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La conformité à l’ordre public international

1.3 L’appréciation des arbitres internationaux

1.3.1 La conformité à l’ordre public international

Le droit de l’arbitrage international, influencé par le courant du libéralisme économique106 offre aux investisseurs privés un mécanisme qui leur permet de choisir la juridiction compétente devant laquelle ils peuvent porter les différends qui les opposent à la partie publique. Ainsi se développe la clause du forum shopping dans les contrats et traités d’investissements internationaux. Elle est attributive de compétence, car elle confère aux arbitres internationaux la compétence nécessaire pour connaitre du différend peu importe la nature des parties. Par l’effet négatif107 de cette clause, toute autre juridiction serait incompétente et par le fait même, celle-ci doit se décliner au profit de l’arbitre international. Le non-respect de cette norme impérative de compétence pourra entrainer la nullité de la décision à intervenir.

Dans de nombreuses sentences, les arbitres n’ont pas manqué de souligner la dimension transnationale de leur pouvoir en rejetant les objections des États évoquant des mécanismes de droit interne pour régler les différends, même en présence des normes impératives souligne un auteur :

« L’observation de la jurisprudence arbitrale montre que, dans la très grande majorité des cas, l’arbitre confronté à des dispositions à impérativité renforcée fait toujours prévaloir les exigences de l’ordre public réellement international sur celles des lois de police. Il ne suffit pas qu’un État déclare avoir une volonté forte d’appliquer une norme quelconque pour que l’arbitre ait à cœur de faire respecter cette disposition. Il faut qu’elle corresponde, de manière plus fondamentale, à des valeurs très généralement partagées dans la communauté internationale pour que l’arbitre se sente tenu d’en assurer le respect. Parce qu’il se comprend comme tenant ses pouvoirs de la communauté internationale davantage que d’un Etat

106 Emmanuel GAILLARD, « L’arbitrage sur le fondement des traités de protection des investissements », (2003)

3 Rev. Arb 853, 862.

107 Emmanuel GAILLARD, « L’effet négatif de la compétence-compétence », dans Études de procédure

33 détermine, l’arbitre intervient comme le garant du respect de l’ordre public transnational ou réellement international.»108

Dans l’affaire Lanco c. Argentine109 du 8 décembre 1998, les parties ont fait le choix dans le contrat de soumettre leurs différends devant une juridiction administrative fédérale argentine. Cependant, dans un traité d’investissement conclu entre la république d’Argentine et le gouvernement des États-Unis, les parties avaient prévu une clause renvoyant à l’arbitrage CIRDI tous litiges relatifs à un de ces États. Les arbitres ont rejeté l’argument selon lequel une clause exclusive de compétence au profit d’une juridiction étatique du contrat exclut la compétence du CIRDI : « De fait, une fois établi qu’un consentement valable à l’arbitrage CIRDI a été donné, toute autre juridiction saisie pour décider du litige doit décliner sa compétence. »110. Cette solution a été retenue dans des sentences similaires dont l’affaire

Vivendi c. Argentine111 dans laquelle le Comité ad hoc applique les dispositions de l’article 3 de la Commission du Droit International112, pour distinguer l’ordre juridique interne de l’ordre international en matière de responsabilité internationale des États. Le comité soutient qu’une violation du droit interne ne signifie pas forcément violation du droit international. L’arbitre international agit donc à titre de juge né de la responsabilité internationale des États en rapport

108 E. GAILLARD, préc., note 9, 902.

109Lanco International Inc. v. Argentine Republic, ICSID case ARB/97/6, en ligne : < http://www.italaw.com/ca>,

( consulté le 20 octobre 2013).

110 Emmanuel GAILLARD, La jurisprudence du CIRDI, Paris, Édition A. Pedone, 2004, p.736.

111 Compagnia de aguas del Aconquija S.A and Vivendi Universal S.A v. Argentine republic, ICSID, ARB/97/3,

voir aussi Salini Costruttori S.P.A and Italstrade S.P.A v. Kingdom Moroco, ARB/00/4.

112Résolution 56/83 des Nations Unies sur la responsabilité des États pour faits internationalement illicites. Le

texte, en ligne : <http://www.un.org/french/documents/view_doc.asp.>, (consulté le 08 novembre 2013.). L’article 3 est ainsi libellé : « La qualification du fait de l’État comme internationalement illicite relève du droit international. Une telle qualification n’est pas affectée par la qualification du même fait comme licite par le droit interne. ».

34 avec les instruments internationaux auxquels ils souscrivent. L’observation du comité ad hoc à cet égard est sans équivoque :

« In accordance with this general principle (which is undoubtedly declaratory of general international law), whether there has been a breach of the BIT and whether there has been a breach of contract are different questions. Each of these claims will be determined by reference to its own proper or applicable law, in the case of the BIT, by international law, in the case of the Concession Contract, by the proper law of the contract, in other words, the law of Tucumán. For example, in the case of a claim based on a treaty international law rules of attribution apply, with the result that the state of Argentine is internationally responsible for the acts of its provincial authorities. By contrast, the state of Argentina is not liable for the performance of contracts entered into by Tucumán, which possesses separate legal personality under its own law and is responsible for the performance of its own contracts. »113

Cette position des arbitres confirme l’hypothèse de la mise en cause de la responsabilité internationale des États pour les agissements illicites de leurs entités. Elle traduit également la tendance internationaliste du CIRDI à proclamer la compétence prépondérante et exclusive des tribunaux arbitraux internationaux à connaitre les litiges opposants les personnes publiques aux opérateurs privés internationaux, peu importe l’origine de l’instrument juridique générateur du litige ( loi, contrat et traité )114.

Par ailleurs, de nombreuses sentences de compétence rendues sous les auspices de la CCI convergent aussi dans le même sens. Dans une sentence115 rendue en 1971, un arbitre CCI indiquait déjà que la faculté reconnue à l’État de compromettre est une règle d’ordre public international. Il s’agit d’un principe appartenant aux usages du commerce international. Un auteur résume en ces termes le raisonnement des arbitres internationaux :

113 Sentences, préc., note 109, par.96.

114 Charles LEBEN, « Responsabilité internationale des États sur le fondement des traités de promotion et de

protection des investissements »,( 2004) 50 Annuaire Français du Droit International 683,708.

35 « Une raison morale évidente interdit à la partie étatique, après avoir signé l’engagement d’arbitrage, de se prévaloir de son incapacité « interne » ; d’autre part, pareil comportement sape la confiance indispensable au fonctionnement normal du commerce international, notamment avec les États et elle est contraire aux intérêts généraux de ces derniers un argument renforcé, au demeurant, par la conduite même des États, dont l’immense majorité honore parfaitement les clauses d’arbitrage international. Par sa fonction même, de garant d’une certaine « moralité contractuelle » fondamentale et de protecteur des intérêts supérieurs du commerce international, l’arbitre international est tout naturellement appelé à faire intervenir ici la notion d’ordre public transnational, au besoin en écartant l’application d’un ordre public international étatique en sens contraire.»116

Cette reconnaissance du principe de l’ordre public international dans la procédure du contentieux investisseurs-État confirme la suprématie des normes transnationales sur les règles internes des États qu’elles soient ou non d’ordre public. Cet ordre public est généralement propulsé par les principes d’UNIDROIT117, qui forment un corps de règles « anationales » principalement d’origine privée qui n’ont pas été sanctionnées par la communauté des États suivant les procédés juridiques habituels, mais qui sont devenues par la force des choses largement acceptées par la société marchande. Il saute aux yeux qu’il s’agit d’un ensemble de règles plurielles résultant des usages et des principes généraux laissées à la discrétion des arbitres.