dans la construction d’une unité corporelle par G.Haag est à distinguer du schéma corporel.

Didier Anzieu précise : « L’image du corps est inconsciente, sa base est affective, le schéma corporel est préconscient, sa base est neurologique. Dans le premier cas, le corps est vécu comme le moyen premier de la relation avec autrui. Dans le second, le corps sert d’instrument d’action dans l’espace et sur les objets ». L’imitation n’est-elle pas à la croisée de l’image du corps et du schéma corporel ? N’est-elle pas le résultat de leur élaboration concomitante dans le développement de l’enfant ?

Françoise Dolto donne une définition complète de ce qu’elle appelle l’image inconsciente

du corps : « L’image du corps est propre à chacun ; elle est liée au sujet et à son histoire

[…] Elle est à chaque moment mémoire inconsciente de tout le vécu relationnel et en même temps, elle est actuelle, vivante, en situation dynamique, à la fois narcissique et interrelationnelle camouflable ou actualisable dans la relation ici et maintenant, par toute expression langagière, dessin, modelage, invention musicale, plastique, comme aussi

mimique et gestes ». 20 L’image du corps renvoie à ce que l’on donne à voir aux autres, elle est liée à des questions narcissiques et des enjeux relationnels. Elle conditionne la façon d’être en présence d’autrui.

R.Zazzo dit aussi que l’image de soi se forme à l’image d’autrui par imitation et dialogue. Le schéma corporel lui ne serait pas le résultat d’un travail psychique mais une donnée de l’expérience motrice, liée aux ressentis musculaires, cénesthésiques et aboutit à une somatognosie arrivant à maturité entre 6 et 7 ans. Il est inconscient, pré-conscient et conscient. Les imitations engagent corporellement le sujet et lui permettent ainsi de vivre ces expériences motrices dans l’espace tout en s’appuyant sur l’autre, en venant enrichir dans un même temps l’image de soi dans l’action.

L’image du corps renvoie à un sentiment d’unité corporelle, que Jacques Lacan situe entre 6 et 18 mois à la fois par la perception de son image dans le miroir et par identification à l’image de l’adulte présent à ses côtés. C’est dans le regard et le discours de l’autre tout autant que dans sa propre image que l’enfant vérifie son unité. J.Lacan qualifie de « stade du miroir » la phase de développement de l’enfant qui marque pour celui-ci un moment génétique fondamental : la constitution de la première ébauche du moi.

R. Zazzo dit que « notre premier miroir est le visage de l’autre »21. Un bébé, un enfant qui n’est pas regardé (on peut parler d’une non-reconnaissance) pourra, selon les conditions, se construire un schéma corporel cohérent et organisé. Cependant, son image corporelle traduira un manque : manque de respect pour lui-même, dévalorisation, fragilité narcissique.22

20

Anne-Marie Mairesse « Image du corps et miroir sonore » dans Penser, Parler, Représenter, émergences chez l’enfant sous la direction de Bernard Golse et Claude Bursztejn, Masson, Paris, 1990

21 Ibid 22

Pour Marc Guiose, « entre la réalité neurologique du schéma corporel et la réalité psychique de l’image du corps, il y a un va-et-vient nécessaire, car il est impossible de rompre artificiellement l’unicité de l’individu »23

. Il semble que c’est en étayant ce lien que le psychomotricien peut faire un travail sur l’unité psycho-corporelle. L’imitation est au carrefour de ces deux notions.

23

Marc Guiose « Fondements théoriques et techniques de la relaxation », 2003-2004 www.chups.jussieu.fr/polysPSM/psychomot/relaxation1/relaxation1.pdf

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est le jeune garçon de 8 ans et 3 mois que je vois en séance individuelle au C.M.P.E.A. Ses parents sont sans emploi et sont séparés depuis septembre 2013.

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semble vivre dans un environnement peu sécure, sa mère ne peut se rappeler des dates et heures de ses prises en charge. Elle n’apporte que peu d’éléments sur la vie à la maison.

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s’endort très tard le soir, parfois à 3 ou 4 heures du matin.

Dans le jeu

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s’implique corporellement, il peut investir au fur et à mesure tout l’espace et a énormément de plaisir dans les jeux de repoussé. Cependant, dès qu’il s’agit de répondre à des éléments de bilan,

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se sent en difficulté. Il reste périphérique et met en place des stratégies d’évitement. Il dit qu’il ne va pas y arriver et que c’est trop difficile : « je ne veux pas travailler, ça me fatigue ». Cela demande une énergie conséquente pour lui comme pour moi de l’amener à être ensemble dans ce temps-là. La demande entraîne une forte angoisse pour lui qu’il manifeste par des propos dépréciatifs et une position dépressive.

N

est un petit garçon de 11 ans que je rencontre à l’hôpital de jour. Il est diagnostiqué autiste atypique mais il met en jeu des défenses de l’ordre de la psychose. C’est un petit garçon ayant accès au langage. Il a des stéréotypies visuelles (il agite ses mains devant ses yeux, se touche les cils), des écholalies (répétitions et déformations de ce qu’il a entendu). Il déambule beaucoup dans la cour. Il présente de nombreuses angoisses archaïques de perte du corps qui se manifestent par des vérifications régulières et des questionnements sur lui- même, son identité et la normalité. Il pose la question :

« C’est bizarre de parler tout seul ? ».

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