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PARTIE I LE PROCESSUS D’ÉLABORATION DES LOIS AU CANADA

1. Les lacunes informationnelles

1.1. Le processus pré-législatif

1.1.2. La confidentialité des avant-projets de loi

Les avant-projets de loi sont des documents confidentiels du Bureau du Conseil privé auxquels il est impossible d’avoir accès en vertu de la Loi sur l’accès à l’information et de la Loi sur la                                                                                                                

90 Loi sur le ministère de la Justice, L.R.C., 1985, c. J-2, art. 4.1 « (1) Sous réserve du paragraphe (2), le ministre

examine, conformément aux règlements pris par le gouverneur en conseil, les règlements transmis au greffier du Conseil privé pour enregistrement, en application de la Loi sur les textes réglementaires ainsi que les projets ou propositions de loi soumis ou présentés à la Chambre des communes par un ministre fédéral, en vue de vérifier si l’une de leurs dispositions est incompatible avec les fins et dispositions de la Charte canadienne des droits et libertés, et fait rapport de toute incompatibilité à la Chambre des communes dans les meilleurs délais possible. »

91 Loi sur les textes réglementaires, L.R.C., 1925, c. S-22, art. 3(2)(c) « (2) À la réception du projet de règlement,

le greffier du Conseil privé procède, en consultation avec le sous-ministre de la Justice, à l’examen des points suivants : […] c) il n’empiète pas indûment sur les droits et libertés existants et, en tout état de cause, n’est pas incompatible avec les fins et les dispositions de la Charte canadienne des droits et libertés et de la Déclaration canadienne des droits; »

preuve au Canada92. De plus, les conseillers juridiques gouvernementaux sont tenus, au même titre que tout avocat, de respecter le secret professionnel. Ainsi que l’a statué la Cour suprême dans l’arrêt Solosky, le privilège de confidentialité peut être invoqué quand les trois éléments suivants sont réunis : il s’agit d’une communication entre un avocat et son client, cette communication concerne une consultation ou un avis juridique et les deux parties la considèrent comme confidentielle93. John Mark Keyes, le premier conseiller législatif au ministère de la Justice du Canada, soutient que ces trois principes s’appliquent également aux conseils de l’administration publique94. Il explique que, selon la jurisprudence95, le travail du conseiller juridique d’un ministère comporte plusieurs tâches, certaines étant de nature purement juridique alors que d’autres sont plus politiques ou administratives. Selon Keyes, à partir du moment où « on dénote la prestation de conseils juridiques, [la communication] est couverte par le secret professionnel »96. L’élaboration d’un projet de loi doit absolument être considérée comme une prestation juridique :

« Les avant-projets de loi ne sont pas simplement des documents de politique; ils traduisent également l’assurance des conseillers législatifs qu’ils produiront l’effet juridique recherché. C’est là la quintessence du « conseil juridique », qui a été reconnue par la Cour suprême de la Colombie-Britannique dans une décision antérieure qui a accepté le raisonnement de la Cour fédérale de l’Australie dans l’affaire New South Wales v. Betfair Pty. Ltd. »97

                                                                                                               

92 Loi sur l’accès à l’information, L.R.C., 1985, c. A-1, art. 69(1)(f) « 69. (1) La présente loi ne s’applique pas

aux documents confidentiels du Conseil privé de la Reine pour le Canada, notamment aux : […](f) avant-projets de loi ou projets de règlement; » et Loi sur la preuve au Canada, L.R.C., c. C-5, art. 39(1) « 39. (1) Le tribunal, l’organisme ou la personne qui ont le pouvoir de contraindre à la production de renseignements sont, dans les cas où un ministre ou le greffier du Conseil privé s’opposent à la divulgation d’un renseignement, tenus d’en refuser la divulgation, sans l’examiner ni tenir d’audition à son sujet, si le ministre ou le greffier attestent par écrit que le renseignement constitue un renseignement confidentiel du Conseil privé de la Reine pour le Canada. »

93 Solosky c. La Reine, [1980] 1 R.C.S. 821, p. 837. Voir aussi : Pritchard c. Ontario (Commission des droits de la personne), [2004] 1 R.C.S. 809

94 John Mark KEYES, « Les responsabilités professionnelles du conseiller législatif » (2011) 5 Revue de droit parlementaire et politique, 25

95 R. c. Campbell, [1999] 1 R.C.S. 565, par. 50 96 J. M. KEYES, préc., note 94, 25

Dès qu’une tâche est classifiée comme étant de nature juridique, comme l’est l’élaboration d’un avant-projet de loi, les codes de déontologie des avocats s’appliquent et ceux-ci sont tenus au respect du secret professionnel. En conséquence, l’évaluation des risques juridiques concernant toutes dispositions législatives est gardée confidentielle au nom du principe du secret professionnel qui protège les relations entre les conseillers législatifs et leur client, l’État.

Les conseillers législatifs effectuent une tâche bien particulière, car ils sont à la fois responsables de traduire la volonté du gouvernement et de garantir que les textes de loi sont cohérents et constitutionnels.

« Legislative drafters have an unenviable task. They must draw from the context around them, and reduce to written form, what is understood to be a law. Based on written or oral instructions they must capture concepts and freeze them in time […] When the drafter works in a public sector environment there is the added expectation that part of the role of the drafter will be to act in the public interest. More than other legal practitioners, the legislative drafter’s role is to ensure that the development and elaboration of the law includes respect for the rule of law and adherence to it, even though the ultimate responsibility for compliance with the Charter may rest with others. »98

Selon Deborah MacNair, les conseillers législatifs sont immanquablement en situation de conflit d’intérêts, car ils sont à la fois avocats et employés de l’administration publique. Leur « client » est le gouvernement, et en tant qu’avocats ils doivent répondre aux instructions données le Cabinet. Par contre, en tant qu’officiers publics, ils doivent protéger l’intérêt public et s’assurer que les lois respectent le principe de primauté du droit99. MacNair explique que si les conseillers législatifs accomplissent un travail fondamental dans une démocratie, il semble toutefois y avoir très peu de balises quant aux aspects éthiques de leur fonction. D’après elle, il                                                                                                                

98 Deborah MACNAIR, « Legislative Drafters : A Discussion of Ethical Standards from a Canadian

Perspective », (2003) 24-2 Statute Law Review 125, 132 et 133

serait important que cet aspect de leur travail soit mieux défini et encadré pour assurer plus de transparence dans le processus de rédaction législative.

« The legislative drafter is involved throughout the legislative process as it evolves from beginning to end—submissions to Cabinet, interpretation of Cabinet decisions, drafting of the bill or regulation, consultation with respect to content, legal advice on substantive issues, amendments, interpretation of the law and appearances before parliamentary committees and other bodies. At present, despite this important role in the development of law, which runs parallel to the development of case law by the courts, the existing professional codes of conduct are silent with respect to any ethical guidance or standards. It is time to recognize the special role these public sector lawyers play within the legal profession. »100

En somme, l’absence de transparence en ce qui a trait au processus d’élaboration des projets de loi fait en sorte qu’il est impossible de connaître les instructions reçues par les conseillers législatifs lors de la rédaction des dispositions sur les POD et les étrangers désignés, car il s’agit de communications privilégiées entre avocats et clients. Effectivement, ni les discussions au Cabinet, ni les instructions rédactionnelles, ni les avis juridiques donnés par les légistes du gouvernement ne sont rendus publics. La Chambre des communes est, théoriquement du moins, l’institution politique permettant le débat, et les parlementaires de tous les partis devraient pouvoir y poser des questions et obtenir que le gouvernement justifie ses positions et expose les motifs de ses projets de lois. En l’absence d’informations complètes, il est difficile pour les députés des partis d’opposition de jouer ce rôle. De plus, lorsqu’un gouvernement est majoritaire, il contrôle non seulement l’élaboration des projets de loi, mais aussi le processus parlementaire.